Dar Yemma, success-story d’un Algérien à New York
Saber Bouteraa, né à Alger et âgé de 25 ans, réside dans le quartier d’Astoria, situé dans le Queens, un des cinq boroughs (sorte de municipalité) de New York.
Il a ouvert son restaurant Dar Yemma en février 2022 au cœur de Little Egypt, sur Steinway Street. Depuis, les habitants de la « Grosse Pomme » s’y ruent pour goûter plats marocains et algériens.
La communauté moyen-orientale s’y est peu à peu agrandie avec l’arrivée de plusieurs immigrés d’Afrique du Nord, notamment Algériens. Un phénomène nouveau.
Les toponymes de pays du monde entier sont utilisés depuis longtemps pour baptiser les quartiers de la ville la plus peuplée des États-Unis, des plus centraux et célèbres tels que China Town et Little Italy aux plus reculés comme Little Caribbean, Little Odessa, jusqu’à ceux dont il ne reste plus de traces, à l’instar de Little Syria, qui se situait sur l’actuel site du World Trade Center.
La première grande vague d’immigration arabe autour des années 1880 était majoritairement levantine. Little Syria a poussé dans le sud de l’île de Manhattan, autour de Greenwich Street et Washington Street.
Les vagues de migration se sont succédé jusqu’aux années 1920 : on estime qu’un quart de la population venant de l’actuel Liban aurait élu domicile à New York entre 1910 et 1914.
Loin des terres natales a éclos le mouvement littéraire Mahjar, auquel appartenait Afifa Karam, qui, dans son livre Fatima al-Badawiyya (Fatima la Bédouine, 1908), désignait New York comme « la Mecque des immigrants ».
« J’ai pensé que ça pourrait être un bon business »
Le cosmopolitisme de la ville n’a fait que s’étendre durant le XXe siècle. À la fin des années 1990, de nombreux immigrants égyptiens se sont installés à Astoria, pour y résider et y travailler.
La rue de Steinway Street dans le Queens, connue historiquement pour la fabrique des pianos Steinway, s’est vu attribuer le nom de « Little Egypt » face au développement des bars à chichas et restaurants égyptiens défilant de la 25e à la 28e avenue d’Astoria.
Aujourd’hui, autant de Palestiniens, Libanais et Égyptiens habitent le quartier, où l’islam tient une place importante dans l’espace public, des prières du vendredi jusqu’aux iftar du Ramadan.
Au cœur de Little Egypt, le cas de Saber, venu d’Algérie, est plus récent.
Sur fond musical algérien, de « Zina » de Raïna Raï à « Écoute-moi camarade » de Rachid Taha, Saber raconte à Middle East Eye son arrivée à New York, hésitant entre le français et l’anglais.
« Le français, ça fait un peu longtemps, je ne le pratique presque plus. » C’est dans un anglais américain parfait qu’il confie à MEE : « Quand je suis arrivé ici, je ne parlais pas du tout l’anglais, juste hello, how are you? ».
La langue, facteur déterminant du choix de résidence, a mené nombre d’immigrants arabes au quartier d’Astoria. À son arrivée aux États-Unis, Saber a cherché à nouer des liens avec la communauté algérienne de New York.
On lui a alors indiqué le quartier d’Astoria, qu’il a trouvé beaucoup plus riche que le nom de Little Egypt ne laisse entendre : « Astoria est mélangé, il y a des Italiens, des Marocains, des Algériens, des Grecs, c’est une communauté immense. »
Les débuts ont été compliqués : Saber avait à peine 16 ans et naviguait sans argent dans une ville dont la démographie de l’aire urbaine équivaut à la moitié de la population de son pays d’origine.
« J’ai étudié un temps à Laguardia Community College [université], où j’ai progressivement appris l’anglais. J’étais livreur de pizza dans Manhattan puis j’ai dû arrêter mes études et me consacrer à gagner ma vie. »
Saber a multiplié des jobs dans des restaurants de New York et s’est même rendu à Chicago pour quelques mois, mesurant le potentiel de ces deux grandes villes américaines pour son projet de restauration.
« Je me suis toujours dit que la nourriture algérienne manquait ici. Il y a quelques [restaurants] mais pas de cuisine du Maghreb à proprement parler. La décoration, le nom [de ces établissements] évoquent le Maghreb mais pas la nourriture, ce n’est pas traditionnel. J’ai pensé que ça pourrait être un bon business. »
Pendant la pandémie, Saber gagne le gros lot grâce à ses investissements dans la cryptomonnaie qu’il retire immédiatement pour acheter son local sur la rue Steinway.
« J’ai gagné le jackpot avec un coin, j’ai gardé l’argent. » La rénovation du lieu et l’obtention des licences durent plusieurs mois.
Le restaurant est finalement inauguré en février 2022, après de nombreuses inquiétudes. « Quand tu n’es pas ouvert mais que tu dois payer pour tout, la rénovation, l’achat… j’ai cru que je n’y arriverais jamais. »
Plein de fierté, il pointe du doigt un article du New York Times consacré au restaurant et affiché sur l’un des murs : « Je ne me serais jamais attendu à ça ! Certains restaurants qui sont ouverts depuis vingt voire trente ans l’attendent encore. »
« La France, je n’ai pas vraiment aimé »
Saber, qui réside à New York avec une carte verte (titre de séjour) depuis son arrivée en 2015, attend toujours la nationalité américaine, qu’il est possible de demander par voie de naturalisation après cinq ans de pleine résidence.
« J’aurai, Inch’Allah, la nationalité américaine cette année. »
En 2020, les États-Unis sont le quatrième pays sur la liste des pays de l’OCDE (organisation d’études économiques) à octroyer la nationalité aux immigrés algériens, un rang plus haut qu’en 2017. Alors qu’ils n’étaient que 426 en 2000, 1 027 Algériens ont obtenu la nationalité américaine en 2020.
« Beaucoup de gens me demandent pourquoi je n’ai pas choisi la France. J’ai pourtant beaucoup de famille là-bas, mon frère, mes cousins, entre Paris, Argenteuil, Lyon, Saint-Étienne… partout. J’y suis allé en vacances, je n’ai pas vraiment aimé. […] », raconte-t-il à MEE.
« J’ai senti que j’étais ciblé, en tant qu’Arabe, Algérien, Maghrébin. Après, je ne sais pas, je ne vis pas là-bas mais quand je suis parti en vacances à Paris, j’ai vu la différence de traitement à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Maintenant que je parle l’anglais et qu’ils [les Français] voient que je viens de New York, on me traite différemment. D’un coup, la mentalité change. »
L’accord franco-algérien de 1968, aujourd’hui critiqué par la droite française, donne une facilité de circulation, de résidence et d’emploi aux Algériens en France tout en régulant cette migration. Première communauté étrangère de l’Hexagone, les immigrants algériens tendent à diversifier leur destination d’arrivée.
En s’installant aux États-Unis, Saber dit avoir réalisé un rêve d’enfance. Son commerce inspire d’autres jeunes à suivre ses pas : « Mon restaurant est connu en Algérie, beaucoup d’Algériens viennent travailler ici pour un mois. Ils connaissaient le restaurant déjà en Algérie. »
Durant les années 1990, le nombre d’Algériens aux États-Unis s’est accru alors que les pays européens devenaient de plus en plus réticents à l’octroi de visas de travail.
Encore minoritaires aux États-Unis, les Algériens s’additionnent peu à peu aux autres communautés des pays du Moyen-Orient, déjà bien implantées.
Plusieurs défis se posent pour Saber : « La nourriture devient chère, la viande, les œufs, c’est compliqué, mais je travaille beaucoup. ».
Il rêve tout de même à un deuxième Dar Yemma en Californie : « Peut-être, dans le futur, le projet grandira. »
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