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Israël utilise de plus en plus les Palestiniens comme boucliers humains

Cette tactique militaire israélienne autrefois standard a été rendue illégale en vertu du droit international en 2005. Cependant, les preuves montrant qu’Israël continue de faire des civils palestiniens des boucliers humains en toute impunité s’accumulent
Un jeune palestinien assis sur les marches d’un magasin fermé alors qu’un membre des forces de sécurité israéliennes prend position à Hébron, le 21 janvier 2022 (AFP)
Un jeune palestinien assis sur les marches d’un magasin fermé alors qu’un membre des forces de sécurité israéliennes prend position à Hébron, le 21 janvier 2022 (AFP)

Le 13 mai, Ahed Mohammad Rida Mereb, adolescente palestinienne de 16 ans, a été traumatisée après avoir été utilisée comme bouclier humain par les soldats israéliens, selon un rapport de Defence for Children International Palestine (DCIP).

L’incident a eu lieu lors d’un raid israélien dans le quartier d’al-Hadaf à Jénine. L’adolescente raconte : « L’un [des soldats israéliens] m’a ordonné en arabe à travers une petite fenêtre de son véhicule militaire “Reste là où tu es et ne bouge pas. Tu es une terroriste. Reste à ta place jusqu’à ce que tu dises au revoir à ton frère”. »

« L’un [des soldats israéliens] m’a ordonné : “Reste là où tu es et ne bouge pas. Tu es une terroriste. Reste à ta place jusqu’à ce que tu dises au revoir à ton frère” »

- Ahed Mohammad Rida Mereb, Palestinienne de 16 ans

Elle poursuit : « Je tremblais, je pleurais et criais au soldat de me laisser partir parce que les balles fusaient au-dessus de ma tête. »

Une semaine plus tard, les forces israéliennes ont à nouveau été accusées d’utiliser cette tactique : une photo semble les montrer se servir d’un Palestinien comme bouclier humain.

Aussi choquantes soient ces informations, elles ne surprennent pas la plupart des Palestiniens qui savent, comme les observateurs de longue date, que prendre des boucliers humains palestiniens était une pratique courante dans l’armée israélienne.

D’après B’Tselem, importante organisation israélienne de défense des droits de l’homme, l’armée israélienne utilise la technique du bouclier humain depuis l’occupation de la Cisjordanie, le Jérusalem-Est et de la bande de Gaza en 1967.

« Procédure de voisinage »

Même si les Israéliens prétendent régulièrement que les combattants palestiniens utilisent leurs propres civils comme boucliers humains (en particulier lors des conflits entre Gaza et Israël), on n’a aucune preuve que ce soit effectivement le cas.

À l’inverse, ce sont les soldats israéliens qui ont recours à ces stratégies sur le champ de bataille : c’est la tristement célèbre « procédure du voisinage », euphémisme désignant la procédure de boucliers humains de l’armée israélienne.

Traduction : « Un des soldats a ordonné à Ahed : “Reste là où tu es et ne bouge pas. Tu es une terroriste. Reste à ta place jusqu’à ce que tu dises au revoir à ton frère”.

L’utilisation de civils comme boucliers humains, c’est-à-dire lorsque les civils sont contraints d’assister de manière directe aux opérations militaires ou sont utilisés pour protéger des forces ou groupes armés ou encore des objets de toute attaque, est interdite dans le droit international et le droit israélien. »

Jusqu’en 2005, l’utilisation de Palestiniens comme boucliers humains par les soldats israéliens était une pratique militaire standard de l’armée, légale dans le droit israélien.

La Cour suprême israélienne n’a interdit cette pratique qu’après trois ans de combat judiciaire porté par sept organisations israéliennes et palestiniennes de défense des droits de l’homme, lesquelles ont fait valoir qu’elle enfreignait les conventions de Genève.

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Quelques mois après le dépôt du recours juridique en mai 2002, Nidal Abu Mukhsan, Palestinien de 19 ans, a été tué alors qu’il était utilisé comme bouclier humain. Son décès, imputable à Israël selon les conclusions des organisations de défense des droits de l’homme, a donné l’impulsion nécessaire au recours contre la politique israélienne de boucliers humains.

Lorsque Israël a fini par interdire cette pratique, l’armée israélienne a protesté. En fait, le ministre israélien de la Défense de l’époque, Shaul Mofaz, a comparu au tribunal pour présenter des arguments en faveur de la révocation de cette interdiction.

Le ministère israélien de la Défense a en particulier plaidé pour l’application de cette politique en Cisjordanie occupée, bien qu’elle ait été jugée contraire au droit international

Depuis l’interdiction des boucliers humains, l’armée israélienne a tenté de faire réexaminer cette décision plusieurs fois, faisant valoir que la pratique fournissait une protection essentielle à ses soldats.

Alors même que l’armée israélienne accuse régulièrement le Hamas de se servir de boucliers humains à Gaza, elle utilise la tactique elle-même et plaide même pour sa relégalisation. Se confiant à l’organisation israélienne Breaking the Silence, d’anciens soldats israéliens ont témoigné avoir utilisé des boucliers humains après l’interdiction de cette pratique.

Abondance de preuves

Malgré l’abondance de preuves indiquant que les forces israéliennes continuent de se servir de Palestiniens comme boucliers humains depuis l’interdiction de cette pratique, seule une poignée de soldats israéliens ont été poursuivis en justice pour leurs actes.

La dernière fois que des soldats israéliens ont été sanctionnés pour avoir utilisé un Palestinien comme bouclier humain, c’était en 2010, pour un acte commis lors de l’incursion israélienne à Gaza en 2008-2009.

Aucune organisation ou instance internationale reconnue n’a signalé de schéma montrant que les Palestiniens utilisaient leurs propres concitoyens comme boucliers humains

B’Tselem résumait l’affaire ainsi : « Les deux soldats en question ont ordonné à un garçon de 9 ans, sous la menace des armes, d’ouvrir un sac qu’ils soupçonnaient d’être piégé. Malgré la gravité de leur conduite (mise en danger d’un jeune enfant), les deux soldats ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis et rétrogradés de sergent à soldat, près de deux ans après l’incident en question. Aucun de leurs commandants n’a été poursuivi. »

Le nombre de cas d’utilisation par Israël de boucliers humains recensés par les organisations de défense des droits de l’homme, internationales ou nationales, ne cesse de grandir.

Voir cette pratique réémerger, en particulier au lendemain de l’assassinat de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, devrait marquer un tournant, montrant au monde entier qui utilise véritablement des boucliers humains.

Aucune organisation ou instance internationale reconnue n’a signalé de schéma montrant que les Palestiniens utilisaient leurs propres concitoyens comme boucliers humains.

À l’inverse, l’armée israélienne a littéralement inscrit cette tactique dans ses manuels pendant des décennies – et les soldats israéliens continuent encore aujourd’hui d’agir ainsi même après son interdiction légale.

- Robert Inlakesh est un analyste politique, journaliste et réalisateur de documentaire. Il a couvert les territoires palestiniens occupés et y a vécu. Il a travaillé pour The New Arab, RT, Mint Press, MEMO, Quds News, TRT et Al-Mayadeen English.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Robert Inlakesh is a political analyst, journalist and documentary filmmaker. He has reported from and lived in the occupied Palestinian territories and has worked with The New Arab, RT, Mint Press, MEMO, Quds News, TRT and Al-Mayadeen English.
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