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Guerre Israël-Palestine : quels sont les crimes de guerre qui pourraient déjà avoir été commis ?

Depuis le début de la guerre, les preuves d’éventuels crimes de guerre s’accumulent, mais de quoi parle-t-on et quelles sont les perspectives en matière de justice ?
Une fillette palestinienne en pleurs après les frappes aériennes, à Khan Younès, au sud de la bande de Gaza, le 14 octobre 2023 (Reuters)

Il y a déjà des preuves manifestes que des crimes de guerre ont été commis la semaine dernière en Israël et dans la bande de Gaza selon les juristes et les organisations de défense des droits de l’homme.

Jeudi dernier, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a confirmé être compétent pour tout crime de guerre perpétré par les Israéliens ou les Palestiniens.

Quels crimes pourraient donc avoir déjà été commis et quelles sont les perspectives en matière de justice ?

À commencer par l’attaque surprise du samedi 7 octobre, qui a tué près de 1 600 Israéliens, le ciblage apparemment délibéré de civils par les combattants palestiniens, leurs attaques aveugles et la prise d’otages civils constituent des crimes de guerre selon Human Rights Watch.

Il pourrait même s’agir de crimes contre l’humanité « étant donné la nature généralisée et le caractère systématique des attaques », écrit Tom Dannenbaum, professeur adjoint de droit international à la Fletcher School de l’Université de Tufts. 

Si les crimes de guerre désignent des actes menés uniquement lors de conflit armé et sont généralement des cas particuliers d’infraction, les crimes contre l’humanité sont définis comme des actes délibérés menés systématiquement qui provoquent des souffrances humaines ou la mort à grande échelle.

Quarante-huit heures après l’attaque menée par le Hamas, le ministre israélien de la Défense Yoav Galant a annoncé un « siège total de Gaza ». 

« Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est bouclé. Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence », a-t-il déclaré

Ses commentaires ont suscité l’indignation et des observateurs ont fait remarquer que Gaza faisait déjà l’objet d’un blocus illégal depuis seize ans.

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Par ailleurs, ils ont aussi été démontés par des juristes qui expliquent que cela suggère des actes et politiques délibérés qui seraient illégaux, avec un vocabulaire « génocidaire » selon l’un d’eux.

« Affamer intentionnellement des civils, assoiffer intentionnellement des civils et endommager intentionnellement des infrastructures civiles constituent des crimes de guerre », commente sur X (anciennement Twitter) Michael Sfard, avocat israélien spécialiste des droits de l’homme.

« Galant semble les suggérer comme des méthodes de guerre. Une telle politique ne saurait être légale quel que soit le contexte. »

Israël a indiqué que l’approvisionnement en eau et en carburant ne serait pas restauré tant que le Hamas ne libérerait pas les otages israéliens emmenés lors de son offensive. Le Hamas et le Jihad islamique palestinien disent avoir ramené 130 captifs à Gaza.

Kristyan Benedict, responsable de la réaction aux situations de crise au sein d’Amnesty International Royaume-Uni, explique à Middle East Eye : « La sanction collective d’une population civile constitue un crime de guerre, comme l’est l’utilisation du fait d’affamer des civils comme arme de guerre.

« Placer de nouvelles restrictions sur l’accès aux services essentiels à Gaza équivaut à une condamnation à mort pour de nombreux habitants, les privant d’eau, de nourriture et de médicaments. »

Bombes, phosphore blanc et « complicité »

Le bombardement de Gaza par Israël pourrait également constituer un crime de guerre. Selon l’organisation Euro-Med Human Rights Monitor basée à Genève, Israël a largué l’équivalent d’un quart d’une bombe nucléaire lors de son offensive en cours. Ces bombardements ont notamment touché des écoles, des hôpitaux et le poste-frontière de Rafah, entre autres sites dans des zones densément peuplées.

« Tuer aveuglément des civils dans le contexte des hostilités, sans égard pour les principes de distinction, de précaution et de proportionnalité, constitue un crime de guerre », ont rappelé une cinquantaine d’experts de l’ONU.

« Constitue un crime de guerre le fait d’aider à la commission d’un crime de guerre. Cela s’applique aux politiciens qui ont sans équivoque encouragé et soutenu la réaction d’Israël »

- Tayab Ali, directeur de l’International Centre of Justice for Palestinians

Les experts et les organisations de défense des droits humains voient également un potentiel crime de guerre dans le tir de barrage aveugle de roquettes depuis Gaza à la fois pendant l’offensive palestinienne et depuis : des milliers d’entre elles ont atterri dans le centre et le sud d’Israël et ont même atteint Haïfa et Safad, dans le nord du pays.

L’utilisation présumée de phosphore blanc par Israël dans ses opérations militaires à Gaza et au Liban, qui selon HRW expose les civils à un risque de blessures graves et à long terme, pourrait là encore constituer un crime de guerre.

« Le phosphore blanc n’est pas toujours interdit par le droit humanitaire international, mais son usage constitue un crime de guerre lorsqu’il vise des civils ou est fait aveuglément », précise Marc Kersten, professeur adjoint de justice pénale et de criminologie à l’Université Fraser Valley au Canada.

Il explique à MEE : « Ce qu’on doit regarder, comme pour ce qui est arrivé à Gaza en 2009, c’est si les forces israéliennes l’utilisent d’une manière où il est diffusé dans l’atmosphère, explose puis retombe sur des zones où vivent principalement des civils. » 

Maintenant, avec l’appel d’Israël à ce que 1,1 million de Palestiniens du nord de Gaza fuient vers le sud vendredi, certains estiment que le pays pourrait être sur le point de commettre d’autres crimes potentiels.

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Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés, indique qu’« en l’absence de garantie ou de sécurité ou de retour », la demande des Israéliens s’apparenterait au crime de guerre de transfert forcé. « Il faut revenir là-dessus », plaide-t-il.

Tayab Ali, directeur de l’International Centre of Justice for Palestinians (ICJP), a déclaré dans Good Morning Scotland : « Un million de personnes ont reçu l’ordre de partir ou mourir dans ce qui est de fait un camp de prisonniers à ciel ouvert. Il n’y a jamais eu de signes plus clairs que non seulement Israël est prêt à commettre des crimes de guerre, mais qu’il est sur le point de commettre un crime contre l’humanité. »

Samedi, l’ICJP a déclaré avoir écrit à des cadres du gouvernement britannique qu’il avait l’intention de les poursuivre pour « complicité de crimes de guerre à Gaza », ce qui selon Tayab Ali est en soi un crime de guerre.

« Constitue un crime de guerre le fait d’aider à la commission d’un crime de guerre », affirme-t-il à MEE. « Cela s’applique aux politiciens qui ont sans équivoque encouragé et soutenu la réaction d’Israël. »

Celui-ci ajoute : « Les politiciens ont été prévenus d’exhorter Israël à la retenue. Au contraire, beaucoup ont exprimé un soutien sans équivoque et sans réserve à Israël, et certains gouvernements ont envoyé une aide militaire dans la région. Ces actes doivent faire l’objet d’une enquête immédiate de Scotland Yard et de la CPI. »

Les yeux tournés vers la CPI

Dimanche, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a par ailleurs affirmé que l’ordre israélien d’évacuer une vingtaine d’hôpitaux et centres médicaux à Gaza pouvait « constituer une violation du droit humanitaire international ».

Étant donné l’accumulation de preuves de crimes, certains observateurs appellent la CPI à se saisir.

« L’histoire a montré que les Palestiniens n’ont pas grand-chose à attendre de la part des tribunaux internationaux, du droit international et de la communauté internationale »

- Penny Green, Université Queen Mary de Londres

La semaine dernière, le bureau du procureur de la CPI a confirmé que les « crimes de guerre commis dans le contexte actuel » feraient partie de l’enquête ouverte en 2021 sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dans les territoires palestiniens occupés depuis 2014.

Cette enquête, rejetée par Israël et les États-Unis, a été critiquée pour sa lenteur.

À Amnesty International, Kristyan Benedict exhorte le Royaume-Uni et les autres États à offrir leur « soutien sans équivoque et sans réserve » au travail de la Cour. « L’enquête de la CPI avance trop lentement et doit progresser rapidement pour aider à créer un effet dissuasif », estime-t-il.

« À chaque heure, jour, semaine ou année qui passe sans [avancée], cela sape sa crédibilité et amène à se demander quelles preuves supplémentaires il lui faut », poursuit Kristyan Benedict.

Jeudi, Karim Kahn, procureur de la CPI, a commenté pour la première fois les violences.

« Ce qui se passe est horrible, ce que nous voyons sur nos écrans de télé. Il doit y avoir un processus juridique pour déterminer les responsabilités pénales », a confié Khan à Reuters.

Il a également indiqué que la CPI était compétente concernant les crimes de guerre commis depuis le début de la guerre, même si Israël n’est pas membre du tribunal.

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Si la CPI est désormais le meilleur espoir juridique pour ceux qui cherchent la justice, certains experts indiquent que les Palestiniens, qui ont accédé à la CPI en 2015, craignent que des considérations politiques n’entravent le travail de la cour.

« L’histoire a montré que les Palestiniens n’ont pas grand-chose à attendre de la part des tribunaux internationaux, du droit international et de la communauté internationale », indique Penny Green, professeur de droit et directrice de l’International State Crime Initiative à l’Université Queen Mary de Londres.

« J’ai bien peur qu’ils n’obtiennent pas justice via le droit et les tribunaux. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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