Suède-OTAN : la vente de F-16 et la fin de l’embargo canadien sur les armes ont convaincu Erdoğan
Après avoir insisté pendant des semaines sur le fait qu’il bloquerait la candidature de la Suède à l’adhésion à l’OTAN, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a donné lundi son feu vert en acceptant de transmettre le protocole d’adhésion au Parlement turc et de travailler avec l’assemblée pour garantir une ratification.
Cela a suscité de nombreuses questions sur les raisons de ce revirement.
Deux sources familières avec les négociations entre la Turquie et ses alliés occidentaux expliquent à Middle East Eye que deux développements principaux ont convaincu Erdoğan – même si en cours de route, il y a eu quelques obstacles.
Après des mois de négociation, le président turc #Erdogan a donné son feu vert concernant l'adhésion de la #Suède dans l'#OTAN.
— FRANCE 24 Français (@France24_fr) July 11, 2023
Prochaine étape : transmettre le texte au Parlement turc pour ratification pic.twitter.com/FhqS923dvn
D’abord, l’administration Biden a décidé de jouer le jeu avec le gouvernement d’Erdoğan après les élections turques de mai, qui ont cimenté le pouvoir du président turc pour encore cinq ans.
Après un appel téléphonique à Erdoğan pour le féliciter, Biden a ouvertement déclaré aux médias qu’il pourrait satisfaire la demande de la Turquie d’un contrat d’avions de combat F-16 d’une valeur de 20 milliards de dollars si Ankara approuvait la candidature de la Suède à l’OTAN.
Plusieurs appels téléphoniques et réunions entre de hauts responsables turcs et leurs homologues américains – y compris les ministres des Affaires étrangères, les premiers conseillers et les chefs du renseignement – ont conclu un accord au sujet de la demande de F-16.
Une autre source a déclaré à MEE que l’accord comprenait 40 nouveaux avions et kits pour réviser 79 F-16 de la flotte turque existante, ainsi que plus de 900 missiles air-air et 800 bombes.
Des mesures d’apaisement
Ensuite, deuxième événement à avoir fait changer Erdoğan d’avis, le Canada a accepté de lever son embargo sur les armes contre la Turquie, soulignent des responsables à MEE.
Ottawa avait imposé un embargo en réponse à l’offensive militaire de la Turquie dans le nord de la Syrie en 2019. Le Canada est partiellement revenu sur cette décision en juin 2020 et a approuvé la vente de boules optroniques (caméras embarquées) pour drones après des entretiens de haut niveau avec la Turquie.
Mais le Canada a ensuite suspendu les exportations militaires après des séquences vidéo montrant l’utilisation d’optiques Wescam de fabrication canadienne dans des drones au Haut-Karabakh en octobre 2020, où la Turquie soutenait les troupes azerbaïdjanaises contre les forces arméniennes.
Auparavant, la Turquie s’appuyait fortement sur des système optiques avancés produits par le Canada.
Un porte-parole des Affaires mondiales Canada (ministère chargé des relations diplomatiques et consulaires et de stimuler le commerce international) contacté par MEE assure toutefois que « les contrôles à l’exportation pour la Turquie restent en place ».
« Le Canada et la Turquie continuent d’avoir des échanges francs à propos de nos relations bilatérales, économiques et commerciales », ajoute-t-il.
Alors que ces accords étaient en cours de finalisation, la Suède a pris une série de mesures pour apaiser Erdoğan, telles que la condamnation d’un partisan du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), l’ouverture d’enquêtes contre le financement du terrorisme et la collaboration étroite avec les agences de sécurité turques pour créer un bureau chargé de suivre les activités dans Suède de personnes liées au groupe armé kurde.
Selon les responsables contactés par MEE, l’incident du Coran brûlé en Suède a provoqué la colère du président turc, un musulman pieux qui accuse l’Occident de doubles standards en matière de liberté d’expression et de religion
Erdoğan était sur le point de donner son feu vert final.
Mais tout à coup, les autorités suédoises ont autorisé un manifestant à brûler le Coran à Stockholm le premier jour de l’Aïd al-Adha, en dépit de la consternation d’Erdoğan et du gouvernement turc. Pire, il a fallu quatre jours à Stockholm pour condamner cette décision.
Selon les responsables contactés par MEE, l’incident a provoqué la colère du président turc, un musulman pieux qui accuse l’Occident de doubles standards en matière de liberté d’expression et de religion.
Enfin, le week-end dernier, lors d’un appel téléphonique avec Biden, Erdoğan a formulé une demande supplémentaire : que les principaux dirigeants et pays de l’Union européenne (UE) publient des déclarations de soutien à l’adhésion de la Turquie à l’UE et relancent les négociations d’adhésion gelées depuis des années.
Selon une de nos sources, Biden a été agréablement surpris par les commentaires d’Erdoğan sur la relance du processus d’adhésion à l’UE et lui a raconté au téléphone qu’en tant que sénateur, il avait joué un rôle déterminant lorsque l’administration Clinton encourageait l’Union européenne à accepter la Turquie. Il pourrait aider, a déclaré Biden à Erdoğan .
Un porte-parole de la Maison-Blanche a refusé de commenter.
Biden n’aura pas de mal à faire passer la vente de F-16 au Congrès
Lundi, la Suède a déclaré qu’elle soutiendrait activement les efforts visant à relancer le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE, notamment en modernisant l’union douanière UE-Turquie et en libéralisant les processus de demande de visa.
Erdoğan a également rencontré le président de l’UE, Charles Michel, qui a promis de préparer un rapport sur l’état des relations entre la Turquie et l’UE, comme il avait été mandaté par les dirigeants de l’organisation le mois dernier.
Enfin vint la décision d’Erdoğan d’approuver la candidature de la Suède.
On ne sait pas pour le moment s’il a obtenu des promesses du Premier ministre allemand Olaf Scholz ou du président français Emmanuel Macron concernant l’adhésion à l’UE, mardi lors du sommet de l’OTAN à Vilnius. Mais Scholz a déclaré qu’il discuterait des relations Turquie-UE avec le président turc lors d’une réunion bilatérale en marge du sommet.
Le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a déclaré mercredi aux journalistes que Washington procéderait au transfert d’avions de combat F-16 vers la Turquie en consultation avec le Congrès.
Le président de la commission des relations étrangères du Sénat américain, Bob Menendez, un acteur clé qui bloquait la demande de F-16 d’Ankara, a également déclaré lundi qu’il y avait une « accalmie » temporaire dans « l’agression » de la Turquie « contre ses voisins » et a déclaré qu’il était en pourparlers avec l’administration Biden au sujet des blocages qu’il avait mis sur l’accord.
Les responsables contactés par MEE pensent que Biden n’aura pas de mal à faire passer la vente de F-16 au Congrès une fois que le Parlement turc aura ratifié la candidature suédoise à l’OTAN la semaine prochaine.
L’administration américaine prévoit de soumettre une vente de F-35 à la Grèce conjointement avec l’achat de F-16 par la Turquie pour satisfaire les les plus sceptiques du Congrès.
Par ailleurs, Ankara a notamment fait preuve de prudence dans ses relations avec Athènes, décidant récemment de lancer conjointement des mesures de confiance.
Traduit de l’anglais (original).
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