Guerre Israël-Palestine : l’armée détient « arbitrairement » des femmes et des jeunes filles de Gaza
L’armée israélienne détient arbitrairement des dizaines de femmes et de jeunes filles de Gaza sans révéler où elles se trouvent ni les charges retenues contre elles, selon des organisations et familles palestiniennes.
Depuis qu’Israël a lancé une invasion terrestre de Gaza fin octobre, ses forces ont arrêté des centaines de civils à leur domicile ou alors qu’ils fuyaient sur une route faisant partie d’un « couloir de sécurité » défini par l’armée.
Si certains ont été libérés après avoir été interrogés, beaucoup ont été emmenés dans des lieux non divulgués, y compris des mères de famille qui ont été séparées de leurs bébés et placées en détention.
La Commission des affaires des détenus et anciens détenus de l’Autorité palestinienne a confirmé dimanche la présence d’au moins 142 détenues – dont des femmes âgées et des enfants en bas âge – dans les prisons israéliennes.
Dans un communiqué commun avec le Club des prisonniers palestiniens, la commission a mis en garde contre les « crimes horribles » perpétrés à l’encontre des prisonnières.
La commission a précisé que ces personnes avaient été arrêtées alors qu’elles étaient contraintes de fuir avec des dizaines de milliers de Palestiniens du nord de la bande de Gaza vers le sud par la route Salah al-Din.
Ces femmes ont été interpellées à un poste de contrôle mis en place par l’armée sur cette route et emmenées dans plusieurs prisons sur le territoire israélien, notamment celles de Damon et Hasharon.
« Maintenant, ses jeunes enfants n’ont personne avec eux, ce ne sont que des enfants en bas âge »
– Inshirah al-Shaikh, cousine d’une détenue
Inshirah al-Shaikh indique à Middle East Eye que sa cousine Aseel, âgée de 19 ans, est détenue à la prison de Damon.
« Aseel était avec sa mère, son frère blessé et deux plus jeunes enfants de la fratrie », raconte-t-elle.
« Quand elle a été interpellée, elle pensait que c’était à cause d’un problème avec ses papiers et qu’elle serait interrogée, mais elle n’est pas revenue et on n’a aucune nouvelle d’elle. »
Inshirah al-Shaikh ajoute que certaines femmes ayant été arrêtées se rendaient dans le sud avec leurs enfants, mais sans leur mari.
« Une femme se rendait à Khan Younès lorsqu’elle a été arrêtée. Maintenant, ses jeunes enfants n’ont personne avec eux, ce ne sont que des enfants en bas âge », poursuit-elle.
Une autre femme, employée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), a été arrêtée et emmenée dans un lieu non divulgué.
« Je ne sais toujours pas où elle a été emmenée. On ne sait même pas si elle a été conduite en prison ou non », explique Inshirah al-Shaikh à MEE.
Détenues, battues, menacées de viol
Interrogée par MEE, Suhair Barghouti, une Palestinienne de 65 ans libérée de prison le mois dernier, affirme avoir vu arriver au moins dix détenues de la bande de Gaza avant sa libération.
L’administration pénitentiaire israélienne a informé les prisonnières qu’il leur était interdit de parler à celles qui arrivaient de Gaza ou de s’approcher de leur section, explique-t-elle.
« Nous pouvions les voir à travers une petite fente dans la porte de la section. Elles étaient menottées et portaient des uniformes appartenant à l’administration pénitentiaire. Les geôliers les traitaient sans ménagement et les poussaient de force dans leur nouvelle section », témoigne-t-elle.
Les prisonnières ne savaient rien des femmes de Gaza et n’étaient pas autorisées à sortir, même dans la cour de la prison. Suhair Barghouti raconte cependant qu’en allant se doucher dans les sanitaires extérieurs, elle a jeté un coup d’œil dans leur cellule.
« J’avais sur moi des vêtements supplémentaires appartenant à des prisonnières qui avaient été libérées dans le cadre de l’accord [d’échange de prisonniers]. J’ai fait semblant d’aller prendre une douche et, lorsque le gardien de prison n’était pas là, j’ai regardé par la petite fenêtre de la porte et j’ai appelé les prisonnières de Gaza en chuchotant. Je leur ai donné les vêtements et je leur ai posé des questions sur leur arrestation », raconte Suhair Barghouti.
Selon l’ex-prisonnière, certaines détenues ont été séparées de leurs enfants par des soldats et forcées de les laisser derrière elles malgré leur jeune âge.
L’une des femmes a vu un garçon de 13 ans traverser la rue et lui a confié ses enfants avant d’être emmenée.
Suhair Barghouti décrit par ailleurs les traitements brutaux subis par les détenues, qui ont notamment été battues, menacées de viol, privées de leurs vêtements et de leur hijab, insultées et privées de nourriture.
« L’une d’entre elles, qui souffrait, m’a raconté que les soldats avaient lâché des chiens policiers sur elles pour les molester. L’arrestation a eu lieu dans un prétendu passage sécurisé qui ne l’était pas du tout », ajoute-t-elle.
Privées d’avocat
Selon Amani al-Sarahna, porte-parole du Club des prisonniers palestiniens, les femmes se voient interdire de s’entretenir avec un avocat, leur famille ou leurs codétenues.
« Les avocats ont l’interdiction de leur rendre visite, mais d’après les témoignages que nous avons reçus, Israël commet des crimes horribles et atroces contre les détenues de Gaza », indique Amani al-Sarahna à MEE.
Middle East Eye a contacté l’Autorité pénitentiaire israélienne afin de recueillir des commentaires. Celle-ci a invité MEE à s’adresser « à ceux qui les ont placées en détention », sans donner plus de détails.
Une demande de commentaires adressée à un porte-parole de l’armée israélienne était restée sans réponse au moment de la publication de cet article.
La commission de l’Autorité palestinienne et le Club des prisonniers ont fait part de leur inquiétude pour le sort des détenues en raison de la censure des informations imposée par les autorités israéliennes.
« À la lumière des images choquantes et horribles et des témoignages de citoyennes récemment arrêtées à Gaza, le niveau de crainte quant à leur sort augmente de jour en jour », a déclaré l’organisation dans un communiqué.
« Nous n’excluons pas la possibilité que les forces israéliennes procèdent à des exécutions de détenues gazaouies sur le terrain », a-t-elle ajouté.
La semaine dernière, les forces israéliennes ont arrêté des dizaines de civils palestiniens chez eux dans le nord de Gaza et les ont obligés à se déshabiller.
Un témoin oculaire a déclaré qu’au moins sept hommes avaient été abattus par les soldats israéliens pour ne pas avoir obéi assez rapidement aux ordres, selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme.
La pression s’accentue sur les États-Unis
Ces clichés d’hommes palestiniens arrêtés et dévêtus qui ont fait le tour de la toile ont suscité une réaction des États-Unis : lundi, le département d’État a décrit des images « profondément troublantes ».
La pression s’accentue sur Washington en raison de la persistance de son soutien à la campagne militaire israélienne à Gaza. Lundi, plusieurs organisations populaires se sont mobilisées dans la capitale américaine pour demander un cessez-le-feu et la fin du soutien militaire américain à Israël.
Des dizaines de manifestants ont été arrêtés au Sénat américain alors que les législateurs discutaient d’un projet de loi budgétaire prévoyant une aide de 14 milliards de dollars à Israël. Des manifestants juifs se sont également menottés à la grille de la Maison-Blanche pour exiger la fin des bombardements israéliens à Gaza.
Interrogé par MEE, le Center for Constitutional Rights (CRR), une ONG basée à New York, a fait part de son intention de déposer une réponse à la motion de l’administration Biden visant à rejeter son action en justice, dans laquelle les Palestiniens accusent le gouvernement américain de ne pas empêcher Israël de commettre un génocide à Gaza.
L’administration affirme également examiner des informations faisant état de l’utilisation de phosphore blanc par Israël. Depuis plusieurs mois, des organisations de défense des droits de l’homme dénoncent son usage par Israël à Gaza et dans le sud du Liban.
Le Washington Post a publié lundi les preuves les plus formelles à ce jour de l’utilisation par Israël de munitions au phosphore blanc fournies par les États-Unis contre des civils au Liban.
Le phosphore blanc est une arme chimique qui s’enflamme au contact de l’air et peut gravement brûler les personnes ou les structures avec lesquelles il entre en contact.
Dans certaines circonstances, son utilisation constitue une violation du droit international.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].