Soudan : carnage au Darfour, où les alliés et les ennemis de Hemetti se disputent le pouvoir
Alors que les yeux du monde sont rivés sur les violences qui font rage à Khartoum, dans l’ouest du Soudan, la région agitée du Darfour s’est embrasée et des affrontements auraient fait plusieurs centaines de morts.
Le Darfour est connu pour être un bastion des Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire issu des milices janjawids qui ont participé au conflit au Darfour ayant opposé les groupes rebelles aux tribus arabes et aux autorités soudanaises il y a vingt ans.
Pourtant, les FSR et leur chef Mohamed Hamdan Dagalo, communément appelé Hemetti, comptent de nombreux ennemis dans la région, qu’il s’agisse d’anciens mouvements rebelles, des Soudanais déplacés par les précédents combats ou d’une ancienne milice janjawid dirigée par Moussa Hilal, un rival de Hemetti.
En parallèle, les FSR bénéficient de l’allégeance de nombreuses milices tribales, notamment les Rizeigat, les Misseriya, les Habbani, les Salamat et les Bani Halba.
Ces dynamiques conflictuelles sont déjà à l’œuvre dans les différents États de la région, avec des conséquences violentes et meurtrières.
La guerre avec les Forces armées soudanaises, centrée sur Khartoum et déclenchée à l’origine par le projet d’intégration des FSR à l’armée, est plus violente et plus sanguinaire au Darfour, où l’on estime que des centaines de personnes ont été tuées et qu’au moins 20 000 civils ont été contraints de fuir vers le Tchad voisin.
Une défaite inattendue
Nyala, la capitale de l’État du Darfour du Sud, est réputée pour être la patrie des tribus arabes alliées à Hemetti, en particulier les Rizeigat. Sa conquête par l’armée soudanaise a donc été perçue comme un véritable coup dur pour les FSR.
Selon des témoins oculaires interrogés par Middle East Eye, les combats se poursuivent à Nyala et dans ses environs, ainsi que dans d’autres villages du Darfour du Sud.
Dans un pays où un vaste mouvement pro-démocratique, ignoré dans une large mesure par les puissants généraux du pays comme par la communauté internationale, s’est développé au sein de la population, un rassemblement contre la guerre a eu lieu vendredi, au cours duquel des centaines de personnes ont appelé à la fin des combats. Cette fois-ci, ce sont les femmes qui ont pris la tête de la manifestation.
Salma Ahmed, cheffe de file des manifestants, explique à MEE par téléphone depuis Nyala que l’objectif était de mettre en lumière les violations commises par les deux factions belligérantes.
« La situation dans la ville se détériore : il n’y a pas de nourriture, pas d’eau ou d’autres produits de base, et les gens restent cloîtrés chez eux. Il n’y a pas de police et les gens sont terrifiés », déplore-t-elle.
À environ 200 km de là, à El-Fasher, capitale de l’État du Darfour du Nord, les combats se sont concentrés sur la base aérienne de la ville au cours de la première semaine du conflit, indiquent des témoins oculaires à MEE.
Ezaldin Ahmed, qui vit à El-Fasher, explique à MEE que de nombreux soldats de l’armée ont été tués alors qu’ils défendaient la base aérienne et que les affrontements se sont étendus aux quartiers voisins.
Il décrit des combats « horribles ».
« Les deux camps ont utilisé tout ce qu’ils avaient pour s’en emparer. Mais en fin de compte, elle est désormais entre les mains des FAS. Nous avons vu beaucoup de corps dans les rues autour de l’aéroport », se souvient-il.
« Ils ont tué tout le monde, tout pillé, tout brûlé… et ce n’est pas terminé »
- Dldoom Ahmed, travailleur humanitaire
La situation dans le Darfour du Nord s’est calmée ces derniers jours, selon Ezaldin Ahmed, à la suite des efforts déployés par les tribus pour retrouver le calme et maintenir leurs communautés à l’écart de la guerre.
Osman Adam, un chef tribal local, indique à MEE que les chefs tribaux du Darfour du Nord se sont réunis, ont discuté et ont convenu de ne pas intervenir dans un camp ou dans l’autre.
« Mais l’autre raison du ralentissement des combats est le déploiement de la Force conjointe, qui comprend d’anciens rebelles », précise-t-il.
La Force conjointe a été créée dans le cadre des pourparlers de paix de Djouba en 2022, dans le but de réintégrer les anciens groupes rebelles et de constituer une alternative à la force de maintien de la paix de l’ONU dans la région. Composée d’anciens groupes rebelles, d’unités militaires régulières et d’éléments des FSR, elle est sous l’autorité de Suliman Arcua « Minni » Minnawi, un ancien chef rebelle qui occupe actuellement le poste de gouverneur du gouvernement régional du Darfour.
Minni Minnawi a déployé la Force conjointe entre l’armée et les FSR à El-Fasher et dans ses environs afin d’établir un tampon entre les factions belligérantes.
Un carnage à El-Geneina
Le tableau à El-Geneina, capitale de l’État du Darfour-Occidental, est complètement différent. Les FSR et leurs alliés y exercent un contrôle total et l’armée est aux abonnés absents.
Selon des sources présentes dans la ville interrogées par MEE, les FSR et les milices tribales qui lui sont alliées ont étouffé toute velléité de résistance en tuant des civils et en incendiant une grande partie d’El-Geneina, y compris des bureaux gouvernementaux, des habitations et le marché de la ville.
D’après un témoin oculaire vivant dans le quartier de Hai al-Shati, l’armée a tenté de contrer les FSR dans la ville le 23 avril avant d’être repoussée et ses soldats se sont repliés dans le quartier général de l’armée, où ils se trouvent toujours.
D’anciennes forces rebelles dirigées par Khamis Abakar, gouverneur du Darfour-Occidental, ont également affronté les FSR.
Cependant, des sources à El-Geneina soulignent qu’au lieu de tenter de participer activement au conflit, les anciens rebelles de l’Alliance nationale soudanaise se défendent et protègent les zones dans lesquelles ils opèrent ainsi que la résidence de Khamis Abakar.
« Les FSR et les milices arabes de la région et des environs d’El-Geneina qui leur sont alliées ont attaqué le quartier général des forces conjointes soudano-tchadiennes dans l’État et s’en sont emparées. L’armée nationale a tenté de le défendre, mais elle s’est retirée rapidement et a regagné son QG, ce qui fait que les milices contrôlent tout dans la ville », indique à MEE Dldoom Ahmed, travailleur humanitaire.
« Ils ont tué tout le monde, tout pillé, tout brûlé… et ce n’est pas terminé. »
Des demandes de commentaires ont été adressées à l’armée soudanaise, aux FSR ainsi qu’au gouverneur du Darfour-Occidental. Aucune réponse n’a été reçue au moment de la publication de cet article.
Des camps au bord du gouffre
Partout au Darfour, des camps abritent des déplacés internes accablés par deux décennies de conflit sporadique entre les factions belligérantes du Darfour. Alors que plus de deux millions de déplacés internes soudanais se trouvent au Darfour, cette nouvelle guerre ne fait qu’aggraver leur situation, indique une commission représentant les déplacés internes.
La commission a lancé un appel urgent aux organisations humanitaires internationales, soulignant que la situation humanitaire « se détériore rapidement » dans des camps au bord du gouffre.
« La situation est désastreuse. Les déplacés internes doivent fuir à nouveau les camps car même les camps sont attaqués, en particulier à El-Geneina. Ils fuient donc vers le Tchad ou tout autre endroit plus sûr », indique l’organisation dans un rapport consulté par MEE.
Plus de deux semaines après le début des combats, qui ont fait plus de 500 morts et quelque 4 600 blessés selon le ministère soudanais de la Santé, l’armée et les FSR commencent à faire pression sur la population pour qu’elle choisisse un camp. Selon des experts, cette approche risque d’étendre et de prolonger le conflit.
Divers cessez-le-feu conclus sous l’égide de la communauté internationale se sont succédé sans que les combats ne soient interrompus. Ni Hemetti, ni le chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhan ne manifestent la moindre intention de s’asseoir à la table des négociations.
À Khartoum, le conflit devient de plus en plus sanglant et complexe. Selon l’analyste politique soudanais Mohamed Badawi, le Darfour risque de sombrer dans un nouveau conflit ethnique généralisé si les combats à Khartoum continuent de s’intensifier.
« Le conflit au Darfour forme deux strates : la première oppose les FAS aux FSR », explique à MEE Mohamed Badawi, expert du Darfour et chercheur au Centre africain d’études sur la justice et la paix. L’autre strate, poursuit-il, oppose les tribus arabes du Darfour aux deux camps belligérants.
« Toutefois, ces deux strates se chevauchent dans la mesure où les deux factions belligérantes tentent d’obtenir davantage d’alliés. »
Si le conflit au Soudan s’intensifie, ces strates risquent de se chevaucher toujours plus, ce qui aurait des répercussions dramatiques.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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