Est-ce que Benkirane va conduire son parti à une autre victoire électorale au Maroc ?
Au cours d’un congrès extraordinaire tenu le 28 mai à Rabat, le Parti de la justice et du Développement (PJD) au pouvoir au Maroc a voté le maintien du Premier ministre Abdelilah Benkirane en tant que secrétaire général du parti islamiste.
Alors qu’il ne reste que quatre mois avant les élections législatives, le parti a également reporté son congrès national jusqu’à l’été 2017. Cette décision est significative pour le parti car celui-ci cherche à utiliser Benkirane comme l’atout qui pourrait conduire le PJD à remporter ses deuxièmes élections parlementaires successives.
Cependant, Saadeddine Othmani, président du conseil national du PJD, a refusé de donner les raisons de l’extension du mandat de Benkirane.
« L’objectif est simplement de préparer notre parti au Parlement afin de remporter la bataille électorale. Le plus important est de finir premier dans les urnes, le reste est accessoire, parce que la nomination du futur chef de gouvernement émane de prérogatives royales, pas du PJD », a déclaré l’ancien ministre des Affaires étrangères Othmani.
Un écrasant 95 % a voté pour le report du congrès ordinaire du parti et le maintien de sa direction suite à un scrutin secret tenu avant les élections parlementaires du 7 octobre.
Beaucoup d’autres partis politiques tels que le Rassemblement national des indépendants (RNI) du gouvernement de coalition et le Parti de l’Indépendance (PI) de l’opposition ont choisi de reporter leurs congrès ordinaires en raison des élections qui se profilent, alors que le parti d’opposition Authenticité et Modernité (PAM) a réélu Ilyas Elomari en tant que secrétaire général.
Benkirane voit le PAM comme le principal rival du PJD pour les prochaines élections après que le parti d’opposition soutenu par le palais royal a remporté plus de régions que le parti islamiste lors des premières élections régionales du pays. Ces résultats ont été très difficiles à avaler pour le PJD qui s’est senti trahi par certains de ses alliés au sein du gouvernement de coalition ayant choisi de donner leurs voix aux candidats du PAM. Casablanca était leur plus grande perte contre le PAM aux élections régionales.
Le Premier ministre sortant a visé le PAM lors d’un discours qu’il a prononcé lors du congrès.
« Le projet politique du PAM a échoué bien qu’il soit soutenu par certains médias », a déclaré Benkirane, signe que la campagne électorale commence plus tôt que prévu.
Il a souligné que le PJD est un parti civil et politique « qui est loin de l’islamisme religieux » en dépit d’allusions réitérées à la religion au cours de ses discours.
Cela marque un grand changement par rapport à il y a quelques années, lorsque la plupart des dirigeants du PJD faisaient ouvertement campagne pour un retour à la loi islamique comme moyen de résoudre les problèmes du Maroc. Cependant, à leur arrivée au gouvernement, les islamistes se sont adaptés à de nombreuses situations complexes. Ils ont abandonné leur « réforme morale » tant souhaitée en faveur d’une série de réformes économiques et sociales radicales.
« Nous avons des références islamiques, mais nous agissons en tant que parti politique responsable loin du radicalisme », a-t-il déclaré.
Le parti islamiste cherche à donner à Benkirane tous les moyens pour le mener à un second mandat consécutif à la tête du gouvernement s’il devait remporter les élections puisque sa popularité a été à l’origine des solides résultats de son parti lors des élections locales et régionales en septembre dernier. Le PJD est arrivé troisième derrière le PI et le PAM aux élections locales, triplant son score par rapport à 2009.
Benkirane a déclaré que son parti arriverait en tête aux prochaines élections législatives, affirmant que le PJD « est le parti le plus démocratique » du Maroc.
Avec le nombre de mandats limité à deux pour le poste de secrétaire général, le PJD pourrait se trouver face à un dilemme s’il gagne les élections.
Benkirane serait en position de force pour modifier les articles du PJD et briguer un troisième mandat en tant que secrétaire général. Toutefois, l’article 47 de la Constitution stipule que « le roi nomme le chef du gouvernement du parti politique qui est arrivé premier aux élections législatives à la lumière de leurs résultats ».
Cela ne signifie pas que le roi Mohammed VI nomme nécessairement le chef du principal parti politique en tant que chef du gouvernement.
Le secrétaire général du PJD a vanté les réalisations de son gouvernement de coalition. « Les citoyens estiment que le gouvernement se soucie de leur situation en prenant des mesures telles que l’activation du Fonds de cohésion sociale, le paiement de pensions aux femmes divorcées, l’augmentation des bourses d’études et la baisse des prix des médicaments », a-t-il dit.
Cependant, une grève générale de 24 heures organisée par les principaux syndicats le 31 mai à travers le Maroc a paralysé les administrations publiques pour protester contre « le manque de dialogue social du gouvernement » sur un projet de loi visant à réformer les retraites.
Selon un communiqué conjoint publié par les principaux syndicats, le taux de participation à la grève dans les ministères et les administrations publiques était de 73 et 83 % respectivement, tandis que la grève a été observée par 94 % des fonctionnaires du gouvernement local.
La réforme proposée comprend l’augmentation des contributions et le passage de l’âge de la retraite de 60 à 63 ans.
La grève a envoyé un message fort au Premier ministre marocain concernant le rejet par les syndicats de cette réforme controversée, malgré l’avertissement du gouvernement qui ne serait pas en mesure de financer les pensions de 400 000 travailleurs à moins que le secteur des retraites ne soit radicalement réformé.
Les jours de Benkirane à la tête du PJD sont peut-être comptés, ce qui suscite des questions au sein du parti islamiste concernant un successeur potentiel qui devra préserver le legs du PJD.
Pour le moment, le parti islamiste mise sur la popularité du Premier ministre marocain, même sur les réseaux sociaux, pour les rallier à une deuxième victoire consécutive aux élections législatives. Est-ce que ce sera une mission accomplie pour Benkirane ? Le scrutin du 7 octobre en décidera.
- Saad Guerraoui est rédacteur en chef de Middle East Online et un auteur régulier du journal Arab Weekly. Il a étudié à l’Université de Newport (campus de Londres) et est titulaire d’un doctorat en administration des entreprises. Il est déjà intervenu publiquement sur plusieurs chaînes de télévision par satellite en tant qu’analyste.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le Premier ministre marocain Abdelilah Benkirane (au centre) s’exprime au cours d’une session extraordinaire au Parlement, dans la capitale Rabat, le 12 mars 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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