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Ben-Gvir fait voler en éclats le discours « sécuritaire » qui sous-tend l’occupation israélienne

Ce qui inquiète vraiment les généraux israéliens, c’est que peu de choses changeront lorsque deux colons religieux ultranationalistes se retrouveront à la tête de l’occupation
Itamar Ben-Gvir, leader du parti d’extrême droite israélien Force juive, se présente à des consultations parlementaires avec les partis élus au sein de la 25e Knesset, le 10 novembre 2022 à la résidence présidentielle à Jérusalem (AFP)
Itamar Ben-Gvir, leader du parti d’extrême droite israélien Force juive, se présente à des consultations parlementaires avec les partis élus au sein de la 25e Knesset, le 10 novembre 2022 à la résidence présidentielle à Jérusalem (AFP)

Ce n’est pas sans raison que Gadi Eisenkot, l’ancien chef de l’armée israélienne, a exprimé son inquiétude lorsque Benyamin Netanyahou a accordé des pouvoirs sans précédent sur l’occupation à un parti de colons d’extrême droite au sein de son nouveau gouvernement.

Eisenkot a affirmé que l’armée risquait de « se désagréger » si Netanyahou politisait aussi ouvertement son rôle. Mais ce n’est pas la véritable raison pour laquelle Eisenkot et les autres généraux sont si inquiets.

Ils comprennent que Netanyahou est sur le point de faire voler en éclats la logique sécuritaire qui dissimule depuis si longtemps l’oppression raciste des Palestiniens sous leur emprise. 

Ben-Gvir, qui réclame l’annexion de la Cisjordanie, sera directement chargé d’approuver la construction de nouvelles colonies (AFP)
Bezalel Smotrich, qui réclame l’annexion de la Cisjordanie, sera directement chargé d’approuver la construction de nouvelles colonies (AFP)

Le futur Premier ministre a confié la charge des services de police en Israël à Itamar Ben-Gvir, du parti fasciste Force juive, et étendu ses attributions à la police aux frontières, une force paramilitaire distincte qui opère principalement dans les territoires occupés.

Ben-Gvir est un éminent partisan du kahanisme, l’idéologie violemment anti-arabe du rabbin assassiné Meir Kahane. Sa faction politique est aujourd’hui la troisième plus importante du Parlement israélien et le pilier de la nouvelle coalition de Netanyahou.

L’allié politique de Ben-Gvir, Bezalel Smotrich, devrait quant à lui présider l’Administration civile israélienne, un organe bureaucratique militaire non élu et dispensé de rendre des comptes qui jouit de pouvoirs bien plus importants sur la vie des Palestiniens de Cisjordanie que l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas, qui n’en porte que le nom.

Désormais leader des colons, celui qui réclame l’annexion de la Cisjordanie sera directement chargé d’approuver la construction de nouvelles colonies.

Risque d’effondrement

La plupart des Palestiniens vivant sous l’occupation peuvent difficilement imaginer que leur situation puisse devenir encore plus précaire ou que l’« État de droit » israélien puisse devenir une mascarade encore plus grotesque.

Ils sont déjà confrontés à des colons juifs armés, baignant dans l’extrémisme religieux, qui ont la certitude que leur violence ne sera pas punie par les autorités israéliennes et qui invoquent des titres de propriété tirés de la Bible pour justifier le vol de toujours plus de terres palestiniennes.

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Israël et sa population de colons exercent déjà un contrôle total sur plus de 60 % de la Cisjordanie et un contrôle effectif sur le reste.

Désormais, cependant, la brutalité des colons se manifestera dans le cadre d’un système juif ouvertement suprémaciste, dans lequel la mission de la police et des responsables israéliens consistera non seulement à fermer les yeux sur cette criminalité, mais aussi à l’encourager activement.

Eisenkot ne s’inquiète cependant pas d’une éventuelle intensification de la souffrance des Palestiniens.

Après tout, il est question du général qui a formulé la fameuse doctrine Dahiya pour justifier la dévastation soutenue du Liban par Israël au cours de l’été 2006. Cette doctrine préconise l’utilisation d’une puissance de feu « disproportionnée » et aveugle sur des zones civiles, en violation flagrante du droit international.

Le général Benny Gantz, ministre de la Défense sortant, a employé exactement la même stratégie lors du bombardement de Gaza en 2014, dans le but de ramener l’enclave côtière palestinienne assiégée à « l’âge de pierre », selon ses termes.

Lorsque Netanyahou a promu Ben-Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale la semaine dernière, Eisenkot a averti que l’armée risquait de s’effondrer. Il a exhorté « un million » d’Israéliens à descendre dans la rue pour protester. « Nous ne devons pas créer une situation où des soldats refusent de servir au combat », a-t-il déclaré.

La gestion quotidienne de l’armée est sous le contrôle des colons depuis un certain temps. Ils sont déjà largement surreprésentés dans les rangs des soldats et des commandants

Gantz a lui aussi tiré la sonnette d’alarme en soutenant que la nomination de Ben-Gvir mettrait un terme à la « coopération en matière de sécurité » avec l’Autorité palestinienne et transformerait l’armée israélienne en une milice privée de Ben-Gvir.

Les inquiétudes de ces deux généraux ne doivent cependant pas être prises au pied de la lettre. 

En réalité, Eisenkot sait que ceux qui refuseront le service militaire resteront une part infime. Il n’y a absolument aucun risque de voir l’armée israélienne se désagréger.

La raison en est que la gestion quotidienne de l’armée est sous le contrôle des colons depuis un certain temps. Ils sont déjà largement surreprésentés dans les rangs des soldats et des commandants.

De même, de son point d’observation privilégié au ministère de la Défense, Gantz sait parfaitement que l’armée opère déjà dans une large mesure comme une milice.

« Je vais vous casser la figure » 

Sur les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant des colons masqués et armés en train d’attaquer des Palestiniens alors qu’ils travaillent dans leur champ, on aperçoit invariablement un groupe de soldats à proximité, présents soit pour les aider, soit pour veiller à ce que les Palestiniens ne puissent pas riposter.

L’étroite affinité idéologique entre les colons et les soldats a été illustrée par un fait récent dans la ville palestinienne d’Hébron, où un petit nombre de partisans de Ben-Gvir vivent en violation du droit international sous la protection d’une nuée de soldats israéliens. 

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Fin novembre, l’un de ces soldats a été filmé en train de frapper un activiste juif opposé à l’occupation, lui fracturant la mâchoire, tandis qu’un autre lançait un avertissement au groupe pacifiste israélien : « Ben-Gvir va rétablir l’ordre. C’est fini pour vous. » Il a également menacé les activistes de leur « casser la figure ». 

Fait inhabituel, le soldat qui a proféré cette menace a été condamné à dix jours de prison militaire, une peine réduite à six jours par le chef du commandement sud de l’armée israélienne.

Lorsque des soldats attaquent des Palestiniens à Hébron, même des enfants, leurs actes restent impunis.

Ce qui a embarrassé l’armée cette fois-ci, c’est le nombre de transgressions commises par les soldats. Ils ont passé à tabac un autre juif. Ils n’ont pas empêché de filmer l’incident. Et ils se sont montrés assez stupides pour rendre publique leur motivation politique – en lieu et place d’une logique sécuritaire – lorsqu’ils s’en sont pris aux activistes.

Pour éviter une nouvelle mauvaise publicité de ce genre, l’armée a interdit aux activistes pacifistes et aux groupes israéliens de défense des droits de l’homme d’entrer dans la ville vendredi dernier, invoquant comme motif le maintien de « l’ordre public ».

La forme de suprémacisme juif la plus immonde

Les soldats ont également agressé et arrêté à deux reprises Issa Amro, un activiste pacifiste palestinien qui avait filmé l’attaque.

Au même titre que la nomination antérieure de personnalités laïques et « modérées » comme Eisenkot et Gantz au poste de chef d’état-major, cette peine de prison exceptionnelle était censée dissimuler le fait que l’armée israélienne constitue depuis longtemps un outil de promotion de la forme de suprémacisme juif la plus immonde, avec ou sans Ben-Gvir.

Ce qui dérange Eisenkot et Gantz, c’est que désormais, le masque est tombé. L’autorité de Ben-Gvir et Smotrich sur l’occupation fera voler en éclats le prétexte employé par l’armée.

Des soldats israéliens protègent des colons israéliens qui jettent des pierres en direction de Palestiniens (non visibles sur la photo) au cours d’affrontements dans la ville de Huwwara (Cisjordanie occupée), le 13 octobre 2022 (AFP)
Des soldats israéliens protègent des colons israéliens qui jettent des pierres en direction de Palestiniens (non visibles sur la photo) au cours d’affrontements dans la ville de Huwwara (Cisjordanie occupée), le 13 octobre 2022 (AFP)

Les deux généraux craignent en réalité que peu de choses ne changent lorsque deux colons religieux ultranationalistes seront à la tête de l’occupation, mais aussi que cela ne lève ainsi le voile sur le subterfuge de « sécurité » que déploie jusqu’à présent l’armée israélienne à la face du monde. 

L’occupation pourra devenir encore plus immonde, mais ses objectifs et sa mise en œuvre ne changeront pas fondamentalement. Les soldats continueront de tirer sur des Palestiniens, y compris sur des enfants, en toute impunité.

Les soldats continueront de prêter main forte aux colons dans leurs attaques illégales contre les Palestiniens. L’armée continuera d’instaurer des zones militaires fermées et de créer des zones de tir pour s’emparer de davantage de terres palestiniennes.

Les soldats continueront de raser des habitations et de dévaster des troupeaux de moutons et de chèvres dans le cadre du nettoyage ethnique infligé aux Palestiniens. Les services de renseignement de l’armée continueront de traquer les activistes palestiniens des droits de l’homme et d’interdire leurs organisations. Et l’armée continuera d’assiéger et de bombarder Gaza.

La différence est que les soldats-colons de l’armée israélienne, comme ceux d’Hébron, pourraient éprouver une telle confiance et un tel sentiment d’impunité que les lynchages de Palestiniens se produiront plus régulièrement et avec encore moins de retenue

Ben-Gvir n’était pas nécessaire pour tout cela. 

La différence est que les soldats-colons de l’armée israélienne, comme ceux d’Hébron, pourraient éprouver une telle confiance et un tel sentiment d’impunité que les lynchages de Palestiniens – comme l’exécution à bout portant d’Ammar Mefleh, blessé et à terre, par un soldat israélien à Huwwara début décembre, ou encore l’exécution récente de la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh par un sniper israélien à Jénine – se produiront plus régulièrement et avec encore moins de retenue.

Le danger tient au fait que les soldats se sentiront libres de crier des slogans racistes et kahanistes en commettant leurs crimes.

L’armée la plus morale du monde sera beaucoup plus difficile à défendre pour les apologistes d’Israël dans les capitales occidentales. Et c’est là que réside la véritable crainte d’Eisenkot et de Gantz. 

Des ghettos assiégés

Mais le problème est encore plus profond. Ben-Gvir et Smotrich ne feront pas seulement disparaître le prétexte sécuritaire qui sous-tend l’occupation depuis des décennies.

Ils rendront également la réalité de l’apartheid israélien – un consensus désormais partagé par les principaux groupes de défense des droits de l’homme israéliens et occidentaux – indiscutable aux yeux de tous, sauf des partisans les plus aveugles d’Israël.

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Après avoir occupé la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza en 1967, Israël a compris qu’il lui était possible de duper les observateurs au sujet de ce qu’il faisait réellement, à savoir coloniser et voler les terres palestiniennes.

Deux logiques sécuritaires ont été invoquées. Premièrement, Israël avait besoin de ces nouvelles terres pour en faire une zone tampon défensive contre les attaques arabes.

Deuxièmement, les Palestiniens sous son emprise étaient dirigés par des terroristes remplis de haine qui voulaient « pousser les juifs dans la mer » et ne comprenaient que le langage de la force. 

Cela aurait pu sembler beaucoup moins plausible si Israël n’avait pas réussi une autre supercherie, en soutenant qu’une petite minorité palestinienne dont il a hérité en 1948 et à laquelle il a accordé la citoyenneté israélienne, après avoir expulsé une écrasante majorité de la population palestinienne de sa patrie historique, vivait sur un pied d’égalité avec la population juive.

Israël était prétendument un État « juif et démocratique ».

Ce discours était lui-même une supercherie. Pendant deux décennies, ces « citoyens » palestiniens ont vécu sous la loi martiale, tandis que leurs terres étaient saisies et qu’ils étaient confinés dans des ghettos assiégés, privés de travail et d’écoles adéquates.

La minorité sert d’alibi à l’affirmation d’Israël selon laquelle l’occupation serait une mesure purement défensive

Même après la fin du régime militaire, la minorité a été séparée de la majorité juive et privée de terres, de ressources et de débouchés. Six décennies après la création d’Israël, une enquête judiciaire a conclu que la police traitait toujours la minorité palestinienne – un cinquième de la population – comme une entité « ennemie ».

Dans les faits, les 1,8 million de « citoyens » palestiniens actuels sont présentés par Israël comme la preuve vivante qu’il forme une démocratie libérale à l’occidentale à l’intérieur de ses frontières reconnues. La minorité sert d’alibi à l’affirmation d’Israël selon laquelle l’occupation serait une mesure purement défensive.

Un espace d’apartheid distinct

Les groupes de défense des droits de l’homme ont progressivement osé identifier ce discours comme une supercherie délibérée. Ils ont dénoncé Israël et son occupation comme un espace d’apartheid distinct, élaboré dans le but de privilégier les juifs tout en harcelant et en opprimant les Palestiniens, qu’ils soient citoyens ou non.

Ils se sont vu mettre des bâtons dans les roues en étant taxés d’antisémitisme, cette calomnie qu’ils craignaient et qui a assuré leur silence pendant si longtemps.

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Mais le nouveau gouvernement de Netanyahou démêlera rapidement cette supercherie. L’occupation désormais permanente sera dirigée par des dirigeants colons. Et ce sont ces mêmes dirigeants qui définiront l’orientation politique de la police en Israël et de la police aux frontières, qui opère principalement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. 

L’argument malhonnête selon lequel il existe une sorte de ligne de démarcation entre « Israël proprement dit » et les territoires occupés, avec d’un côté une démocratie modèle dirigée par des responsables politiques et de l’autre une zone de sécurité nécessaire administrée par l’armée, s’effondrera.

On y verra beaucoup plus clair sur ce qui se passe réellement : Israël et les territoires sont gérés comme une seule unité politique, où des suprémacistes juifs contrôlent, oppriment, tuent les Palestiniens et les soumettent à un nettoyage ethnique sans distinction, qu’ils soient « citoyens » ou sujets de l’occupation.

C’est exactement ce que Ben-Gvir et Smotrich, ainsi que leurs partisans, réclament depuis si longtemps. Ils soutiennent que la prétendue ligne verte séparant Israël de l’occupation est une dangereuse illusion et que les juifs doivent se montrer intransigeants en régnant d’une main de fer sur la « Terre promise ».

C’est cet argument qui l’a emporté. Parmi les deux partis juifs qui ont défendu renforcement d’une distinction territoriale lors des élections législatives il y a un mois, l’un (Meretz) n’est pas parvenu à entrer au Parlement et l’autre (le Parti travailliste) a été réduit à quatre sièges.

La fiction d’un Israël démocratique est de plus en plus difficile à soutenir. Ben-Gvir et Smotrich pourraient lui porter l’estocade

Alors que Gantz s’inquiète de voir l’armée devenir la milice de Ben-Gvir en Cisjordanie, l’extrême droite s’affaire à construire ses propres milices à l’intérieur d’Israël. Les colons procèdent à leurs attaques de type « prix à payer » contre les communautés palestiniennes en Israël et dans les territoires occupés.

L’extrême droite, souvent en coopération avec la police, frappe et harcèle les citoyens palestiniens dans les seuls espaces restants à l’intérieur d’Israël où la ségrégation ethnique n’est pas absolue, qu’Israël désigne sous l’appellation trompeuse de « villes mixtes ». Et l’extrême-droite ne cesse d’infiltrer la police israélienne, tout comme elle a pris auparavant le contrôle de l’armée.

La nomination de Ben-Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale – chargé du maintien de l’ordre en Israël et dans les territoires occupés – ne fait que confirmer ce succès. 

Les capitales occidentales continueront sans aucun doute de défendre l’État d’apartheid israélien en le dépeignant comme un phare de démocratie, car il s’agit d’un atout trop précieux dans un Moyen-Orient riche en pétrole pour être sacrifié.

Mais la fiction d’un Israël démocratique est de plus en plus difficile à soutenir. Ben-Gvir et Smotrich pourraient lui porter l’estocade.

- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Jonathan Cook is the author of three books on the Israeli-Palestinian conflict, and a winner of the Martha Gellhorn Special Prize for Journalism. His website and blog can be found at www.jonathan-cook.net
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