Pour la première fois dans l’histoire d’Israël, un véritable camp de la paix émerge au sein de la population juive
Il lui a peut-être fallu un an et trois élections pour y parvenir, mais mardi, Benyamin Netanyahou a commencé à ressembler au grand Houdini de la politique israélienne – le roi de l’évasion.
Le bloc de Netanyahou, composé de partis de colons et de religieux extrémistes, a remporté 58 sièges sur les 120 que compte le Parlement, il lui manque donc 3 sièges pour la majorité absolue.
Mais plus important encore, son Likoud a obtenu trois sièges de plus que son principal rival, Benny Gantz, ancien général de l’armée qui dirige le parti laïc de droite Bleu Blanc.
Netanyahou a gagné, même si le procureur général l’a récemment inculpé pour de multiples accusations de corruption. Son procès doit débuter dans deux semaines.
Les Palestiniens se déplacent pour voter
Éclipsé par l’intrigue principale qui s’est jouée entre Netanyahou et Gantz, l’autre sujet important de cette élection est la vague de soutien à la Liste unifiée, la faction représentant la grande minorité palestinienne d’Israël.
Elle a remporté quinze sièges – deux députés de plus qu’en septembre – soit sa plus forte représentation à la Knesset. La Liste unifiée est maintenant de loin le troisième plus grand parti du pays.
Bien qu’il soit trop tôt pour savoir avec certitude pourquoi le taux de participation en faveur de la Liste a bondi, il y a trois explications probables.
Les citoyens palestiniens, soit un cinquième de la population israélienne, semblent avoir l’impression que leur vote est important pour la première fois – ou du moins qu’il doit avoir de l’importance
L’une d’elle est que les citoyens palestiniens, soit un cinquième de la population israélienne, semblent avoir l’impression que leur vote est important pour la première fois – ou du moins qu’il doit avoir de l’importance.
En avril dernier, lors de la première élection du cycle actuel, moins de la moitié des électeurs appartenant à cette minorité s’étaient rendus aux urnes, faisant remporter dix sièges à la Liste. Cette fois, il est probable qu’environ les deux tiers se soient déplacés pour voter.
Cela est en partie lié au plan Trump, qui promeut ce qu’on appelle des « échanges de terres », une ambition de la droite dirigée par Netanyahou. Ces échanges permettraient à Israël d’annexer les colonies et, en retour, un quart de million de Palestiniens seraient privés de leur citoyenneté israélienne et assignés au patchwork d’« État [palestinien] en attente ».
Cette menace – le nettoyage ethnique par un tour de passe-passe – a fort probablement énervé de nombreux citoyens palestiniens d’Israël qui avaient précédemment boycotté les élections ou qui étaient trop désabusés pour se déplacer. Ils voulaient montrer que leur citoyenneté ne peut être ignorée, ni par Trump ni par Netanyahou.
Un nouveau pouvoir
Mais la remontée de la Liste unifiée est antérieure au plan Trump. En septembre, le taux de participation de la minorité a grimpé à près de 60 %.
Jusqu’à récemment – et certainement depuis l’éruption de la seconde Intifada il y a vingt ans –, le sentiment était que la politique israélienne était une affaire exclusivement juive. La majorité sioniste était d’accord sur les fondamentaux politiques, et les citoyens palestiniens ne croyaient pas pouvoir faire la différence. Leur voix n’avait pas la moindre importance.
Mais les trois dernières élections suggèrent un léger changement. Il est vrai que cette minorité n’est toujours pas entendue. En fait, les opposants de Netanyahou – que ce soit Bleu Blanc de Gantz ou la nouvelle coalition dirigée par les travaillistes – se sont activement distanciés de la Liste unifiée, étant donné que Netanyahou leur a rabattu qu’il serait immoral de compter sur les députés « arabes » pour gouverner.
Ce que les trois élections ont prouvé à la place, c’est que, par son vote, la minorité pourrait bloquer le chemin de Netanyahou vers le pouvoir et ainsi se venger de son incitation constante à la haine contre eux et leurs représentants en tant que traîtres et l’ennemi d’un État juif.
En fait, si le taux de participation des citoyens palestiniens avait été sensiblement plus faible, Netanyahou aurait probablement obtenu les 61 sièges dont il avait besoin.
C’est précisément sa crainte du vote des Palestiniens qui a conduit Netanyahou à adoucir ses provocations contre la minorité pendant les dernières étapes de la campagne. Des remarques antérieures, telles que « les Arabes veulent nous anéantir tous – hommes, femmes, enfants », se sont retournées contre lui lors des dernières élections en septembre, en faisant grimper la participation de la minorité.
Ce nouveau sentiment de pouvoir, cependant, peut ne pas durer. Il découle du fait que Netanyahou a amèrement divisé l’électorat juif. Sans lui, un consensus sioniste – qui traite les Palestiniens comme de simples pions à déplacer à volonté sur un échiquier juif – est susceptible de se rétablir rapidement.
Disparition du camp de la paix
L’autre explication probable – et optimiste – de cette vague est qu’un nombre record de juifs israéliens semblent avoir soutenu la Liste unifiée.
La Liste comprend quatre partis politiques, dont un seul – le socialiste Hadash – se présente comme un parti arabo-juif. La place unique qu’il réservait habituellement à un législateur juif dans une position réaliste sur sa liste reflétait le fait que très peu de juifs israéliens soutenaient le parti.
La baisse du soutien des juifs n’a fait que s’exacerber lorsque Hadash a été contraint par une nouvelle loi imposant un seuil d’éligibilité d’entrer dans le pacte de la Liste unifiée à temps pour l’élection de 2015. Il a dû côtoyer un parti islamiste et un parti libéral qui rejette explicitement Israël en tant qu’État juif.
Alors, pourquoi ce changement apparent lors de cette élection ?
Les juifs qui s’identifient comme appartenant au camp de la paix ont vu leurs partis traditionnels de la « gauche sioniste » – travaillistes et Meretz – les abandonner. Alors que le public juif israélien vacille toujours plus à droite, les deux partis de la « paix » se sont élancés derrière lui. Ni l’un ni l’autre ne parle désormais d’un État palestinien ou de la fin de l’occupation.
Le dernier clou dans le cercueil a été planté à l’occasion de cette élection quand – pour se sauver de l’oubli électoral – Meretz, le plus à gauche des partis sionistes, est entré dans une coalition formelle non seulement avec le parti travailliste centriste, mais avec Gesher, dont la dirigeante Levy-Abekasis était une transfuge du parti d’extrême droite de Lieberman Israel Beytenou.
Les travaillistes, parti fondateur d’Israël, et Meretz espéraient que cette décision les renforcerait. Au contraire, elle marque un autre tremplin majeur vers leur disparition. Ensemble, ils devraient remporter sept sièges, un de plus que ce que les travaillistes avaient gagné par eux-mêmes en avril dernier – la pire performance du parti jusqu’alors.
« Une vraie gauche »
Le centre israélien est pressé de tous côtés : les partisans les plus bellicistes du parti travailliste se sont tournés vers Bleu Blanc, tandis que les pacifistes de Meretz semblent flirter avec la Liste unifiée.
Ce n’est peut-être qu’un petit nombre, mais c’est un développement encourageant – quasi-révolutionnaire
Ce n’est peut-être qu’un petit nombre, mais c’est un développement encourageant – quasi-révolutionnaire. Cela suggère que pour la première fois dans l’histoire d’Israël, un véritable camp de la paix émerge au sein de la population juive. Pas un camp à la poursuite d’une illusoire solution à deux États, fondée sur le privilège juif, mais un camp prêt à s’asseoir aux côtés des partis palestiniens en Israël et à les soutenir, même en tant que partenaire mineur.
Le chef de la Liste unifiée, Ayman Odeh, a célébré ce changement mardi, déclarant : « C’est le début de la montée d’une vraie gauche. »
Cela peut s’avérer être le point positif dans le tableau beaucoup plus sombre de cette élection, où une grande partie de la population juive israélienne a clairement indiqué non seulement qu’encore une fois, elle ne se soucie pas des abus à l’encontre des Palestiniens – sous occupation ou en tant que citoyens – mais qu’elle est maintenant devenue insensible à l’autoritarisme et aux abus contre ce qui reste de leurs institutions démocratiques.
- Jonathan Cook est un journaliste anglais basé à Nazareth depuis 2001. Il a écrit trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. www.jonathan-cook.net
Traduction partielle de l’anglais (original) par VECTranslation.
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