Les jeunes Iraniens las des négociations sur le nucléaire et des perpétuelles sanctions
Morteza* avait 18 ans lorsque les négociations sur le programme nucléaire de l’Iran ont débuté. Il a aujourd’hui 36 ans, les négociations guindées se poursuivent et les sanctions qui paralysent depuis longtemps l’économie iranienne perdurent.
« Notre vie entière tourne autour de l’uranium, des centrifugeuses et des installations nucléaires », déclare à Middle East Eye le jeune homme originaire de Machhad.
« Après dix-huit ans, ce programme nucléaire aura eu raison d’une chose pour moi, ma jeunesse. La coupe est pleine. »
De nombreux autres Iraniens abondent dans son sens. Le long processus de négociation, de sanctions économiques et d’effets de manche diplomatiques engendrent de la frustration vis-à-vis du programme nucléaire.
Pour la première fois, le slogan jadis populaire du président Mahmoud Ahmadinejad, « L’énergie nucléaire est notre droit inaliénable », n’est plus scandé dans les rues, faisant craindre aux responsables de la République islamique que les projets du gouvernement ne soient plus soutenus.
Des décennies de négociations
Après une interruption de cinq mois, les négociations tant attendues sur le programme nucléaire de l’Iran entre la République islamique et les pays du P4+1 (Grande-Bretagne, France, Chine, Russie et Allemagne) ont repris à Vienne la semaine dernière.
Leur enjeu est le retour à l’accord sur le nucléaire iranien, le dénommé plan d’action conjoint (JCPOA). La nouvelle équipe de négociation iranienne, menée par le président récemment élu Ebrahim Raïssi, est venue à la table des négociations avec ce qui semble être une approche bien plus exigeante que celle du gouvernement Rohani.
Mais c’est la sixième administration consécutive contrainte de s’impliquer dans le problème nucléaire.
Les négociations sur le programme nucléaire iranien ont débuté en 2003, lors de la présidence de Mohammad Khatami. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient alors conclu un accord avec l’Iran pour qu’il cesse d’enrichir de l’uranium.
Sous la pression américaine, les pays européens n’ont pas respecté leurs obligations dans le cadre de l’accord de 2003 conclu à Téhéran, Bruxelles et Paris, ce qui avait poussé l’Iran à se montrer moins coopératif.
Le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad, faisant fi des sanctions internationales, a rapidement développé le programme nucléaire iranien au cours de ses huit années au pouvoir, entre 2005 et 2013.
Mais même Ahmadinejad, qui a su obtenir le soutien de la population pour le développement du programme, n’a pas su résister aux pressions des puissances internationales et a dû négocier.
Toutes les négociations lors de sa présidence n’ont donné que plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
« Les centrifugeuses doivent tourner »
Mohamed Ali (37 ans), originaire d’Ispahan, soutenait autrefois le programme nucléaire.
« J’étais persuadé qu’on n’aurait pas dû céder à l’intimidation. Les États-Unis et l’Europe nous intimidaient et voulaient nous priver de notre programme nucléaire. C’est pourquoi j’ai voté pour Ahmadinejad en 2005. »
« J’étais jeune et naïf. Peut-être que si j’avais été plus vieux, je n’aurais pas défendu si passionnément le programme nucléaire, un programme qui n’a fait qu’engendrer des sanctions à notre encontre. »
« Pour mes amis et moi, [...] peu importe si nous aurons l’énergie nucléaire ou pas. Ce qui compte le plus pour nous lors des négociations de Vienne, c’est si les sanctions seront levées et s’il y aura une amélioration des conditions de vie du peuple »
- Yasi, 27 ans
« Je ne pense pas que la jeune génération partage aujourd’hui notre perspective d’alors. Ils ont vu et entendu les problèmes que cela a créés et ils le soutiennent moins aujourd’hui. »
La poursuite du programme nucléaire par Ahmadinejad a fait pleuvoir les sanctions sur la Banque centrale iranienne et sur le secteur pétrolier, ce qui s’est avéré désastreux pour l’économie.
La sévérité des sanctions a probablement porté Hassan Rohani au pouvoir en 2013. Il a promis de mettre un terme à la saga nucléaire et d’assurer la levée des sanctions, en faisant campagne avec le slogan : « Il est vrai que nos centrifugeuses doivent tourner, mais la roue de l’économie doit tourner elle aussi. »
Néanmoins, malgré la signature d’un accord historique sur le nucléaire en juillet 2015 (le JCPOA), Rohani n’a pas tenu sa promesse. Le problème nucléaire persiste.« Je me souviens que, durant les négociations de 2015, nous suivions avec intérêt toutes les sessions de négociations », rapporte à MEE Farzaneh (31 ans), de Gorgan.
« Nous croyions en monsieur [Mohammed Javad] Zarif [le négociateur en chef de l’Iran]. Il travaillait vraiment dur mais cela n’a pas fonctionné. Maintenant, je me fiche totalement de savoir ce qui se passe à Vienne ces jours-ci. Je suis fatiguée de voir mes espoirs brisés. »
« Je ne sais pas du tout quels sont les avantages de ce programme nucléaire pour nous… mais je sais pertinemment que les dirigeants sont tellement butés qu’ils n’abandonneront pas leur idée. J’espérais que nous aurions au moins conclu un accord avec le monde, que nos conditions de vie seraient normales. »
Après le retrait unilatéral des États-Unis du JCPOA en mai 2018, les sanctions internationales ont été imposées à nouveau à Téhéran.
Les négociations ont repris trois ans plus tard entre l’Iran et les participants au JCPOA, bien qu’avec la participation indirecte des États-Unis, après l’élection de Joe Biden à la présidence américaine.
Mais comme l’avait prédit Hassan Rohani, l’opposition interne parmi les radicaux iraniens a empêché la conclusion d’un accord avant l’élection présidentielle iranienne en juin dernier.
Dans un climat de frustration et d’espoirs assez minces, l’administration Raïssi a entamé cette dernière session de négociations à Vienne.
« Pour mes amis et moi, peu importe les négociations sur le nucléaire quelles qu’elles soient et, au fond, peu importe si nous aurons l’énergie nucléaire ou pas », indique Yasi, une jeune femme de 27 ans originaire de Téhéran. « Ce qui compte le plus pour nous lors des négociations de Vienne, c’est si les sanctions seront levées et s’il y aura une amélioration des conditions de vie du peuple. »
« [Les responsables du gouvernement] font ce qu’ils veulent, ils ne se soucient pas le moins du monde de ce que pense la population »
- Zainab, 25 ans
« La levée des sanctions peut me faciliter la vie à moi et à ceux autour de moi », ajoute Yasi, qui a une licence en génie pétrolier mais est au chômage. « Sinon, l’énergie nucléaire ne nous importe pas. Nous ne voulons pas connaître plus d’épreuves, de sanctions et de difficultés à cause de l’énergie nucléaire. »
Face à un taux de chômage généralisé et une devise dévaluée, de nombreux Iraniens fuient le pays.
Zainab (25 ans) qui vit à Saveh, au sud-ouest de Téhéran, explique à MEE : « Ni le JCPOA ni quoi que ce soit d’autre a d’importance pour nous désormais. Nous sommes devenus indifférents à tout. [Les responsables du gouvernement] font ce qu’ils veulent, ils ne se soucient pas le moins du monde de ce que pense la population. »
« Si vous m’interrogez à propos de l’énergie nucléaire, je dirais que, non, je n’en veux pas. Quels avantages cette énergie nucléaire peut-elle nous apporter ? »
« Ces derniers temps, on doit même s’inquiéter d’avoir de l’eau courante, mais ils continuent de parler d’énergie nucléaire et d’enrichissement de l’uranium. »
* La plupart des Iraniens interrogés pour cet article ont préféré ne communiquer que leur prénom par crainte de la réaction du gouvernement.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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