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Nabil Wakim : « Il y a en France une confusion qui est faite entre l’arabe et l’islam »

Dans son livre L’Arabe pour tous, Nabil Wakim, journaliste au Monde, questionne le rapport des Français à la langue arabe et s’interroge sur le tabou qu’elle représente
 Cours d’arabe dans l’Institut Lissane au Kremlin-Bicêtre, près de Paris (AFP)
Cours d’arabe dans l’Institut Lissane au Kremlin-Bicêtre, près de Paris (AFP)

Alors que l’arabe est la deuxième langue la plus parlée en France, elle n’est enseignée que dans 3 % des collèges et des lycées, à environ 14 000 élèves. Soit deux fois moins qu’il y a trente ans. En parallèle, l’enseignement dans des mosquées ou associations cultuelles se multiplie – une estimation porte à 80 000 le nombre d’élèves y recevant des cours.

Nabil Wakim, né au Liban en 1981, est journaliste au Monde. Dans L’Arabe pour tous. Pourquoi ma langue est taboue en France, publié en octobre 2020, il revient sur son enfance en France et son rapport à la langue arabe – il devenait rouge de honte, enfant, quand sa mère lui parlait arabe dans la rue, et ne sait plus rien dire dans ce qui fut sa langue maternelle.

Il interroge également de nombreuses personnalités qui évoquent ce sujet publiquement pour la première fois : la femme politique Myriam El Khomri, le journaliste Karim Rissouli ou l’artiste Camélia Jordana.

« Ce livre fait entendre une parole souvent tue sur le malaise intime à parler sa propre langue quand il s’agit de l’arabe. Il est un plaidoyer pour que la langue arabe trouve enfin sa juste place dans l’histoire de France », résume Seuil, l’éditeur.

« L’arabe n’est pas que la langue de l’islam, je voulais casser ce stéréotype », explique le journaliste et auteur Nabil Wakim (montage MEE)
« L’arabe n’est pas que la langue de l’islam, je voulais casser ce stéréotype », explique le journaliste et auteur Nabil Wakim (montage MEE)

Middle East Eye : Quand vous étiez plus jeune, vous racontez avoir eu mauvaise conscience de ne pas parler arabe…

Nabil Wakim : Quand j’étais ado, et je pense que c’est le cas de nombreux Français issus de l’immigration, je n’avais pas envie de parler arabe, ça ne m’intéressait pas. Pour moi, c’était une langue lointaine. J’avais envie de parler français.

Mais ma grand-mère me disait : « C’est une honte que tu ne parles pas arabe, c’est ta langue maternelle ! » Et puis je pensais au fait de devenir journaliste et de me retrouver de plus en plus confronté à des situations dans lesquelles les gens parleraient arabe.

Je voyais aussi qu’il y avait des choses intéressantes à lire dans les médias arabophones, notamment pendant les soulèvements arabes en 2011. Et je me suis senti bête car je n’étais pas capable de comprendre, alors qu’en fait, l’arabe aurait dû être un outil.

Quand j’étais ado, l’arabe était une langue lointaine. J’avais envie de parler français

MEE : Vous vous êtes rapproché de vos parents en écrivant ce livre. Est-ce qu’ils ont compris votre rapport à la langue ?

NW : Ce n’est pas un livre dans lequel je reproche à mes parents de ne pas m’avoir appris l’arabe. C’est un livre dans lequel j’essaie de comprendre les dynamiques, à la fois intimes et politiques du sens global de la langue arabe en France.

Cela m’a permis d’avoir des discussions avec mes parents que je n’aurais pas eues et de comprendre à quel point leur parcours d’immigration est unique.

J’ai découvert dans nos échanges qu’ils s’étaient eux-mêmes posé des questions au sujet de la langue et qu’ils n’étaient pas nécessairement d’accord.

Mon père voulait mettre en avant la langue française comme outil d’intégration pour ses enfants. Ma mère voulait qu’on garde l’arabe mais, comme elle l’explique, elle avait aussi autre chose à faire. Je pense que c’est le cas dans beaucoup de familles, où il peut y avoir des stratégies différentes et des débats.

Dans le dernier film des frères Dardenne, Le Jeune Ahmed, il y a une scène où la prof veut mettre en place des cours d’arabe. Lors d’une réunion avec les parents d’élèves, ils débattent : est-ce que c’est une bonne chose que nos enfants aient des cours d’arabe ? Certains disent que non, que c’est l’arabe de l’islam, qu’il ne faut pas que cette langue soit apprise à l’école, pendant que d’autres disent qu’elle peut aider à trouver du travail. Cette scène résume assez bien des histoires que j’ai entendues.

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MEE : Vous avez notamment assisté à des cérémonies chrétiennes au Liban qui se déroulaient en arabe...

NW : Dans les cérémonies religieuses chrétiennes, on parle en arabe, puisqu’on est au Liban ! Mais je n’ai pas appris l’arabe dans ce contexte. La raison pour laquelle je parle de ça, c’est parce qu’il y a en France une confusion qui est faite entre l’arabe et l’islam, entretenue par des gens qui ont un discours caricatural, stéréotypé et xénophobe à l’encontre des musulmans.

C’est aussi une manière de rappeler que la majorité des musulmans dans le monde ne parle pas l’arabe et que, par ailleurs, il y a des millions d’Arabes qui ne sont pas musulmans. Il y a aussi des centaines de milliers de juifs qui parlaient arabe et dont c’était aussi leur langue maternelle.

L’arabe n’est pas que la langue de l’islam, je voulais casser ce stéréotype.

MEE : Que vos amis, de la même génération que vous et que vous mettez en avant dans votre livre, aient le même rapport à la langue vous a-t-il rassuré ?

NW : Je voulais dans ce livre partir de mon expérience personnelle pour la partager avec d’autres. Je me suis rendu compte que d’autres personnes autour de moi étaient dans la même situation et je trouvais ça intéressant d’avoir leurs points de vue. Comment être Français et Arabe, comment je peux avoir cet amour de la langue… Ces questionnements sont les mêmes et c’est ce qui est rassurant.

MEE : Vous dites : « Je suis analphabète dans ma langue maternelle » et pourtant, vous savez lire. Pourquoi avez-vous si peu d’estime de vous-même quand il est question de langue arabe ?

NW : Je ne sais pas si je me dévalorise mais je ne peux pas lire un livre ni un journal en arabe. Le rapport intellectuel que j’ai avec d’autres langues, je ne l’ai pas avec l’arabe. Tout ce que j’aime faire dans la vie : lire, débattre, comprendre… je ne peux pas le faire en arabe. Je me rends simplement compte que ma connaissance de l’arabe ne me permet pas de faire les choses que j’aime faire dans la vie.

Ce qui fait de la France sa richesse – et si la France pouvait s’en rendre compte, ce serait mieux pour tout le monde –, c’est justement que les arabophones de France sont des immigrés mais aussi des gens qui n’ont rien à voir avec le monde arabe

MEE : Vous sentez-vous davantage « vexé » quand un Turc parle arabe ou quand un Français, qui n’a aucun lien avec le monde arabe, parle arabe ?

NW : J’écris dans le livre que je suis vexé mais c’est une formule. Je suis plutôt fier et content de voir que les gens apprennent la langue arabe. Cela montre qu’ils ont une capacité d’ouverture sur le monde qui est très importante. Quand l’arabe est appris par des gens de catégories socio-professionnelles modestes, il est souvent méprisé. Alors que les diplomates ou les journalistes, par exemple, n’ont aucun problème avec cet apprentissage.

Ce qui fait de la France sa richesse – et si la France pouvait s’en rendre compte, ce serait mieux pour tout le monde –, c’est justement que les arabophones de France sont des immigrés mais aussi des gens qui n’ont rien à voir avec le monde arabe. Ensemble, ils forment une communauté.

MEE : Une enseignante que vous avez rencontrée explique qu’il existe en France une tradition élitiste orientaliste dans l’enseignement supérieur qui n’est pas adaptée pour faire des cours dans des lycées difficiles. Qu’a-t-elle voulu dire ?

NW : D’un côté, dans les établissements élitistes comme l’université Paris 1 ou l’École nationale polytechnique, l’arabe est enseigné majoritairement à des gens qui ne sont pas issus du monde arabe. D’un autre côté, dans le secondaire, l’enseignement de l’arabe est difficile faute de moyens, de volonté politique et de profs.

MEE : Vous écrivez « avoir longtemps fait comme si vous n’étiez pas Arabe ». Mais faut-il nécessairement parler arabe pour être arabe ?

NW : Non, je crois d’ailleurs vraiment qu’il y a plein de manières différentes d’être Arabe et mon bouquin m’a ouvert les yeux là-dessus. Comme il y a plein de manières d’être Français. Français et arabe, aussi. Mon livre est un plaidoyer pour ce plurilinguisme-là. On peut être Arabe de manière culturelle, linguistique, gastronomique… et c’est tant mieux.

Nabil Wakim, L’Arabe pour tous. Pourquoi ma langue est taboue en France (Seuil, octobre 2020)

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