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L’attaque palestinienne contre Israël pourrait changer le conflit, selon des analystes

« C’est la fin de la doctrine selon laquelle Israël mène la guerre en territoire ennemi »
Des Palestiniens célèbrent l’attaque du Hamas devant un char israélien détruit près de la barrière de la bande de Gaza, à l’est de Khan Younès (AP)
Par Lubna Masarwa à JÉRUSALEM et Heba Nasser à LONDRES

Le conflit israélo-palestinien pourrait avoir été complètement remodelé par l’attaque palestinienne d’envergure menée par le Hamas samedi et être entré dans une nouvelle phase, estiment des analystes.

« Il s’agit d’une attaque stratégique sans précédent, dont la fin est difficile à prévoir en raison de la nature inhabituelle de l’escalade », déclare Ameer Makhoul, un analyste palestinien, à Middle East Eye.

« Même si l’attaque palestinienne prend fin, son impact sera stratégique et à long terme, et changera les règles du jeu. »

Aux premières heures de samedi, des dizaines de combattants palestiniens ont quitté la bande de Gaza sous blocus et ont pénétré en Israël par voie terrestre, maritime et aérienne, prenant le contrôle de plusieurs villes et kibboutzim avec une facilité étonnante.

« Même si l’attaque palestinienne prend fin, son impact sera stratégique et à long terme, et changera les règles du jeu »

- Ameer Makhoul, analyste palestinien

Alors que des milliers de roquettes pleuvaient sur Israël, le Hamas a annoncé son opération et appelé toutes les factions palestiniennes et leurs alliés à se soulever.

Ce lundi matin, alors que les combats entre Palestiniens et Israéliens sont entrés dans leur troisième jour, une escalade majeure se profile.

Jusqu’à présent, les combats au sol se sont concentrés à l’intérieur du territoire israélien, sur plusieurs sites le long de la frontière avec Gaza.

Pendant ce temps, Israël a lancé une attaque aérienne de grande ampleur sur Gaza, ciblant des tours résidentielles, des mosquées, des hôpitaux, des banques et d’autres infrastructures civiles.

Au moins 700 Israéliens et 450 Palestiniens ont été tués. Près de 2 500 blessés sont dénombrés de chaque côté. Les chiffres pourraient augmenter considérablement.

Les combats se poursuivent dans au moins six zones du territoire israélien. L’armée israélienne met plus de temps que prévu à reprendre le contrôle. De plus en plus de combattants palestiniens continuent de traverser la frontière avec Israël pour fournir des renforts.

Israël a de son côté rassemblé environ 100 000 réservistes autour de Gaza. Les responsables américains pensent qu’une invasion terrestre de la bande sous blocus est sur le point d’être lancée.

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Les États-Unis ont rapproché leurs navires et avions de guerre d’Israël, en Méditerranée orientale.

Un avion de transport militaire américain aurait atterri en Israël depuis une base américaine en Jordanie. Des mesures américaines plus strictes sont attendues.

Les tensions sont également vives en Cisjordanie occupée. Des Palestiniens ont mené au moins 50 attaques à l’arme à feu contre des cibles israéliennes en deux jours. Quinze Palestiniens ont été tués.

Plus de 100 Israéliens ont été faits prisonniers par les Palestiniens, selon les premières estimations palestiniennes et israéliennes. Des ressortissants américains et d’autres étrangers pourraient avoir été capturés.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré l’état de guerre dès samedi.

En Israël et au-delà, des comparaisons avec la guerre d’octobre 1973, que l’Égypte avait déclenchée il y a tout juste 50 ans en lançant une attaque surprise, ont rapidement commencé à être dressées.

« Il existe un état de confusion en matière de renseignement, militaire et politique en Israël », analyse Makhoul. « C’est la fin de la doctrine selon laquelle Israël mène la guerre en territoire ennemi. »

Que fera Israël ?

D’après Hani Masri, un analyste palestinien, la situation actuelle est le résultat de plusieurs facteurs : la situation économique « tragique » dans la bande de Gaza sous blocus depuis seize ans ; les raids et attaques répétés d’Israël en Cisjordanie occupée, contre des lieux saints et contre des citoyens palestiniens d’Israël ; sa politique d’oppression des prisonniers ; et la possibilité croissante d’un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël.

D’après l’analyste, Israël pourrait utiliser la situation actuelle pour détourner l’attention de sa propre crise interne, déclenchée par les projets controversés de réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou, qui ont divisé le pays et déclenché d’importantes manifestations.

« Israël pourrait également tenter de faire payer un lourd tribut aux Palestiniens et aux factions de la résistance, en particulier au Hamas, en assassinant d’importants dirigeants politiques et militaires »

- Hani Masri, analyste

Cela dit, même si l’assaut va sans aucun doute changer les règles du conflit entre Israël et les groupes palestiniens, il reste à voir dans quelle mesure, nuance Hani Masri.

Un possible scénario serait qu’Israël redéploie des soldats dans la bande de Gaza, modifiant ainsi le statu quo en place depuis le retrait de ses forces de l’enclave côtière en 2005.

« Israël pourrait également tenter de faire payer un lourd tribut aux Palestiniens et aux factions de la résistance, en particulier au Hamas, en assassinant d’importants dirigeants politiques et militaires », prévient Masri.

De nouvelles escalades pourraient également conduire à l’ouverture de nouveaux fronts, notamment à la frontière nord avec le Liban.

Cependant, ajoute Masri, il pourrait être plus difficile pour Israël de modifier ses règles d’engagement avec les groupes armés palestiniens, qu’il a cherché à contenir plutôt que de s’engager dans un conflit qui devient existentiel si des groupes tels que le Hamas détiennent des prisonniers israéliens.

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Selon Masri, les efforts arabes et internationaux pourraient réussir à désamorcer à la fois la situation et la gravité des représailles israéliennes. Dès lors, Israël pourrait opter pour une réponse forte mais calculée sans pour autant renverser complètement sa stratégie d’endiguement.

« Selon un troisième scénario, Israël pourrait tenter de restaurer sa puissance de dissuasion fortement mise à mal sans toutefois pousser les choses jusqu’au point de non-retour. »

Masri estime que plusieurs facteurs pourraient inciter Israël à opter pour la désescalade, notamment le manque d’appétit de l’Occident pour un autre conflit majeur alors que la guerre en Ukraine se poursuit et les efforts diplomatiques déployés par l’administration Biden pour négocier un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël.

S’il est trop tôt pour envisager l’évolution de la situation à court et à long terme, Masri juge que « ce qui se passera après le 7 octobre sera différent de ce qui l’a précédé ».

Comment cela a-t-il pu se produire ?

Beaucoup en Israël tentent toujours de reconstituer les événements de samedi – et comment cela a pu se produire – alors que les moyens de dissuasion et de défense habituellement considérables du pays semblent avoir échoué.

Le journaliste israélien Meron Rapoport indique à MEE que c’est la première fois depuis 1948 qu’une telle chose se produit et que la situation est pire que lors de la guerre israélo-arabe de 1973.

« C’est difficile à concevoir. Je ne peux pas comprendre comment quelque chose comme ça a pu se produire », dit-il. « Personne n’arrive à croire que ça s’est passé. C’est comme s’il n’y avait pas eu d’armée [israélienne] là-bas [à la frontière avec la bande de Gaza]. »

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« Comment des gens sans armes sophistiquées – ils ont des kalachnikovs et se déplacent en pick-up, sans casque ni gilet pare-balles – peuvent-ils passer à travers la clôture qui est censée être sécurisée par la quatrième ou cinquième armée la plus puissante du monde ? »

Selon Meron Rapoport, l’intrusion en Israël, qu’il a décrite comme « inimaginable », est un coup porté à la stratégie de dissuasion du pays et « un effondrement complet de l’entraînement israélien ».

La confiance d’Israël dans sa surveillance par caméra et drone, note-t-il, s’est révélée malavisée.

De plus, le contrôle total d’Israël sur les réseaux de communication de Gaza aurait dû lui permettre de savoir qu’une attaque était imminente, et de l’empêcher.

Cela, selon l’analyste, révèle à la fois un échec militaire et un échec du renseignement et il faudra beaucoup de temps à Israël pour s’en remettre et retrouver confiance en soi. 

Il indique que l’unité de renseignement de l’armée israélienne, connue sous le nom d’Unité 8200, est capable de connaître les détails les plus intimes de la vie des Palestiniens, mais n’a pas pu apprendre qu’une poignée de combattants allaient organiser une attaque complexe et étendue.

Il anticipe une réponse brutale de la part d’Israël au cours des prochaines semaines.

« Israël voudra se venger et tuer autant de Palestiniens que possible. C’est ce que nous verrons dans les deux prochaines semaines », prévient-il. « Mais ensuite, Israël devra décider s’il envoie l’armée à Gaza et comment cela affectera la Cisjordanie. »

Traduit de l’anglais (original).

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