Un prince émirati accusé d’aider des oligarques russes à échapper aux sanctions
Le cheikh Mansour ben Zayed al-Nahyane, vice-Premier ministre et milliardaire émirati, pourrait être confronté à une enquête sur des allégations selon lesquelles il aurait aidé de riches oligarques russes à échapper aux sanctions.
Également propriétaire du club de football de Manchester City, le cheikh Mansour pourrait faire l’objet d’une enquête du Foreign Office britannique pour avoir potentiellement aidé l’ancien propriétaire de Chelsea, Roman Abramovitch, ainsi que d’autres milliardaires russes, à contourner les sanctions imposées en raison de leurs liens étroits avec le président russe Vladimir Poutine.
À l’initiative d’un activiste ukrainien, les avocats spécialisés en droit pénal international Rhys Davies et Ben Keith ont présenté au secrétaire d’État aux Affaires étrangères James Cleverly des informations selon lesquelles le cheikh Mansour jouerait un rôle « central » dans le flux de fonds concernés par des sanctions vers les Émirats arabes unis.
Si le gouvernement britannique y donne suite, l’enquête devrait approfondir l’étude du rôle des Émirats arabes unis en tant que refuge pour les citoyens d’un des pays au monde les plus visés par des sanctions.
Dans leurs observations légales, les avocats indiquent que les Émirats arabes unis « sont désormais largement perçus comme la destination de choix pour les partisans de Poutine visés par des sanctions ».
Les avocats précisent que d’après les informations relayées, les milliardaires russes « se rapprochent de plus en plus du bureau du cheikh Mansour » pour mettre à l’abri leurs biens mal acquis.
Plus de 38 hommes d’affaires
Cette initiative d’avocats en vue d’une enquête risque de tendre les relations entre deux pays généralement considérés comme proches.
Selon les informations présentées par les avocats, plus de 38 hommes d’affaires ou responsables liés au président russe possèdent des biens évalués à plus de 314 millions de dollars.
Le Royaume-Uni, l’un des plus ardents défenseurs de l’Ukraine, risque désormais de devoir enquêter sur l’un de ses plus proches alliés régionaux.
Manchester City owner and brother of #UAE President MbZ, Mansour bin Zayed could be investigated for ‘helping Roman Abramovich evade sanctions' and aiding numerous sanctioned individuals from #Russia to ‘conspicuously enjoy their wealth’ in Dubaihttps://t.co/B0lNpewOfp
— Dr Andreas Krieg (@andreas_krieg) October 2, 2022
Traduction : « Mansour ben Zayed, propriétaire de Manchester City et frère du président des Émirats arabes unis MBZ, pourrait faire l’objet d’une enquête pour avoir ‘’aidé Roman Abramovitch à échapper aux sanctions’’ et aidé de nombreux individus russes visés par des sanctions à ‘’profiter ostensiblement de leurs richesses’’ à Dubaï. »
Les avocats ont également demandé au gouvernement britannique de se pencher sur l’éventualité de sanctions contre le cheikh Mansour en personne pour ces allégations.
Parmi les actifs abrités aux Émirats arabes unis figure le Boeing 787 Dreamliner de Roman Abramovitch, d’une valeur d’environ 350 millions de dollars, l’un des nombreux jets privés appartenant à des oligarques stationnés dans la monarchie absolue.
Depuis que la Russie a commencé sa guerre contre l’Ukraine en février, les oligarques russes se sont vu confisquer des centaines de millions de dollars d’actifs par l’Occident.
Un yacht d’une valeur estimée à 156 millions de dollars appartenant à Andreï Skotch, milliardaire ayant fait fortune dans l’acier et député à la Douma d’État, a également été amarré à Dubaï.
Le magnat russe des engrais Andreï Melnitchenko, visé par des sanctions, a lui aussi amarré son yacht de 300 millions de dollars à Dubaï.
On estime au total que des centaines de millions voire des milliards de dollars d’actifs et de liquidités russes sont arrivés à Dubaï, ce qui a pour effet de stimuler l’économie locale, mais aussi d’attirer l’attention des gouvernements occidentaux qui cherchent à combler les failles des sanctions.
Refuge en période d’instabilité
Middle East Eye rapportait en mars que des Russes aisés, de plus en plus désespérés, cherchaient à mettre leurs actifs à l’abri du régime de sanctions occidental.
Dubaï est devenue l’une des principales destinations pour les travailleurs russes doués en nouvelles technologies cherchant à développer ou à conserver leur clientèle occidentale.
Dans les faits, de nombreuses banques russes ont été coupées de l’économie mondiale, obligeant ainsi les Russes ordinaires à se démener pour retirer leurs économies des banques et convertir leurs roubles en devises étrangères.
Les événements de ces derniers mois semblent accélérer une tendance qui se dessinait depuis un certain temps : l’approfondissement des liens du Kremlin avec les Émirats arabes unis
La Russie a mis en place des contrôles de capitaux pour protéger ses réserves et interdit à ses citoyens de quitter le pays avec plus de 10 000 dollars en devises étrangères.
Dubaï, dont 90 % de la population est composée de ressortissants étrangers, cultive depuis longtemps une image de refuge en période d’instabilité. Par le passé, l’émirat a attiré des familles et des chefs d’entreprise fortunés qui fuyaient les conflits régionaux en Syrie, en Irak et au Liban.
Mais ce sont désormais les Russes qui pourraient attirer la plus grande attention.
Les russophones ont toujours constitué un groupe restreint mais notable dans l’État riche en pétrole. Aujourd’hui, ils sont environ 100 000, dont 40 000 ressortissants russes et 15 000 Ukrainiens.
On y trouve des travailleurs du secteur des services et des professionnels de l’informatique, mais aussi des personnes aux activités plus douteuses.
Les événements de ces derniers mois semblent accélérer une tendance qui se dessinait depuis un certain temps : l’approfondissement des liens du Kremlin avec les Émirats arabes unis dans le cadre de son influence croissante au Moyen-Orient.
La force de ces relations s’est manifestée par le nombre de visiteurs russes à Dubaï, où ils représentaient en 2021 le deuxième plus grand marché touristique. Par ailleurs, selon des analystes, ces liens se sont encore renforcés dans la sphère politique.
Selon un rapport de la Fondation Carnegie daté de 2020, la richesse qui sous-tend la prospérité de Dubaï est issue d’un « flux constant de recettes illicites issues de la corruption et du crime ».
Derrière l’honorabilité de façade que Dubaï a soigneusement cultivée au fil des ans, le flux de fonds illicites « contribue à alimenter le marché immobilier en plein essor de l’émirat, à enrichir ses banquiers, ses bureaux de change et ses élites commerciales, et à faire de la ville une importante plaque tournante du commerce de l’or », indiquent les auteurs du rapport.
« Des acteurs corrompus et criminels du monde entier opèrent depuis ou via Dubaï. Des seigneurs de guerre afghans, des truands russes, des kleptocrates nigérians, des Européens pratiquant du blanchiment d’argent, des Iraniens échappant aux sanctions et les contrebandiers d’or d’Afrique de l’Est trouvent tous à Dubaï un lieu propice à leurs activités », souligne le rapport.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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