Yennayer, une fête amazighe riche de traditions et de partage
Premier jour du calendrier julien (en décalage de treize jours par rapport au calendrier grégorien plus vastement utilisé à travers le monde), Yennayer, ou Nouvel An amazigh, coïncide avec le début du calendrier agraire nord-africain et marque l’éclosion de la prochaine récolte et la fin des labours.
Symbole du lien d’appartenance identitaire, Yennayer réunit les Amazighs du monde entier, ce groupe ethnique autochtone d’Afrique du Nord.
Le récit mythologique amazigh raconte que dans les contrées d’Afrique du Nord, où bonheur et prospérité étaient synonymes de clémence des saisons, la première mère du monde, appelée al-Aajouza (la vieille dame en arabe), se réjouissant de la fin de la rudesse de l’hiver, sortit faire pâturer ses chèvres pour persifler janvier.
Fou de rage, Yennayer (janvier en tamazigh) demanda à Furar (février) de lui accorder un jour supplémentaire, le temps de punir l’orgueil de cette femme qui avait osé défier la puissance de la nature.
Il déclencha ainsi des chutes de neige si fortes qu’elles emportèrent la vieille femme en l’espace de quelques secondes. Comme tous les mythes, chaque région possède sa propre version. Il se raconte aussi que Yennayer transforma al-Aajouza en statue de pierre et emporta sa chèvre.
Toujours est-il que depuis, les Amazighs célèbrent le premier jour du Nouvel An du calendrier julien en guise de remerciement à la Terre-Mère nourricière.
La première trace écrite de Yennayer et de ses festivités remonterait à al-Andalus, l’Andalousie musulmane du Moyen Âge. Le poète de Cordoue Muhammed Ibn Quzman (1078-1160) décrit dans son Diwan (recueil de poésie) l’ambiance odorante des souks bien achalandés et dépeint les quantités de confiseries étalées exclusivement pour accueillir Yennayer.
Journée chômée et payée en Algérie depuis 2018
Si Yennayer est l’une des plus anciennes célébrations de l’humanité correspondant au premier jour du calendrier julien, le calendrier amazigh n’a été instauré qu’à partir de 1980.
En effet, c’est à ce moment-là que l’écrivain algérien Ammar Negadi (1943-2008), alors fondateur de l’Union du peuple amazigh, propose à l’Académie berbère, association culturelle basée à Paris et vouée aux cultures amazighes, la création du point zéro de l’ère amazighe à partir de l’an 950 avant J-C, en référence à l’accession au trône d’Égypte de Sheshonq Ier, issu d’une tribu libyque, ancêtre des Amazighs modernes, après avoir vaincu Ramsès III (1217 av. J-C, 1155 av. J-C,)
Ainsi, l’année 2023 correspond à l’année 2973 du calendrier amazigh.
Depuis 2018, par décret de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika (1937-2021), Amenzu n Yennayer (le Nouvel An amazigh) est une fête officielle chômée et payée en Algérie.
L’année d’après, la Libye officialisera à son tour le statut de Yennayer pour l’inscrire dans son calendrier des événement nationaux. Au Maroc, les associations continuent d’œuvrer pour décréter Yennayer fête nationale. En Tunisie, les autorités n’ont pas non plus donné de statut particulier au Nouvel An berbère. Les médias en parlent peu mais certains villages, comme Tamazart (sud-est) ou La Soukra (nord), le fêtent.
Fécondité, profusion et prospérité sont les trois sésames d’un foyer de tradition agraire.
De ce fait, les traditions de Yennayer consistent à honorer ces vertus afin d’apporter la prospérité durant les douze prochains mois.
Grand ou petit, chacun doit accomplir différentes tâches. Les femmes nettoient précieusement leurs ustensiles tels que l’azzetta (métier à tisser), la tasirt (petite meule) et le kanun (foyer) pour appeler à l’abondance des moissons et des récoltes.
Les hommes taillent les arbres fruitiers pour procurer longévité et prospérité à la végétation.
Dans le but de s’initier au labeur, les adolescents récoltent fruits et légumes. Les plus petits confectionnent des masques dans l’intention de se déguiser et d’aller sonner aux portes en demandant des confiseries.
Le concours des forces invisibles
Au petit matin, l’aînée de la maison saupoudre tous les recoins du foyer d’ibsis, un mélange de farine, d’huile et de sel. Puis, elle chasse tamyart n gar aseggwas (l’épouse de la mauvaise année) en balayant symboliquement toutes les pièces.
La tradition veut également qu’on laisse dans les recoins de la maison et dans les lieux considérés comme saints (seuil de la porte, pied des troncs d’arbre tels oliviers, près du moulin à grains), une fine quantité de nourriture pour offrir l’hospitalité aux forces gardiennes des maisons.
Il est également de coutume d’effectuer la première coupe de cheveux des garçons âgés de moins d’un an pendant ce mois.
C’est ce qu’explique l’ethnologue française Camille Lacoste-Dujardin dans son Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie : « Yennayer était marqué par certains rites destinés à accompagner le Nouvel An, à bien présager de cette nouvelle année, et à en écarter la famine en s’assurant du concours des forces invisibles : on sacrifiait alors un coq pour préparer le repas du soir ; puis l’on plaçait, sur la poutre faîtière de la maison, les cheveux de la première coupe des enfants de la maisonnée de moins d’un an ; et encore, on renouvelait les trois pierres du foyer, résidence de iâssassen [gardiens] et sur lesquelles, le soir après le dîner, l’on déposait les restes du repas qu’ils devraient manger pendant la nuit. »
Pendant ces soirées hivernales, les conteuses relatent les aventures de Teryel, l’ogresse des contes d’Afrique du Nord.
Pour éloigner la foudre, les Amazighs se parent de leurs plus beaux habits et préparent un dîner de communion, imensi n yennayer (le dîner de Yennayer), pour lequel chaque région met à l’honneur sa spécialité.
La nourriture cuisinée est généralement bouillie, cuite à la vapeur ou levée. Car les aliments dont le volume augmente à la cuisson sont de bon augure et incarnent l’abondance des denrées.
Les familles se réunissent autour d’un festin copieux. En revanche, il est interdit de manger des aliments à goût amer afin de se prémunir contre une mauvaise année.
Les mets incontournables sont les galettes traditionnelles, le couscous, le berkoukes (boulettes de farine cuites dans un bouillon léger et accompagnées de la viande de la volaille sacrifiée pour l’occasion).
La soirée continue avec du thé et d’infinies douceurs en consommant des fruits secs de la précédente récolte amassés dans de grandes cruches en terre.
En Algérie, le plus jeune membre de la famille sera placé par ses grands-parents ou ses grands-oncles dans une bassine où ils verseront délicatement sur sa tête al-traz (mélange de châtaignes, dattes, figues, noix, noisettes, amandes, cacahuètes, glands, dragées et friandises). Puis, tous les membre de la famille prendront des poignées d’al-traz.
Au Maroc, la spécialité culinaire est l’ourkimen, un plat à base de légumineuses servi avec un bol d’huile d’olive au centre. Il est de coutume de dissimuler à l’intérieur du plat un noyau de datte appelé aghermi, sensé porter bonheur à la personne qui le trouvera, telle la fève de la galette des rois.
La table est garnie de tagoulla, une purée composée de semoule d’orge, d’eau ou de lait, puis décorée de fruits secs. Elle se consomme avec l’amlou, une pâte à tartiner à base d’amandes torréfiées, de miel et d’huile d’argan.
Mais Yennayer est d’abord synonyme d’entraide et de partage. Pendant des jours, ceux qui le célèbrent s’organisent pour distribuer plats et aumônes aux plus démunis.
« C’est l’esprit de partage et de générosité qu’encourage Yennayer comme une réponse en réaction à l’adversité de la nature », explique le Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA, institut académique algérien chargé de l’étude et de la promotion de la langue et de la culture amazighes).
« Cette période de disette, de grand froid et de journées courtes et sombres doit-être affrontée avec un esprit communautaire fait de compassion, d’entraide et d’amour du prochain. »
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