Troisième nuit de violences en France après la mort d’un adolescent tué par un policier
La France a connu de nouvelles violences urbaines dans la nuit de jeudi à vendredi, la troisième consécutive après la mort du jeune Nahel près de Paris, tué par un policier mis en examen et écroué depuis pour homicide volontaire.
Nahel, 17 ans, a été tué par un tir au thorax lors d’un contrôle routier mené par deux motards de la police, après un refus d’obtempérer à Nanterre, à l’ouest de la capitale. En France, l’âge minimum pour conduire légalement est de 18 ans.
Selon une vidéo authentifiée par l’AFP, un des deux policiers le tenait en joue, puis a tiré à bout portant.
La mort de l’adolescent avait déjà entraîné deux nuits de violences en France, notamment en région parisienne, et le scénario s’est répété dans la nuit de jeudi à vendredi, les services de renseignement craignant une « généralisation » des violences lors des prochains jours.
Quelque 667 personnes ont été interpellées au niveau national, selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dont « l’essentiel » est âgé de 14 à 18 ans, tandis que 249 policiers et gendarmes ont été blessés au cours de la même nuit.
Le président Emmanuel Macron a convoqué vendredi une nouvelle réunion de crise. Le chef de l’État devrait écourter sa présence à Bruxelles, où il se trouve depuis la veille pour un sommet européen, afin de regagner Paris et diriger une cellule interministérielle à 13 h.
Pillages et affrontements
Dans le département de Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris, « quasiment toutes les communes » ont été touchées, souvent par des actions éclairs, avec de nombreux bâtiments publics pris pour cible comme la mairie de Clichy-sous-Bois, selon une source policière.
À Paris même, les célèbres Halles et la rue de Rivoli qui mène au musée du Louvre ont vu certains de leurs commerces et magasins « vandalisés », « pillés voire incendiés », a détaillé un haut-gradé de la police nationale.
Au moins trois villes proches de la capitale ont décidé d’instaurer un couvre-feu, parfois sur plusieurs jours, sur tout leur territoire ou certains quartiers seulement, pour tous ou pour les mineurs uniquement.
Clamart, près de Paris, et Compiègne, au nord de la capitale, ont ainsi instauré cette mesure de 21 h à 6 h du matin.
En région parisienne, bus et tramways ont cessé de circuler depuis 21 h jeudi.
À Marseille, deuxième ville de France, la devanture d’une bibliothèque municipale a été endommagée, selon la mairie. Et dans le célèbre quartier du Vieux-Port donnant sur la Méditerranée, des échauffourées ont opposé les forces de l’ordre à un groupe de 100 à 150 personnes qui aurait tenté de monter des barricades.
À Pau (sud-ouest), un cocktail molotov a été jeté sur le commissariat de police, a informé la préfecture du département.
À Lille (nord), la mairie d’un quartier populaire du sud a été incendiée et une autre, dans l’est de la ville, a été caillassée, selon l’Hôtel de ville.
Les brasiers se sont multipliés à Roubaix, commune pauvre au nord-est de Lille, sous les sirènes des pompiers et le projecteur d’un hélicoptère de la police. « En deux jours, ils ont fait ce que les Gilets jaunes ont fait en deux ans », a commenté un passant à propos des émeutiers.
Gérald Darmanin avait annoncé la mobilisation jeudi soir de 40 000 policiers et gendarmes, dont 5 000 à Paris (contre 2 000 la nuit précédente).
Selon une source policière, le RAID et le GIGN, unités d’élite d’intervention respectivement de la police et de la gendarmerie, ont été déployés dans de grandes villes du pays telles que Toulouse (sud-ouest), Marseille (sud-est), Lyon (sud-est), Lille (nord), ou Bordeaux (sud-ouest).
Le policier inculpé
Le gouvernement a assuré que le déclenchement de l’état d’urgence, réclamé par certaines voix de la droite politique, n’était « pas une option envisagée aujourd’hui ».
L’affaire a relancé la controverse sur l’action des forces de l’ordre en France, où un nombre record de treize décès a été enregistré en 2022 après des refus d’obtempérer.
« Je n’en veux pas à la police, j’en veux à une personne : celui qui a enlevé la vie de mon fils », a déclaré Mounia M., la mère de l’adolescent, dans une interview diffusée jeudi soir sur la chaîne de télévision France 5.
« Le parquet considère que les conditions légales d’usage de l’arme » par le policier auteur du tir, âgé de 38 ans, « ne sont pas réunies », a souligné jeudi matin le procureur de la République de Nanterre, Pascal Prache.
Le policier a été inculpé pour homicide volontaire et placé en détention provisoire, a ensuite annoncé le parquet.
En garde à vue, « les premiers » et les « derniers mots » du policier auteur du tir ont été des excuses à la famille, a rapporté jeudi son avocat, Me Laurent-Franck Liénard, sur la chaîne de télévision BFMTV, affirmant que son client « n’a pas voulu tuer ».
Le drame à l’origine de l’embrasement s’est produit lors d’un contrôle de police de la voiture conduite par Nahel, connu pour des refus d’obtempérer, les derniers ayant donné lieu à sa présentation au parquet dimanche dernier, en vue d’une convocation en septembre devant un tribunal pour enfants.
« Nos enfants sont en train d’être tués et personne ne s’en soucie »
Jeudi après-midi, une « marche blanche » a eu lieu à Nanterre, menée par Mounia M., la mère de Nahel.
En tête du cortège, suivi par les journalistes de Middle East Eye, se trouvaient de nombreuses mères. « Nos enfants sont en train d’être tués et personne ne s’en soucie », a crié Karima avec colère.
Juste à côté d’elle se trouvait Sarah, venue avec son fils de 15 ans. « Je vous le dis, j’ai peur pour lui maintenant. Pensez-vous que c’est normal dans un pays comme la France qu’on ait peur que la police tue nos enfants ? »
De nombreux adolescents dans le cortège pleuraient. Tous portaient des tee-shirts portant l’inscription « Justice pour Nahel ».
Selon la police, 6 000 personnes ont participé à la marche blanche, organisée par la famille de la victime. Tout se passait bien au début mais à 15 h 30, alors que la mère de Nahel lançait un appel au calme, la police a fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
En quelques secondes, la situation s’est aggravée et de petits groupes se sont formés pour affronter la police. Assise à quelques pas de la foule, une manifestante du nom d’Inès avait du mal à respirer.
« Pourquoi font-ils ça ? Tout allait bien », a déclaré la jeune femme, proche de la famille de Nahel.
« Le moins que l’on puisse faire, c’est essayer de calmer le jeu. Il y a des enfants dans le cortège, c’est irresponsable, il ne faut pas qu’ils s’étonnent si ça dégénère. »
Vendredi, l’ONU a demandé à la France de se pencher sérieusement sur les problèmes de racisme et de discrimination raciale au sein de ses forces de l’ordre.
« C’est le moment pour le pays de s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre », a déclaré Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, lors du point de presse régulier de l’ONU à Genève (Suisse).
Ravina Shamdasani s’est également dite préoccupée par les violences qui ont éclaté après la mort de ce jeune homme.
« Nous comprenons qu’il y a eu beaucoup de pillages et de violences, par certains éléments qui utilisent les manifestations à ces fins, et qu’il y a eu un grand nombre de policiers qui ont également été blessés », a-t-elle dit.
C’est justement pour cette raison, a-t-elle insisté, que « nous demandons à toutes les autorités de veiller à ce que, même s’il y a clairement des éléments violents dans les manifestations, il soit crucial que la police respecte à tout moment les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité ».
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