Élections israéliennes : un quatrième round pour rien ?
Benjamin Netanyahou détient le record de longévité à la tête du gouvernement d’Israël, mais force est de constater que son assise politique ne cesse de s’effriter. Au moins pour trois raisons.
D’abord, il doit faire face à un triple procès pour corruption, malversation et abus de confiance, sans oublier une quatrième affaire liée à l’achat de sous-marins allemands. Ensuite, il fait face à un mouvements de contestation inédit en Israël, tant par sa durée que par son ampleur. Enfin, le Premier ministre est contesté au sein de son propre camp, le Likoud.
Après avoir perdu ses principaux alliés, à l’instar d’Avigdor Lieberman, leader du parti d’extrême droite laïc et russophone Israel Beytenou (« Israël notre maison »), Netanyahou est critiqué par son ancien ministre Naftali Bennett, figure du nationalisme religieux à la tête de la coalition Yamina (« vers la droite »).
Plus encore, c’est du sein même du Likoud qu’est issu son plus sérieux rival, l’ex-ministre et député Guideon Saar. En 2019 déjà, celui-ci menait la fronde contre Netanyahou en le poussant à accepter des primaires. Incapable de rassembler la majorité du parti derrière lui, Saar a décidé en décembre dernier de faire sédition au profit de sa propre formation, Tikva Hadasha (« nouvel espoir »).
Le retour des kahanistes à la Knesset ?
Bien qu’il puisse encore compter sur les voix des partis ultraorthodoxes Yahadut Hatorah (« Judaïsme unifié de la Torah », ashkénaze) et Shas (mizrahim), Netanyahou a cherché de nouveaux alliés afin de s’assurer la possibilité de rassembler les 61 députés requis pour former une coalition gouvernementale lors des législatives du 23 mars. Lors des trois derniers scrutins, aucun candidat n’y était parvenu et le gouvernement d’union nationale dirigé par Netanyahou n’avait tenu que quelques mois au motif, officiel, d’une mésentente sur le vote du budget.
Il a ainsi poussé à l’union de plusieurs partis extrémistes, dont Otzma Yehudit (« pouvoir juif »), héritier de la pensée de Meir Kahane, rabbin dont la formation avait été interdite en Israël dans les années 1980 pour racisme et terrorisme.
Cette alliance, sous la bannière d’HaTzionut HaDatit (« parti sioniste religieux »), revendique explicitement son souhait d’expulser les Palestiniens qui refusent de se soumettre à la « souveraineté juive » entre la Méditerranée et le Jourdain. Le leader de la liste, Bezalel Smotrich, s’est déjà engagé à rallier Netanyahou et a même obtenu un accord sur le partage du surplus des votes avec le Likoud.
En revanche, les partis sionistes du centre et de la gauche continuent d’espérer la fin de l’ère Netanyahou. Le mieux placé parmi eux reste Yaïr Lapid, à la tête du parti centriste laïc Yesh Atid (« il y a un espoir »).
S’il peut (enfin) prétendre être le prochain Premier ministre d’Israël, c’est d’abord parce qu’il exploite une ligne politique à laquelle il est resté fidèle depuis deux ans : le refus catégorique de siéger aux côtés de Netanyahou.
C’est cette promesse que son ex-allié, le général Benny Gantz, a trahie lors du dernier scrutin. À la surprise générale, il avait accepté de siéger aux côtés du leader du Likoud, alors qu’il avait fait campagne pour priver Netanyahou de son poste. Mal lui en a pris, sa formation Bleu Blanc est aujourd’hui annoncée au plus bas dans les sondages.
La gauche cherche (toujours) son sauveur
Yaïr Lapid peut aussi s’appuyer sur un Parti travailliste qui semble renaître de ses cendres. Menacé au début de la campagne de ne pas franchir le seuil électoral de 3,25 % pour entrer à la Knesset (le Parlement), le parti a opéré un changement de stratégie.
Les travaillistes ont placé à leur tête la députée Merav Michaeli, ex-journaliste et figure connue des milieux féministes. Elle est surtout devenue populaire lorsqu’au dernier scrutin, en mars 2020, elle a refusé le choix du leader travailliste Amir Peretz de siéger dans une coalition dirigée par Netanyahou, préférant rejoindre les manifestations contre le Premier ministre.
Faisant campagne pour la justice sociale et la refonte d’un Israël qui serait « une maison pour tous », Merav Michaeli semble ouvrir une nouvelle ère pour le Parti travailliste. Selon une source interne au parti, 8 000 Israéliens auraient rejoint les rangs de la campagne. L’électorat féminin plébisciterait particulièrement cette candidate.
Jusqu’à présent, la dynamique autour de la candidate travailliste n’a pas permis au Meretz, l’historique formation de la gauche radicale sioniste, d’exprimer ses idées et de rassembler son électorat. Plusieurs sondages indiquent que le parti du feu camp de la paix ne franchirait pas le seuil électoral.
Une variable reste à déterminer, celle du vote des Palestiniens d’Israël. Le Meretz a bien compris l’enjeu puisque, sur les dix premiers noms de sa liste, menée par la figure du mouvement LGBT Nitzan Horowitz, figurent trois personnes issues de cette minorité arabe, dont deux dans les cinq premiers.
Les Palestiniens d’Israël, véritable cible électorale du scrutin
Le 13 janvier, Netanyahou s’est rappelé que 18 % de l’électorat israélien était palestinien. Alors qu’il a toujours surfé sur la stigmatisation de cette communauté pour s’assurer les voix de l’extrême droite, il s’est pour la première fois engagé dans une opération de séduction en promettant depuis la plus grande ville palestinienne d’Israël, Nazareth, le début d’une « nouvelle ère de prospérité, d’intégration et de sécurité ».
Aujourd’hui, l’électorat arabe peine à croire aux promesses renouvelées de la Liste unifiée de pouvoir influencer le jeu politique israélien
En mars 2020, les électeurs palestiniens avaient très majoritairement sollicité la Liste unifiée, composée des principaux partis palestiniens d’Israël, allant des nationalistes arabes du Balad au Mouvement islamique, en passant par Hadash (Front démocratique pour la paix et l’égalité), dont est membre le Maki (Parti communiste d’Israël). Dans les principales villes de la communauté palestinienne d’Israël comme Nazareth ou Umm al-Fahm, la liste avait obtenu entre 85 et 90 % des voix.
Désormais, le chef de file de la Liste unifiée, le communiste Ayman Odeh, doit affronter les critiques après l’échec de sa stratégie : jusqu’au bout, il avait cru en la possibilité d’une coalition anti-Netanyahou dirigée par Benny Gantz. Il comptait lui accorder son soutien en échange de l’engagement de la nouvelle coalition à appliquer un certain nombre de mesures attendues par les Palestiniens d’Israël (en matière de criminalité, emploi, logement, etc.).
Rien ne s’est passé comme il l’avait prévu, Gantz refusant, entre autres, de mener un gouvernement ne bénéficiant pas d’une majorité juive. Résultat : aujourd’hui, l’électorat arabe peine à croire aux promesses renouvelées de la Liste unifiée de pouvoir influencer le jeu politique israélien.
À cela s’ajoute le choix de Mansour Abbas, figure de la branche sud du Mouvement islamique et leader du parti Raam, de rompre avec Odeh au profit de sa propre liste. « Nous ne sommes ni de gauche ni de droite », a déclaré Abbas, ajoutant que sa formation était prête à « travailler avec tous ceux qui veulent faire avancer les questions relatives à la société arabe », y compris Netanyahou.
Sa stratégie semble répondre aux besoins de l’actuel Premier ministre : pousser les Palestiniens d’Israël à dépasser le clivage politique (droite–gauche) au profit d’un soutien pragmatique au candidat le mieux placé pour former un gouvernement et ainsi négocier une meilleure politique à leur égard.
Or en agissant ainsi, Mansour Abbas fragilise la Liste unifiée, fragmente le vote arabe et minimise les risques de voir les partis hostiles à Netanyahou entrer en nombre au Parlement.
Pour autant, Odeh et ses alliés ont des raisons de continuer à tracer leur route : à chaque élection, la Liste unifiée augmente son score parmi l’électorat juif tout en renforçant son hégémonie au sein de la communauté palestinienne.
Le 10 février, l’éditorialiste de Haaretz Gideon Levy défendait dans son journal son choix de voter pour la Liste unifiée, « seule alternative » crédible. Il rappelait que tous les autres principaux candidats se rejoignaient sur le non-respect du droit international dans les territoires palestiniens, la poursuite de la colonisation, le maintien de l’occupation et de la « suprématie juive » de la Méditerranée au Jourdain.
Les territoires palestiniens sont d’ailleurs venus troubler la campagne. Si elle avait débuté comme les trois précédentes, et celles d’avant encore, c’est-à-dire en se désintéressant totalement du sort des Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie ou des camps de réfugiés à travers le Moyen-Orient, la décision de la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir une enquête sur les crimes présumés dans les territoires occupés a contraint les candidats à se positionner.
Si Netanyahou n’a pas hésité à qualifier cette décision d’antisémite, le candidat du Meretz, Nitzan Horowitz, a soutenu la procureure générale de la CPI Fatou Bensouda. Mal lui en a pris, la quasi-totalité des candidats lui sont tombés dessus, dont la leader travailliste Merav Michaeli, qui a affirmé qu’Israël n’avait « commis aucun crime de guerre ».
« Tout sauf Netanyahou », et après ?
Lors d’une conférence en ligne pour Haaretz, la leader travailliste a indiqué être prête à « sacrifier les valeurs » de son parti pour soutenir une coalition qui pourrait, enfin, dégager Netanyahou.
Quelle cohérence aura un gouvernement « anti-Netanyahou », où les partisans du retour à la table des négociations avec les Palestiniens siègeraient aux côtés de partisans convaincus de l’annexion de pans de la Cisjordanie occupée ?
En plus des travaillistes et du centriste Yaïr Lapid, plusieurs candidats ont rejoint l’appel du « Tout sauf Netanyahou », à commencer par les leaders de droite Guideon Saar et Naftali Bennett, même si ce dernier a nuancé ses propos par la suite.
Sauf que concrètement, refuser de siéger avec le leader du Likoud implique de former une coalition avec le centre voire la gauche. Une perspective impensable pour l’un comme pour l’autre car ils risquent, à ce jeu, de perdre une partie de leur électorat attaché aux idées et valeurs de la droite nationaliste au profit de Netanyahou.
Surtout, la prochaine coalition devra gérer de multiples crises. D’abord, une catastrophe sociale liée à la pandémie de coronavirus : 50 000 ménages sont passés sous le seuil de pauvreté et 100 000 autres ont vu leur niveau de vie drastiquement baisser, la demande d’aide alimentaire a été multipliée par 2,5 tandis que les services sociaux ont connu une augmentation de 60 % des dossiers à traiter.
Quelle cohérence aura un gouvernement « anti-Netanyahou », où les partisans travaillistes d’un retour de l’État dans l’économie pour soutenir les plus démunis siègeraient aux côtés des ultra-libéraux que sont Bennett et Saar ?
De plus, l’ère Trump est bel et bien terminée. L’administration Biden semble vouloir relancer les négociations avec l’Iran et invite Israéliens et Palestiniens à discuter les modalités d’une hypothétique paix dans le cadre d’une « solution à deux États ».
Les colonies sont, de nouveau, considérées comme « illégales » par l’administration américaine, tandis que la mission palestinienne à Washington doit rouvrir et que les États-Unis reprennent leur place (et leur financement) au sein de l’UNRWA.
Quelle cohérence aura un gouvernement « anti-Netanyahou », où les partisans du retour à la table des négociations avec les Palestiniens siègeraient aux côtés de partisans convaincus de l’annexion de pans de la Cisjordanie occupée ?
De son côté, Benjamin Netanyahou mène campagne sur le succès de la vaccination et les « accords d’Abraham », qui lui ont permis de normaliser les relations d’Israël avec certains pays arabes.
Cependant, ni lui ni le prochain Premier ministre ne pourront faire abstraction des changements à la Maison-Blanche et des tensions qui traversent la société israélienne. Pour cela, seule une coalition forte et stable pourrait être en mesure de diriger le pays pour les quatre prochaines années, et ainsi éviter un cinquième tour électoral.
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