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2019, une année meurtrière pour les Iraniens

Des inondations destructrices, des menaces de guerre, des manifestations violemment réprimées… Pour les Iraniens, 2019 n’a pas été une année reposante. Mais elle a mis à nu la véritable nature du pouvoir
Un manifestant iranien se protège des gaz lacrymogènes, lors d’une manifestation, le 16 novembre 2019 (AFP)

L’année 2019 a commencé pour les Iraniens par des inondations destructrices qui ont noyé une large partie de leur pays, en déplaçant plus de 500 000 personnes. 

La mauvaise gestion de la crise a tellement contrarié les populations sinistrées que les dirigeants de la République islamique ont été obligés de faire appel à leurs forces militaires étrangères, les milices irakiennes de Hachd al-Chaabi et les soldats du Hezbollah libanais, pour calmer les cris de haine des contestataires.

Les inondations début 2019 ont fait au moins 70 morts et plus de 500 blessés (Reuters)

Tout au long de l’année 2019, la tension entre Washington et Téhéran est allée crescendo et la menace de la guerre a plané sur toute la région, en faisant oublier la situation dans laquelle vivent les Iraniens.

En 2019, la paupérisation de la société iranienne – qui a en réalité commencé il y a longtemps, à la suite d’embargos interminables, conséquences directes de la diplomatie belliqueuse de la République islamique – s’est encore aggravée. 

Désormais, l’économie est moribonde, l’inflation dépasse les 40 % et le pays est en pleine récession. C’est le secteur pétrolier qui a été le plus affecté par l’embargo américain. 

L’Iran est passé, début 2018, de plus de 2,5 millions de barils exportés par jour à moins de 500 000 barils par jour en 2019. Dans un pays où l’essentiel des recettes de l’État repose sur le pétrole, cela signifie que la banqueroute est totale.

L’année 2019 a également été marquée par les vains efforts de l’Union européenne pour sauver l’accord sur le nucléaire de 2015 avec l’Iran. Le dispositif INSTEX, un mécanisme de troc que l’Union européenne a lancé en février 2019 pour contourner les sanctions, s’est rapidement avéré un échec. 

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Certains observateurs politiques ont fustigé l’incapacité des Européens à opposer une résistance aux États-Unis afin de contourner les sanctions imposées à la République islamique.

La défense des intérêts des ayatollahs est allée si loin que les détracteurs de l’Union européenne ne voient pas que c’est justement le caractère démocratique de cette institution qu’ils sont en train de dénoncer.

Au nom de quoi l’Union européenne pourrait-elle obliger le secteur privé à investir en Iran et à subir des pertes colossales, liées aux sanctions américaines ?

Or, l’échec de l’Union européenne a mis les ayatollahs dans une situation délicate et les caisses de l’État iranien se sont vidées jour après jour. 

Démenti sanglant

Cette privation de la République islamique des pétrodollars a pourtant porté ses fruits. Faute de pouvoir financer le Hezbollah libanais et leurs milices irakiennes, les ayatollahs de Téhéran se sont retrouvés face aux soulèvements populaires dans ces deux pays où, depuis plusieurs décennies, ils avaient investi la richesse nationale des Iraniens afin de poursuivre leur politique expansionniste. 

Depuis qu’ils ne peuvent plus les payer, leurs alliés les abandonnent. Ce phénomène est remarquable, parce qu’il démontre que l’attachement des soldats étrangers aux ayatollahs est de nature nettement plus pécuniaire qu’idéologique.

Depuis plusieurs mois en Irak et au Liban, les manifestants sont sortis dans les rues pour dénoncer leurs dirigeants politiques qui sont à la solde de Téhéran. Leur message est clair : désormais, plus personne ne veut de l’ingérence de la République islamique dans les affaires internes de son pays. 

Un partisan du Hezbollah lors d’une manifestation à Beyrouth (Reuters)

Ainsi, l’année 2019 a apporté un démenti sanglant à l’analyse de ceux qui considéraient le régime des ayatollahs comme une puissance régionale. Elle nous a dévoilé la véritable nature de cette « grande puissance du Moyen-Orient » : un château de cartes qui repose essentiellement sur la capacité de nuisance de ses mercenaires régionaux. Des mercenaires qui sont plus attachés aux salaires que les ayatollahs leur versent qu’à l’islam idéologique que ceux-ci promeuvent. 

La révolte des Irakiens et des Libanais a eu également un effet contagieux sur les Iraniens, les rendant plus résolus que jamais.

La révolte des Irakiens et des Libanais a eu également un effet contagieux sur les Iraniens, les rendant plus résolus que jamais

Fatigués par quarante ans de crises successives, de sanctions répétitives, de désastres économiques, et de mauvaise gestion du pays, ils ne veulent plus de leurs dirigeants corrompus et criminels.

Quarante ans de kleptocratie des ayatollahs ont ruiné ce pays riche, aux immenses ressources naturelles, avec une population nombreuse, parmi les plus instruites du Moyen-Orient. 

Aujourd’hui, selon les chiffres officiels, les trois-quarts de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté et la moindre contestation se transforme en bain de sang. 

Constitution bafouée

Lorsque dans la nuit du 14 au 15 novembre, une augmentation de 300 % du prix de l’essence a été annoncée par l’État, le peuple, désespéré, est sorti dans les rues pour exprimer sa rage. Quelques jours d’émeutes ont suffi pour que les forces de l’ordre tuent quelque 1 500 personnes et en arrêtent plus de 7 000. 

Ce chiffre a été révélé par l’agence Reuters, grâce à trois responsables du ministère iranien de l’Intérieur, anonymes pour de raisons évidentes de sécurité, qui ont eu accès à des informations recueillies auprès des forces de l’ordre, des hôpitaux et des morgues.

Des Iraniens marchent près d’une banque incendiée, après des manifestations contre l’augmentation du prix du carburant à Téhéran (Reuters)

Certes, ce n’est pas la première fois que les ayatollahs de Téhéran font preuve de violence. Les Iraniens n’ont pas oublié le dynamitage de la prison d’Evin en 1987, sous lequel plus de 6 000 prisonniers politiques ont été ensevelis, alors qu’ils étaient en train de purger leur peine. 

Mais cette fois, la situation est bien différente : les dirigeants de la République islamique ont tué des citoyens ordinaires : 1 500 personnes, sinon plus, ont été assassinées dans les rues, au vu et au su de tous, parce qu’elles contestaient une décision arbitraire de l’État. Selon quel droit les dirigeants iraniens ont-ils pris la vie de leurs propres citoyens ?

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Aucune loi en ce monde ne condamne les contestataires pacifiques à la mort. La Constitution de la République islamique garantit aux Iraniens le droit de manifester. En assassinant 1 500 citoyens ordinaires, les ayatollahs de Téhéran ont bafoué leur propre Constitution. 

Si, dès l’avènement de la République islamique, ses dirigeants ont torturé, violé et té les opposants politiques dans le secret de leurs prisons, la justification reposait sur la nécessité de lutter contre les ennemis du régime. 

En novembre 2019, les agents de l’ordre ont délibérément visé les manifestants pacifiques. Les 1 500 Iraniens qui ont péri pendant ces émeutes, n’étaient ni armés, ni opposants politiques. Ils n’étaient que des citoyens ordinaires. 

C’est en cela que, depuis novembre 2019, la République islamique est entrée dans une nouvelle phase. Il s’agit de la violation délibérée des droits fondamentaux des individus et cela relève du crime contre l’humanité. 

Depuis novembre, le monde entier est témoin du fait que la République islamique tue ses citoyens pour rester en place

Désormais, la communauté internationale n’a plus affaire aux dirigeants d’un régime autoritaire qui réprime violemment les opposants, mais elle a affaire à des criminels. 

Depuis novembre, le monde entier est témoin du fait que la République islamique tue ses citoyens pour rester en place. 

L’année 2019 a soulevé une question primordiale : quelle est la responsabilité des pays démocratiques face à ces États qui règnent sur le sang de leur population ?

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Mahnaz Shirali est sociologue et politologue, spécialiste de l’Iran. Elle est directrice d’études à l’Institut de science et de théologie des religions de Paris (ISTR-ICP). Elle enseigne également à Sciences Po Paris. Elle est l’auteure de plusieurs livres sur l’Iran et l’islam, notamment : La malédiction du religieux, la défaite de la pensée démocratique en Iran (2012), et Fenêtre sur l’Iran, le cri d’un peuple bâillonné (2021)
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