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Israël va annexer la Cisjordanie, mais pas comme vous l’imaginez

Les groupes de colons ont joué un rôle fondamental dans les négociations pour la formation du nouveau gouvernement et lorgnent sur un contrôle total de la Cisjordanie
Un Palestinien regarde les forces israéliennes détruire sa maison en Cisjordanie (AFP/photo d’archives)
Un Palestinien regarde les forces israéliennes détruire sa maison en Cisjordanie (AFP/photo d’archives)
Par Lily Galili à TEL AVIV, Israël

Le 1er décembre, dès la signature des accords de coalition entre le Likoud de Benyamin Netanyahou et les factions d’extrême droite du Parti sioniste religieux et de Force juive, le Conseil de Yesha (organe de coordination des autorités municipales des colonies) s’est réjoui sur Facebook.

« Nous remercions tout particulièrement nos représentants qui ont collaboré avec les professionnels du Conseil de Yesha tout au long des négociations », exultait l’organisation après avoir félicité toutes les personnes impliquées.

« Avec l’aide de Dieu, un nouveau gouvernement sera bientôt formé et affrontera les défis de la construction et de la préservation des terres en Judée et Samarie », a-t-elle poursuivi, désignant la Cisjordanie occupée.

De fait mercredi soir, quelques minutes avant l’échéance fixée à minuit par le président Isaac Herzog, Benyamin Netanyahou a annoncé qu’il avait formé un nouveau gouvernement israélien, validant ainsi son retour au pouvoir en tant que Premier ministre au sein de l’administration israélienne la plus à droite de l’histoire.

Les commentaires des organisations de colons laissent entrevoir les futures pressions qu’ils exerceront sur les politiciens pour accélérer l’annexion (AFP/Jaafar Ashtiyeh)
Les commentaires des organisations de colons laissent entrevoir les futures pressions qu’ils exerceront sur les politiciens pour accélérer l’annexion (AFP/Jaafar Ashtiyeh)

Le dirigeant de Karnei Shomron, autre organisation influente de colons, sur la même longueur d’onde, a déclaré à Ynet TV que la première chose que le dirigeant du Parti sioniste religieux Bezalel Smotrich devrait faire lors de sa prise de fonction, c’est appliquer le droit israélien en « Judée et en Samarie ».

« Depuis plus de 55 ans, aucune décision n’a été prise. Il est temps d’annexer la Judée et la Samarie comme le plateau du Golan l’a été », a-t-il ajouté.

Ces commentaires en disent long. Non seulement ils révèlent l’étendue de l’implication des organisations de colons sur les négociations pour la formation du gouvernement, mais ils permettent également d’apercevoir les futures pressions qu’ils exerceront sur les politiciens que certains appellent encore « représentants ».

Pourtant « représentants » n’est pas le terme adéquat pour ces gens. Ce gouvernement « jeunes des collines » ne représente pas son électorat. Il en est le visage de sa frange la plus radicale.

« Application de la souveraineté » au lieu d’« annexion »

Des Israéliens sous le choc à gauche, au centre et à droite tentent déjà de découvrir quel impact aura ce gouvernement ultra-orthodoxe/de droite radicale sur leur quotidien. Mais ce n’est pas seulement la nature d’Israël qu’il a l’intention de changer, c’est aussi la taille du pays. Autrement dit : l’annexion des terres palestiniennes.

Le terme « annexion » est à peine mentionné ces derniers jours, que ce soit par la nouvelle coalition ou par son opposition vaincue, qui a d’autres sujets brûlants de préoccupation.

Itamar Ben-Gvir à la Knesset à Jérusalem, le 13 décembre (AP)
Itamar Ben-Gvir à la Knesset à Jérusalem, le 13 décembre (AP)

C’est une décision consciente par crainte de la réaction internationale. La nouvelle coalition peut aisément écarter quelques manifestations organisées par des centaines, voire des milliers, de gauchistes las, à juste titre inquiets de la destruction du système judiciaire israélien. Affronter les condamnations internationales ou même les sanctions est une tout autre histoire.

Cela ne fait peut-être pas peur au messianique Smotrich ou au dirigeant de Force juive à la gâchette facile, Itamar Ben-Gvir, mais cela terrifie sans nul doute Netanyahou.

Signe alarmant : le transfert de deux unités de l’armée chargées d’administrer l’occupation sous la pleine responsabilité du parti de Smotrich via un poste ministériel au sein du ministère de la Défense

Il est bien conscient qu’il ne peut se mettre à dos la communauté internationale et plus particulièrement le monde arabe, alors que le sujet du nucléaire iranien – et l’option militaire israélienne pour le combattre – est comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

Dans ces circonstances, l’utilisation de l’euphémisme « application de la souveraineté » semble plus consensuel que « annexion ».

Tout comme l’infâme appel « mort aux Arabes » a été remplacé sur ordre de Ben-Gvir par « morts aux terroristes », la connotation négative de l’annexion unilatérale est désormais délibérément remplacée par une expression jugée plus légitime politiquement.

D’un point de vue juridique, c’est la même chose. Dans une récente interview à la radio, le député du Parti sioniste religieux Simha Rotman a affirmé qu’il était impossible d’annexer un territoire qui est une sorte de « no man’s land ». À la place, il est possible – et il faut – d’y appliquer légalement sa souveraineté.

Bien que ce soit à peine mentionné par les futurs ministres, tous les actes et accords de coalition stipulent l’annexion.

Le signe le plus alarmant est le transfert de deux unités de l’armée chargées d’administrer l’occupation sous la pleine responsabilité du parti de Smotrich via un poste ministériel au sein du ministère de la Défense. 

Ces deux unités – l’administration civile et le COGAT (Bureau de coordination des actions du gouvernement dans les Territoires) – régissent toute la vie civile dans la zone C de Cisjordanie, les 60 % totalement administrés par Israël. Cela comprend la circulation des biens et des personnes entre Gaza, Israël et la Cisjordanie.

Accorder la responsabilité de ces unités à Smotrich l’autorise non seulement à étendre les colonies et à appliquer ses pouvoir contre les Palestiniens mais aussi à restreindre davantage les entrées et sorties de l’enclave pour les Gazaouis.

Ce nouveau ministre jouera un rôle central dans tout ce qui est lié à la gestion de la vie des Palestiniens et des Israéliens en Cisjordanie, y compris l’aménagement du territoire et l’autorisation des avant-postes illégaux. En d’autres termes : l’annexion de facto de la zone C avec le suprémaciste juif Smotrich comme seul et unique dirigeant des territoires occupés.

De l’« annexion rampante » à l’« annexion rapide »

Même ceux à gauche qui affirment que l’annexion de facto est déjà en œuvre admettent que cela constitue un changement de politique drastique et aggrave l’apartheid.

Ce sont les premiers pas vers une annexion totale de la région. Cela a déjà été tenté auparavant mais a échoué sous la pression de la communauté internationale. Contrairement à la force brute des tentatives d’annexion précédentes, cette nouvelle approche est tactique et présentée comme de simples changements administratifs. De facto ? C’est bien plus que cela.

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Ce sont les premiers pas d’une annexion qui a commencé. Udi Dekel, ancien général de brigade, aujourd’hui des directeur adjoint du think tank Institute for National Security Studies définit ce récent changement comme un passage de l’« annexion rampante » à l’« annexion rapide ».

D’anciens cadres de l’administration civile israélienne disent s’attendre à ce que Smotrich annexe la Cisjordanie. Un ancien cadre a déclaré à Haaretz : « Smotrich mettra sans nul doute en œuvre l’annexion. »

Yehuda Etzion est totalement d’accord et espère davantage.

Il était autrefois membre du groupe terroriste Makhteret qui a participé au complot pour faire exploser le Dôme du rocher et est aujourd’hui un activiste d’extrême droite et fondateur d’un groupe dédié à permettre la prière juive dans la mosquée al-Aqsa, appelée mont du Temple par les juifs.

Il est personnellement impliqué dans l’établissement de la « liste de souhaits » des organisations de colons remises à Smotrich et Ben Gvir pendant leurs négociations avec Netanyahou.

Se confiant à Middle East Eye peu avant la nomination du nouveau gouvernement, il avait l’air optimiste quant aux intentions de Ben-Gvir vis-à-vis de la mosquée al-Aqsa – notamment l’ouverture pour les prières du shabbat et l’annulation de la règle qui permet aux juifs de se rendre sur le site uniquement lors de visites organisées.

« Je ne m’attends pas à une annexion à grande échelle puisque Bibi n’en veut pas vraiment », a-t-il confié à MEE, utilisant le surnom fréquemment utilisé pour désigner Netanyahou.

« J’attends de véritables changements en zone C, où les précédents gouvernements de Bibi ont permis aux Palestiniens de construire alors que les colonies juives pouvaient à peine se développer »

- Yehuda Etzion, activiste religieux israélien à MEE

« Mais j’attends de véritables changements en zone C, où les précédents gouvernements de Bibi ont permis aux Palestiniens de construire alors que les colonies juives pouvaient à peine se développer », a-t-il fait valoir, malgré les dizaines de milliers de nouveaux logements pour les colons construits en infraction du droit international tandis que les maisons, les hôpitaux et les écoles palestiniennes sont fréquemment rasées.

« En tant que processus cumulatif, cela signifie l’annexion. Ces deux ministres, Ben Gvir et Smotrich, vont mettre en œuvre de sérieux changements. L’unique question, c’est : est-ce que Bibi va les autoriser à faire ce qu’il leur a promis dans les accords qu’il a signé ? Je sais qu’ils ont tendance à en douter. »

Netanyahou, « un homme changé »

Dans un récent article publié par l’Institute for National Security Studies, Uri Dekel fait référence aux répercussions possibles d’une future annexion.

Il explique qu’appliquer le droit israélien en Cisjordanie et transférer le pouvoir du ministère de la Défense à un ministère civil va susciter la condamnation de la communauté internationale et les mettre sous le feu des projecteurs et accroître la caractérisation d’Israël comme régime d’apartheid.

« Ces assertions seront ancrées dans l’opinion juridique de la Cour internationale de justice et servira d’armes supplémentaires dans la campagne internationale contre Israël », écrit-il.

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Le député travailliste Nachman Shai, ministre sortant des Affaires de la diaspora, apporte une autre perspective. « À ce stade, les communautés juives en Amérique s’inquiètent principalement des implications de la politique du nouveau gouvernement pour eux directement, comme les changements sur la loi au retour, et du fait que les nouveaux ministres nommés désignent les juifs réformés [mouvement auquel appartiennent la plupart des juifs américains] comme n’étant absolument pas juifs », a-t-il déclaré à MEE.

Cette colère reste passive actuellement, a-t-il indiqué. Mais cela pourrait se traduire en opposition plus problématique pour Israël : encourager les États-Unis à ne plus protéger le pays à l’ONU et même à soutenir les sanctions concernant l’annexion.

« Dans ces nouvelles circonstances, je ne les vois pas manifester en soutien à Israël ou contacter leurs représentants au Congrès ou agir contre la politique de leur administration. Ils ne rejoindront peut-être jamais le BDS, mais ils ne vont pas le combattre », a-t-il ajouté.

« C’est une trajectoire dangereuse. Le seul à pleinement comprendre toutes les implications c’est Bibi lui-même, mais d’un autre côté, le Bibi de 2022 n’est pas le Netanyahou que nous connaissons. C’est un homme changé. »

Tout comme Israël.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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