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La censure dont j’ai été victime montre qu’aucun espace médiatique n’est ménagé pour la critique d’Israël

Après avoir critiqué la dernière offensive d’Israël contre Gaza, la chaîne de la TNT française BFMTV a supprimé la séquence et annulé un deuxième entretien
Le journaliste français Alain Gresh photographié à Doha, le 26 mars 2022 (AFP)

Ce qui est intéressant dans le fonctionnement de la censure en France, et plus largement en Europe, c’est qu’elle dit rarement son nom. C’est pour cela que la censure qui m’a frappé est à la fois intéressante et plutôt rare.

Le samedi 6 août, en pleine attaque israélienne contre Gaza, je suis appelé par la chaîne d’information en continu BFMTV pour intervenir le lendemain. J’accepte et nous fixons une heure pour l’interview. L’entretien dure environ cinq minutes, se passe très bien avec la journaliste.

Cette forme de censure est exceptionnelle. Car, sur la question de Palestine, elle s’exerce de manière plus subtile et se présente rarement de manière aussi « nue ». Elle s’exerce par le tri entre les invités

Je développe deux idées : une, factuelle : c’est Israël qui a déclenché l’attaque avant qu’aucune roquette n’ait été tirée par le Jihad islamique ; deuxièmement, la situation de blocus de Gaza, d’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est ne peut déboucher que sur des violences, dont Israël, en refusant d’appliquer les résolutions de l’ONU, porte la seule responsabilité.

Entretemps, j’ai été appelé par BFM pour un second entretien, le lundi 8 août à 11 heures. En fin d’après-midi le 7, je me rends compte que, après avoir été diffusé, mon entretien n’est plus disponible sur le site de BFM.

Le mardi matin, BFM me fait savoir que mon second entretien a été décommandé ; entre-temps, le cessez-le-feu à Gaza a été annoncé.

Je m’étonne auprès de la rédaction à la fois de la disparition de mon premier entretien et de l’annulation du second, mais je ne reçois que de vagues réponses.

Tempête médiatique

En quelques heures, l’information fait le tour des réseaux sociaux, créant le buzz. Plusieurs journaux m’interrogent sur ce qui s’est passé. Le quotidien Libération publie une enquête dans sa lettre, Checknews du 8 août. « Frappes sur Gaza : pourquoi BFMTV a-t-elle supprimé une interview dans laquelle Alain Gresh met en cause Israël ? »

Les journalistes ont interrogé la direction de BFM, qui a donné la réponse suivante : si cet extrait spécifique a été retiré, c’est « pour éviter toute manipulation » car il « était tronqué, pas entier », explique auprès de CheckNews François Raineteau, directeur de la communication d’Altice France, le groupe propriétaire du quinzième canal de la TNT.

Une explication également livrée (au mot près) par le directeur général de la chaîne, Marc-Olivier Fogiel, au site Puremédias.

La chaîne, qui publie régulièrement des bouts d’interviews sur son site, n’a pas été en mesure de citer d’autres cas de suppression visant à éviter des manipulations. Et n’a surtout pas expliqué de quelle manipulation il s’agissait.

À la suite de la tempête médiatique suscitée par cette censure, BFM m’a à nouveau interviewé le 9 août sur le cessez-le-feu à Gaza. Rappelons que BFM est la propriété de Patrick Drahi, « Israélien de cœur et de nationalité », qui a obtenu la diffusion en France de la chaine israélienne francophone I-24News.

Un tournant dans les médias

Je tiens à souligner que cette forme de censure est exceptionnelle. Car, sur la question de Palestine, elle s’exerce de manière plus subtile et se présente rarement de manière aussi « nue ».

Elle s’exerce par le tri entre les invités. On a le choix entre les porte-paroles divers israéliens – durant les dernières attaques contre Gaza, un ancien porte-parole de l’armée israélienne, présenté par BFMTV comme un simple « habitant de Tel Aviv », a relayé les points de vue officiels d’Israël.

En France particulièrement, toute condamnation du sionisme est présentée comme une forme d’antisémitisme [...] désormais, la Palestine est comprise à travers la grille de la « guerre contre le terrorisme » et du « péril islamiste »

Nous pouvons aussi entendre ceux qui « regrettent les violences », mais affirment qu’Israël à « le droit de se défendre ».

Vous entendrez aussi ceux qui continuent à croire aux accords d’Oslo, à « la solution à deux États » et à la nécessité de « combattre les extrémistes des deux bords ».

Et, en France particulièrement, toute condamnation du sionisme est présentée comme une forme d’antisémitisme.

On a assisté en France, depuis les années 2000, à un tournant dans les médias. Alors que ceux-ci avaient évolué dans les années 1970 et 1980, soutenant le droit à l’autodétermination des Palestiniens et la nécessité de négocier avec l’Organisation de libération de la Palestine (qu’Israël et les États-Unis dénonçaient comme terroriste), ils ont transformé leur point de vue : désormais, la Palestine est comprise à travers la grille de la « guerre contre le terrorisme » et du « péril islamiste ».

Cela reflète d’ailleurs la position des gouvernements européens, notamment français, qui s’est aligné depuis les années 2000 sur Israël. De Gaulle et les positions courageuses de la France dans les années 1970 et 1980 sont désormais oubliées.

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Pour revenir sur mon cas personnel, cela fait des années que je n’avais pas été invité à BFMTV ni dans aucune chaîne d’information continue. Ni à m’exprimer dans les médias principaux.

Je travaille sur la question palestinienne depuis des décennies, j’ai publié des centaines d’articles et une bonne demi-douzaine de livres sur le sujet. Il me semble que je dispose d’une certaine légitimité pour parler de la Palestine.

Bien sûr, il ne s’agit pas de donner un seul point de vue, mais d’accepter qu’il y ait des analystes, des militants, des journalistes qui pensent que la racine des guerres dans la région remonte à l’occupation de la Palestine, à l’expulsion de sa population en 1948-1950 et 1967, au caractère colonial du mouvement sioniste, dont ce dernier se réclamait avec fierté avant que la colonisation ne devienne un terme négatif.

Une dernière remarque concerne la place des réseaux sociaux. La mobilisation autour de la censure a montré qu’il était possible de contrer la censure, de faire prévaloir une conception pluraliste de l’information. L’expérience du média en ligne OrientXXI.info le confirme. Et je peux remercier BFMTV car, grâce à cette censure, j’ai gagné 2 300 followers sur Twitter.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Alain Gresh est journaliste. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la Palestine, l’islam et le Moyen-Orient. Il a été rédacteur en chef du mensuel Le Monde diplomatique et est désormais le directeur du journal en ligne OrientXXI.info
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