Art et résistance : Sliman Mansour sur l’occupation et l’identité palestinienne
L’atelier de Sliman Mansour à Ramallah correspond à l’image stéréotypée de l’espace de création d’un artiste : désordonné, où trône une table recouverte de stylos, de pinceaux et de photos étalés à côté de tasses de thé à moitié bues et de mégots de cigarettes.
Les murs de l’espace de travail sont tapissés de ses propres peintures ainsi que de toiles qui lui ont été offertes par d’autres artistes.
Au cours de sa carrière, Sliman Mansour a acquis une notoriété internationale pour ses œuvres figuratives et symboliques, qui capturent les réalités sociales et culturelles de la vie palestinienne sous occupation israélienne.
L’une de ses peintures les plus célèbres est son œuvre de 1994 intitulée L’Été dernier en Palestine, une interprétation de La Cène de Léonard de Vinci dans laquelle Jésus est remplacé par un Palestinien et où douze femmes palestiniennes prennent la place des disciples.
Une autre œuvre célèbre est Le Chameau des fardeaux (2005), qui représente un Palestinien frêle et âgé portant une sphère en forme d’œil sur son dos à l’intérieur de laquelle se trouve la ville de Jérusalem.
Son œuvre s’inspire de motifs palestiniens communs, tel l’olivier, qui est un symbole du lien profondément enraciné des Palestiniens avec la terre.
« Je me souviens que lorsque j’avais 12 ans, mon grand-père a acheté un terrain. Il ne l’a pas mesuré en dounams ou en acres, il disait qu’il avait acheté 53 oliviers », raconte Mansour à Middle East Eye, soulignant l’importance de l’arbre dans sa propre éducation.
La vie de l’artiste est indissociable des symboles qu’il inscrit dans ses tableaux et des réalités de l’occupation.
Mansour vit à Jérusalem mais son studio est à Ramallah, en Cisjordanie occupée, et il traverse les check-points israéliens plusieurs fois par semaine. Ce trajet peut durer de 45 minutes à six heures, explique-t-il à MEE.
Art et occupation
Sliman Mansour est né à Birzeit, une ville palestinienne au nord de Ramallah, en 1947, un an avant la Nakba, la « catastrophe » durant laquelle plus de 700 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux pour faire place à la création d’Israël.
Mansour a commencé le dessin dès son plus jeune âge et, quelques années plus tard, un tuteur allemand dans un pensionnat de Bethléem a remarqué son talent, l’encourageant à continuer la peinture et à soumettre son travail à des concours artistiques.
« Il a postulé pour que mon travail fasse partie d’un club de dessin, puis m’a dit que j’avais gagné un concours pour enfants organisé par les Nations unies. C’était en 1962 », se souvient Mansour.
En récompense de ses efforts, l’adolescent a remporté un prix en espèces de 200 dollars – mais, plus important encore, il s’est rendu compte qu’il souhaitait poursuivre la voie artistique de manière plus sérieuse.
Pendant les années 1960, un fort sentiment d’identité nationale prenait forme parmi les Palestiniens et les Israéliens.
Le discours forgé par les Israéliens au sujet de leur propre histoire au cours de cette période effaçait largement la présence palestinienne sur la terre de la Palestine historique avant l’immigration sioniste du début du XXe siècle.
C’était une période où l’accent était mis sur des idées inexactes, comme celle selon laquelle les colons juifs avaient rencontré une terre stérile et peu peuplée ; qu’ils avaient fait fleurir le désert.
Aucune place n’était laissée à la communauté palestinienne indigène dans une telle mystification.
Selon Mansour, les Palestiniens de cette période risquaient de voir leur propre récit historique disparaître complètement aux dépens de ces idées sionistes.
« C’était la stratégie même du mouvement sioniste, nier votre existence, parce que quand vous n’êtes pas là, c’est beaucoup plus facile de prendre votre terre, de vous tuer, de vous emprisonner », dit-il.
« Tout ce qui a mis Israël en colère est plus tard devenu un symbole »
- Sliman Mansour, artiste
Il incombait donc à des artistes comme Mansour de reformuler l’histoire palestinienne en incorporant des symboles, traditionnels comme nouveaux, dans leur œuvre.
« En tant qu’artistes, nous avons commencé à rechercher des images reflétant l’identité », explique-t-il, précisant qu’il s’agissait d’un processus qui impliquait de se référer à la culture ancienne et au paysage de la Palestine historique.
« Le paysage est une œuvre d’art de nos ancêtres. Lorsque les Israéliens ont occupé notre terre, ils ont commencé à planter des cyprès et des pins [non indigènes] au lieu d’oliviers pour modifier le paysage », poursuit-il.
Le symbole comme résistance
Outre l’olivier, le travail de Sliman Mansour présente plusieurs autres symboles associés à la lutte palestinienne, tels que l’orange de Jaffa, les thobes (robes) dans le style traditionnel de broderie (tatriz), la colombe et le keffieh.
« Quand je peins des orangers, je peins des terres qui ont été occupées en 1948, et quand je peins des oliviers, je peins des terres qui ont été occupées en 1967 », commente l’artiste, en faisant référence à la Nakba puis à la conquête ultérieure de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza par Israël lors de la guerre des Six Jours.
Un autre symbole, plus récent, est le cactus, qui, selon Mansour, a petit à petit été associé à la résistance et à la lutte palestiniennes.
« Si vous vouliez savoir s’il y avait autrefois un village [palestinien], vous cherchiez les cactus. Ils ne meurent pas facilement », explique-t-il.
La conservation d’un réseau de symboles, qui renforce l’identité palestinienne et contribue sans doute à la maintenir en vie, a fait grincer des dents en Israël.
L’exemple le plus récent de la répression israélienne des symboles palestiniens est l’interdiction du drapeau national, considéré comme celui d’une « entité hostile ».
Mansour indique que son travail est la cible des autorités israéliennes depuis des décennies.
« En 1979, quand on a commencé à faire des expositions, les Israéliens venaient confisquer des tableaux qu’ils n’aimaient pas », raconte-t-il. « Je regardais ce qu’ils prenaient, et c’était des bêtises, comme une paysanne vêtue d’une belle broderie travaillant dans les champs. »
La justification offerte par les Israéliens à Mansour et à d’autres artistes était que les peintures constituaient une « incitation ». Pour les artistes eux-mêmes, l’image d’une Palestinienne s’occupant de sa terre sape directement le mythe fondateur d’Israël selon lequel les pionniers sionistes ont transformé le désert en terres agricoles.
Mansour indique également que des responsables israéliens ont visité ses expositions dans le passé et les ont fermées, prenant les clés de la galerie qui abritait son travail avec eux.
« Ils nous rencontraient et discutaient des œuvres que nous devrions faire, nous disant de peindre de belles fleurs ou de belles femmes au lieu de faire de l’art politique. »
Si l’intention était d’étouffer l’activisme palestinien à travers l’art, cela s’est complètement retourné contre eux.
« Tout ce qui a mis Israël en colère est plus tard devenu un symbole », explique Mansour, qui décrit comment la réaction israélienne a forcé les artistes à adopter des symboles plus subtils de l’identité palestinienne – à l’instar de la pastèque, qui a été associée à la Palestine en vertu des couleurs qu’elle partage avec l’étendard palestinien.
L’artiste palestinien
Au fil des décennies, Sliman Mansour s’est forgé un public dévoué et son travail a acquis une notoriété internationale.
Il a reçu le prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe en 2019, le grand prix de la Biennale du Caire en 1998 et le prix Palestine pour les arts visuels en 1998.
Aujourd’hui, Mansour consacre son temps au mentorat de jeunes artistes et étudiants, leur offrant la possibilité de développer leurs capacités créatives et de bénéficier de sa propre expérience.
En tant qu’artiste, Sliman Mansour affirme qu’il préfère éviter la politique. Mais en tant que Palestinien, l’art est une porte de sortie ; une façon d’apaiser une conscience qui ne lui permettra pas de détourner le regard de l’occupation.
« Je crois fermement en l’importance d’embrasser son art et d’embrasser son lien avec son peuple, sa culture et sa quête de liberté », affirme l’artiste. « Il est crucial pour mes élèves de saisir le sentiment d’appartenance et de ne jamais perdre espoir.
« Si mon œuvre est capable de persuader mon peuple, alors elle a le pouvoir d’influencer n’importe qui d’autre dans le monde », dit-il.
« Je pense avoir apporté une contribution significative à l’art palestinien, non seulement par le biais de mes propres créations mais aussi en aidant à l’instauration de la Ligue des artistes palestiniens. Je peux dire que j’ai la conscience tranquille. »
Quand on lui demande ce qu’il peindrait s’il n’y avait pas l’occupation, Mansour répond : « Des fleurs et des femmes fascinantes. »
Traduit de l’anglais (original).
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