En France, il n’y pas de séparatisme musulman, ce sont les élites qui ont déjà fait sécession
Cela n’a pas tardé. Dès son discours de politique générale devant les députés, le nouveau Premier ministre français Jean Castex a annoncé vouloir combattre le « séparatisme » et « l’islamisme », qui s’en prendraient selon lui « aux lois de la République ». En cela, il a mis ses pas et ses mots dans ceux d’Emmanuel Macron, qui déclarait en janvier 2020 : « Il y a dans notre République, aujourd’hui, ce que j’appellerais un séparatisme. »
La France sort endolorie d’une vaste crise sanitaire durant laquelle ses certitudes ont été ébranlées. Un service public de la santé, réputé « le meilleur du monde », qui a montré tout à la fois sa solidité grâce au dévouement des soignants et sa fragilisation extrême, à coup d’austérité budgétaire. Une hécatombe dans les EHPAD, barbarie feutrée d’une civilisation qui laisse mourir les plus âgés.
État désemparé, tâtonnant, entre un président au verbe vain et un Premier ministre blanchissant sous le harnais. Et maintenant ? Une bérézina économique qui se profile, quels que soient les monticules d’euros que la France se démène à obtenir de l’Europe pour l’amortir.
La Banque de France prévoit la destruction de près d’un million d’emplois d’ici 2021, avec un taux de chômage qui dépasserait les 11 %. Comment une société peut-elle faire encore corps commun ? Comment une nation pourrait-elle partager une destinée commune avec un tel chiffre ? Là devraient être l’inquiétude et l’urgence.
Pourtant, le Premier ministre a choisi de remuer l’infect et dangereux brouet des vieux chaudrons où cuisent et recuisent les tendances lourdes de la société française et les tristes tropismes d’hommes politiques impuissants devant la crise économique qui vient.
La Bible et l’Histoire nous avertissent. La tentation génocidaire ou le gouffre de la guerre civile découlent toujours de l’idée d’un corps étranger, ou qualifié comme tel, dans la communauté nationale.
Du livre d’Esther (3-8 et 9), où le génocide est ordonné contre les juifs parce qu’ils étaient considérés comme « un peuple unique, bien que dispersé, qui reste bien à part parmi les peuples. Il a des lois différentes de celles de tous les autres peuples et n’applique pas celles du roi », au génocide des Tutsis au Rwanda, en passant par la Saint-Barthélemy en France, c’est la même spirale destructrice en prophétie autoréalisatrice.
Du communautarisme au séparatisme
Le Premier ministre a énuméré une série de faits divers qui ont concerné les seuls quartiers populaires. Dans sa liste des « ennemis » de la République, « séparatistes » et « communautaristes » se suivent. Glissement sémantique et perversion de sens.
Le communautarisme désigne jusque-là des pratiques culturelles ou cultuelles individuelles, perçues en France comme une menace pour la cohésion nationale. Le séparatisme désigne la volonté d’un groupe d’individus, unis par un certain caractère et une zone géographique, de se détacher politiquement d’une collectivité à laquelle ils appartiennent.
Le séparatisme constituerait donc, selon l’esprit qui se dégage des mots du Premier ministre, un stade supérieur au communautarisme.
Car, si ce dernier concerne surtout des individus, le séparatisme serait la cristallisation politique d’une volonté collective, d’une communauté structurée et unie qui poserait et imposerait des revendications politiques contraires ou opposées au corps national. En concurrence directe avec l’État comme source de la norme.
Là est le danger de cette inflexion du discours politique. Là est la pierre d’achoppement où peut se briser une société.
Tant Emmanuel Macron que Jean Castex se sont exprimés en capillarité sémantique implicite mais dans un agencement de mots suffisamment clairs pour que s’impose à l’esprit l’identité des personnes ainsi visées. Sans que jamais des individus précis soient toutefois désignés.
Car enfin, quels sont les groupes tentés par ce « séparatisme » ? En quoi se séparent-ils concrètement des lois de la République ? Quelles sont ces lois alternatives qui viendraient concurrencer la loi commune et générale ? Rien n’en est dit clairement. Des allusions « allusives » seulement…
Puis y a-t-il réellement séparatisme social là où il faudrait plutôt interroger le ségrégationnisme social qui s’étend en France au-delà des quartiers populaires, entre territoires abandonnés et zones en abandon ? Le séparatisme peut être subi : des personnes se retrouvent malgré elles dans des territoires de relégation sociale et d’abandon par l’État.Pourtant, si l’on suit du regard les catégories de la population ainsi accusées, ne sont-elles pas celles qui ont payé le plus lourd tribut face à l’épidémie de coronavirus ? Ne sont-ce pas ces mêmes derniers de cordée, souvent les dits racisé-e-s, qui ont tenu le tissu de la société française pendant que le reste de la France était confinée ?
Et si c’était précisément l’accusation de communautarisme qui créait le repli apeuré sur la communauté ainsi désignée ? En accusation performative. Une hypothèse à laquelle avait déjà réfléchi Jean-Paul Sartre. Dans son interrogation sur la condition juive, le philosophe concluait que le juif était un homme tenu pour juif par les non-juifs. C’est le regard d’autrui qui fait du juif un juif.
Ces mêmes mécanismes et circuits neurologiques nationaux qui ont construit l’antisémitisme construisent désormais l’islamophobie. Une intuition qu’eut Emmanuel Todd dans Qui est Charlie. Intuition inaudible et insupportable alors tant elle menaçait de libérer des tourments destructeurs difficilement contenus en France.
Si le penseur anticolonialiste Frantz Fanon écrivait : « Quand vous entendez parler des juifs, tendez l’oreille, on parle de vous », le climat français actuel est tel que la formule s’inverse tout autant : « Quand on entend parler des Arabes, des Roms et des noirs, tendez l’oreille, on parle encore de vous ».
Séparatisme social des riches et ségrégation sociale des pauvres
Le pouvoir est pensé selon une division héritée des Lumières, tout entière construite autour de la loi comme expression de la volonté générale ou nationale. Les pouvoirs se sont faits législatif, exécutif et judiciaire, dans un jeu de limites mutuelles. La presse est venue s’ajouter en quatrième pouvoir.
Mais dans un monde où la loi est de plus en plus impotente, concurrencée en cela par l’économie qui façonne les relations internationales, sociétales et interpersonnelles, cette division du travail normatif est-elle encore valable ?
Ils sont ceux qu’Emmanuel Macron appelle les « premiers de cordée », les « gens qui réussissent » en opposition à ceux qui « ne font rien ». C’est dans ce groupe lié par une communauté de destin que se décèle le vrai séparatisme social
Car qu’observe-t-on sinon que l’ordonnancement du monde qui s’impose se divise en pouvoir politique, pouvoir économique et pouvoir médiatique ? Autrement dit, l’hétéronomie s’embranche en trois sphères : le pouvoir coercitif d’« ordonner » par la loi le monde (l’État), celui d’en ordonnancer les activités productives (l’économie) et le pouvoir de le dire et le représenter (les médias). Infrastructure et superstructure intimement liées, rien de nouveau sous le soleil matérialiste.
Cette imbrication des pouvoirs se décèle jusque dans cette information rapportée par les peu ragoutants magazines de ragots. Une journaliste politique a été, est, serait en couple avec un important ministre du gouvernement Castex. Les réseaux sociaux ont eu tôt fait de rappeler l’air de madone transcendée de cette journaliste quand elle parlait du président Macron.
Journalisme politique embedded, caricaturé jusqu’au « couple de pouvoir ». Au-delà, endogamie, sinon consanguinité sociale. Confusion des sphères médiatiques, politiques et économiques.
Leurs acteurs partagent une communauté de vie. D’habitus, aurait dit le sociologue Pierre Bourdieu. De vision commune à l’évidence. Ils sont ceux qu’Emmanuel Macron appelle les « premiers de cordée », les « gens qui réussissent » en opposition à ceux qui « ne font rien ». C’est dans ce groupe lié par une communauté de destin que se décèle le vrai séparatisme social.
Le sécessionnisme social et républicain se traduit partout. Dans leur façon de vivre en quartiers, avec la villa Montmorency en caricature de « favela » marbrée. Des zones uniformes socialement, sans mixité, fonctionnant en vase clos et cooptation : les véritables « territoires perdus » de la République.
Sécession aussi dans cette façon de vivre au-dessus des lois ou de l’éthique. D’un François de Rugy à un Gérald Darmanin, ils sont au-dessus de la loi commune. Mieux, ils font la loi pour les autres et décident, en privi-lège (ou loi privée), pour eux.
À eux seuls l’autonomie. Au reste, les « sans dents », « ceux qui ne font rien », l’hétéronomie de plus en plus étouffante et injuste. La loi comme expression de l’intérêt général et public s’efface. La Res publica devient la chose privée, privatisée.
La famille Le Pen, dans sa structure et son mode de fonctionnement héréditaire, patrimonial et patriarcal, est peut-être le modèle clanique qui caractérise le mieux cette caste.
Que ce soit Marine Le Pen ou Marion Maréchal, voici des héritières qui se contentent de faire fructifier le capital symbolique et réel accumulé par le patriarche Jean-Marie, fondateur du Front national. Au frais et au dépens de riches parrains, de l’État et désormais de l’Europe. La célébration médiatique de cette famille, façon « dynastie », est tout autant une structure familiale ainsi mise en avant : celle d’une France craintive et qui se ferme sur elle-même.
Cette impression d’un sécessionnisme des plus riches est démontrée par une étude de l’IFOP pour la fondation Jean-Jaurès. L’étude détaille un processus de constitution d’une catégorie sociale hors-sol, pour qui les interactions avec le reste de la population se font de plus en plus rares.
Dans un processus pas forcément conscient, cette catégorie sociale se constitue un socio-système déconnecté, quasi-autarcique, en uniformité sociale de bon aloi.
Une uniformité d’espace (mêmes écoles et mêmes parcours) où cette catégorie sociale semble vivre comme exemptée de ses responsabilités sociales. Les sociologues Michel et Monique Pinçon-Charlot ont abondamment documenté cela, en descriptions naturalistes de la vie des riches.
Le repli ne serait dès lors pas décelable à la base de la société française, dans les quartiers populaires ou dans les zones désertées, mais bel et bien au sommet de la pyramide sociale : chez les prescripteurs politiques, économiques et médiatiques qui ont perdu tout sens de la communauté de vie et de destin, celle qui fait précisément peuple et nation.
Le fétichisme de la République
Ce sont ces mêmes catégories qui constituent le matelas d’amortissement électoral d’Emmanuel Macron. Leurs mots traduisent un mépris social qui a particulièrement éclaté durant la crise des Gilets jaunes.
À défaut de faire encore corps avec le peuple, cette catégorie sociale en séparatisme flagrant tente de « faire peuple ». Littéralement. Du moins, de singer une certaine image du peuple qu’elle a, en flattant ce qu’elle croit être les tristes passions populaires : le racisme le plus crasse et la xénophobie la plus apeurée.
Le coup de génie est de donner l’illusion d’une prédominance du clivage sociétal horizontal (les habits neufs culturalistes et civilisationnels du bon vieux racisme) afin de mieux faire oublier le clivage social vertical riches/pauvres
Car que reste-t-il d’autre à ces élites pour faire encore lien dans un corps social que les politiques économiques appliquées distendent et déchirent ? Le racisme distillé et instillé par les discours politiques et médiatiques se fait extincteur à toute colère sociale légitime en la catalysant ailleurs.
Le coup de génie est de donner l’illusion d’une prédominance du clivage sociétal horizontal (les habits neufs culturalistes et civilisationnels du bon vieux racisme) afin de mieux faire oublier le clivage social vertical riches/pauvres. Ainsi, en agitant ad nauseam les débats autour des tensions séparatistes, les questions économiques de partage des richesses sont plus aisément évacuées.
Ou plutôt, en agitant le clivage sociétal, on donne l’illusion de résoudre, dans le même mouvement, le clivage économique. À un État impotent et vidé de toute prérogative sur le plan économique, la division sociétale donne l’illusion et le prétexte de pouvoir encore agir et faire.
Et dans ce paysage politico-médiatico-économique, il faut interroger l’absolue ruse de la mémoire historique qui consiste à laisser dire les pires insanités par un journaliste, d’origine berbère juive algérienne. Sous couvert de chocs civilisationnels et de vernis de profondeur historique, Éric Zemmour ne tente-t-il pas aussi désespérément de montrer « pattes blanches » ? Quitte à les essuyer très aisément sur d’autres.
Et ces débats soliloqués se font avec l’assentiment d’une journaliste française de la Guadeloupe. Deux réchappés de l’histoire coloniale française absolvent cette même histoire. Mieux, la justifient et la magnifient. Un rêve républicain ? Non, un cauchemar colonial.
Autre déshérence, celle qui consiste à porter sur l’avant-scène ce que nous qualifierons de « native desinformants » : ceux qui confisquent la parole d’une communauté à laquelle ils appartiennent mais dont ils n’ont pourtant pas le soutien. Ils se situent à la limite, suffisamment « étrangers » pour apporter une prétendue expertise et assez « autochtones » pour rassurer.
Perçu comme ayant pu s’émanciper de cette communauté originelle, le « native desinformant » est là pour confirmer les accusations et fantasmes contre cette même communauté. Il vient les justifier tout en permettant d’évacuer l’accusation de racisme. Car voyons, « c’est un des leurs qui le dit » !
Un récent rapport du Sénat portant sur « la radicalisation islamiste » a fait précisément appel à des « native desinformants », ou perçus comme tels. Ici, fut auditionnée une journaliste marocaine qui a grandi dans un pays où l’islam est religion d’État. Là, un journaliste algérien qui a vu son pays plonger dans la guerre civile.
Les deux ont pour caractéristique commune d’avoir vécu la plus grande partie de leur vie dans leur pays d’origine. Donc d’être étrangers à la sociologie et psychologie des descendants de l’immigration maghrébine en France que le rapport sénatorial sondait, interrogeait. Mettait à la question.
Le risque évident est de plaquer de force des problématiques et conclusions qui n’ont rien à voir avec la réalité française. Le risque est une radicalisation nationaliste sous couvert de République. Le risque est celui d’une radicalisation républicaniste.
À l’évidence, de cette conflictualité sociétale lentement construite, deux mots-écrans émergent : « islamisme » et « République ». Signifiants implicites, posés en antonymes absolus, ils permettent à l’accusation de racisme, dans sa crudité rance, d’être habilement évitée.
Mais il faudra bien interroger ces mots, débusquer, derrière le paravent qu’ils dressent, les remugles et fossilisations de l’impensé français. Car désormais, cet impensé déborde.
À quoi sert l’islam en France ? Pour reprendre la célèbre formule, de quoi cette religion est-elle le nom tout autant que le « non » ? Ou plutôt les musulmans, car il n’existe pas de monsieur ou madame Islam, mais des citoyens ou résidents en France dont l’islam est la religion.
L’islam, ou ses croyants, est le réceptacle disponible dans lequel sont mis évitements, angles morts, points aveugles, paroles inaudibles que la société française évite ou refuse de voir en elle-même. D’abord comme justification puis comme « dédouanement »
En dehors de toute signification que ces derniers y mettent (foi, religion, éthique, mode de vie, culture), en quoi et comment l’islam est-il devenu aussi un signifiant « vide » ? L’islam, ou ses croyants, est le réceptacle disponible dans lequel sont mis évitements, angles morts, points aveugles, paroles inaudibles que la société française évite ou refuse de voir en elle-même. D’abord comme justification puis comme « dédouanement ».
Un seul exemple suffira pour illustrer ce mécanisme : la France peut désormais « s’enorgueillir » d’avoir un ministre de l’Intérieur poursuivi pour viol. Pourtant, peu après sa nomination, ce même ministre s’est rendu dans un quartier populaire de Paris, classé parmi les dits Quartiers de reconquête républicaine (QRR). De Reconquista républicaniste aussi.
De ce territoire, il a été dit qu’il est interdit aux femmes. La cause des femmes, légitime s’il en est, a d’abord été mise ainsi au service d’un tropisme xénophobe visant les étrangers ou ceux perçus comme tel. Justification sous couvert de République.
Ce même ministre, dans la position en surplomb que lui permet sa fonction, s’est déchargé symboliquement des accusations pesant sur lui sur les hommes de ce quartier. Dédouanement au nom de l’« ordre républicain ».
Cette République, ou plutôt sa fétichisation, est devenue le paravent d’une volonté d’exclure aussi ceux qu’elle juge « incompatibles ». Véritable lit de Procuste citoyen, ce qui dépasse est coupé, ce qui est trop court est étiré.
Il ne s’agit plus pour les éternels étrangers (quand bien même ils seraient français depuis plusieurs générations) d’appartenir à la nation. La loi les y a intégrés. La question est désormais l’appartenance à la République. Ce qui reste pour eux éternellement probatoire.
La République est donc l’autre « signifiant » d’exclusion. Elle est aussi le signifiant d’une tentation sécuritaire et autoritaire. L’histoire nous apprend que Thiers et Clémenceau étaient aussi républicains et que c’est au nom de l’ordre républicain qu’ils firent réprimer dans des rigoles de sang la Commune pour l’un et les grèves pour l’autre.
Voyez la psychose qui a saisi politiques et médias avant le premier tour des municipales contre ce qui était qualifié de « listes communautaristes ».
Aucune liste ne se revendiquait comme telle. Le mot a servi surtout à dis-qualifier des listes électorales portées par des minorités ethniques, généralement perçues comme de confession musulmane. Le mot qualifie autant qu’il disqualifie et dit beaucoup plus de ceux qui l’accolent que de ceux sur qui il est accolé.
Car la peur a été déclarée. Côté médias et livres, des enquêtes se sont multipliées afin d’exposer des pratiques de clientélisme de la part de certains maires, accusés de faire « allégeance » à des représentants de la communauté musulmane pour acheter la paix sociale ou des votes dans leur ville.
Ces listes autonomes ont été comprises non pas comme l’indice d’une implication citoyenne, mais comme la mise en place d’un rapport de force futur pour consolider un clientélisme électoral. Plus encore, comme le signe d’un désir de sécession de certains quartiers ou villes populaires qualifiés en France de « territoires perdus de la République ».
Fut agitée la menace de l’entrisme de ce qui est perçu comme un islam politique qui se servirait de ces municipales comme d’un laboratoire politique.
Toujours est-il que ces accusations en bricolage idéologique qui mêlent salafisme, « Frères musulmans » ou encore « postcolonialisme » avaient surtout pour but d’idéologiser ces listes tout en les dépolitisant. En niant leur dynamique citoyenne. Donc républicaine.
Car ces listes ne s’inscrivaient pas dans une démarche séparatiste, mais dans une demande d’égalité se basant sur les principes de la République.
La peur ultime : la sédition
Dans un tel contexte éruptif, on constate, à l’intérieur des frontières nationales et contre une partie de la population, l’importation par l’État d’une conflictualité jusque-là reléguée hors de ces mêmes frontières et contre d’autres populations.
Une radicalisation des plus riches donc. Et ce, que cette radicalisation prenne la forme d’une législation de plus en plus oppressive ou inégalitaire – ou que les points de jonction ou de faille de la société française soient comme malmenés afin de mettre sous tension continue tout le tissu social.
Les Gilets jaunes, le comité Adama, les mouvements citoyens divers : voilà le peuple ! La vraie peur est moins le séparatisme que l’union de ces dynamiques dont le socle commun est l’égalité, l’aspiration à une égalité effective devant la loi et les institutions
Le nouveau ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas hésité à agiter le spectre (l’épouvantail aussi) de la « guerre civile » et d’une France « malade de son communautarisme ».
« Je pense qu‘il y a des faits importants qui démontrent que nous sommes dans un moment de confrontation entre communautés extrêmement violent. […] Le pays est malade de son communautarisme et désormais d’un islam politique qui veut renverser les valeurs de la République », a-t-il affirmé.
Au fond, et si derrière les mots de « séparatisme » et « communautarisme », la vraie crainte de ces élites hors-sol était la sédition ?
La révolte concertée contre l’autorité établie, celle de la violence économique et des privilèges indus ?
La sédition, celle qu’autorisent les textes premiers sous le nom de sûreté et devoir d’insurrection ? Cette sûreté qui est la garantie pour le citoyen d’être protégé des abus de l’État et qui se greffe à la sécurité, à savoir le devoir de l’État de protéger ses citoyens.
De quoi la France est-elle malade, pour reprendre les mots de Gérald Darmanin, sinon de services publics qui se réduisent comme peau de chagrin, d’un État à la fois violent dans sa mission de police et impotent dans ses missions de cohésion sociale et économique ? Car « It’s the economy stupid »…
Cette élite en déshérence républicaine s’accole à un « État stato-financier » (selon l’expression d’Emmanuel Todd) tout autant séparé de la société. En quasi autonomie. Voire en indifférence envers sa population, une fois passée l’élection comme simple procédure et vernis démocratique, dans la fiction encore nécessaire de démocratie.
L’État comme rapport de souveraineté et de protection sociale de sa population perd en consistance au profit d’un État qui s’autonomise par rapport à sa société et sa population. L’État ne protège pas la population contre les normes économiques déstructurantes mais veille précisément à leur application. Y compris malgré et contre sa propre population.
Le pouvoir ne peut que se verticaliser en rapports autoritaires indépassables au fur et à mesure que la politique économique de l’État lui échappe au profit d’instances mondiales.
La question identitaire ne marche-t-elle pas main dans la main avec la question économique ? Le philosophe Grégoire Chamayou a pu aussi le décrire dans La Société ingouvernable : « Le néolibéralisme n’est pas animé d’une ‘’phobie d’État’’ unilatérale. Les stratégies déployées pour conjurer cette crise convergent bien plutôt vers un libéralisme autoritaire où la libéralisation de la société suppose une verticalisation du pouvoir. Un ‘’État fort’’ pour une ‘’économie libre’’. »
La même dynamique de revendications de justice sociale traverse tous les mouvements sociaux en France. Mais la réponse est et sera « le communautarisme », « le séparatisme », « la République » et « la laïcité ». Évidemment, des mots unilatéraux que seuls certains se sont arrogé le droit d’expliquer et d’animer.
Les Gilets jaunes, le comité Adama, les mouvements citoyens divers : voilà le peuple ! La vraie peur est moins le séparatisme que l’union de ces dynamiques dont le socle commun est l’égalité, l’aspiration à une égalité effective devant la loi et les institutions. Ce qui est la définition même de la République.
Et pour cette élite sécessionniste, c’est précisément cette dynamique qu’il faut empêcher de cristalliser. Le danger est que l’exaspération monte sans offre politique autre que l’inévitable duel Macron/Le Pen. Et que s’installe alors la tentation pour beaucoup de voter Marine Le Pen afin de faire barrage à Emmanuel Macron…
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