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Guerre Israël-Palestine : la « guerre contre le terrorisme » continue de viser les activistes pro-Palestine

Au lendemain du 7 octobre, les politiques répressives d’après le 11 septembre ont fait leur grand retour alors que le gouvernement américain vise les activistes et les communautés palestinienne, arabe et musulmane
Des étudiants de l’université de New York manifestent contre les bombardements d’Israël contre les Palestiniens de Gaza, à New York, le 2 novembre 2023 (Reuters)
Des étudiants de l’université de New York manifestent contre les bombardements d’Israël contre les Palestiniens de Gaza, à New York, le 2 novembre 2023 (Reuters)

Ces dernières semaines, le monde a vu Israël commettre un génocide et un nettoyage ethnique en Palestine. Les crimes de guerre d’Israël à Gaza, notamment le bombardement aveugle de cibles civiles, la guerre chimique, et la coupure de tout accès à l’électricité, ont engendré des milliers de morts.

Ce génocide a été alimenté par la Maison-Blanche et le président américain Joe Biden, qui a demandé au Congrès de nouvelles mesures d’aide financière et militaire « sans précédent » pour Israël, venant s’ajouter aux 3,8 milliards de dollars d’aide militaire annuelle que les États-Unis fournissent déjà à Israël.

Ces vingt dernières années, les cadres de sécurité nationale ont fait proliférer l’utilisation de la surveillance tout en réprimant la dissension. Cet appareil en pleine expansion a été utilisé comme une arme contre les militants pendant des années

Parmi les communiqués des dirigeants américains, dont Joe Biden lui-même, qui a déclaré que les attaques du 7 octobre étaient comparables à « une quinzaine de 11 septembre » pour Israël, il est impossible de ne pas voir les liens entre la répression actuelle des militants musulmans et palestiniens et la « guerre contre le terrorisme des États-Unis ».

Bien sûr, prendre pour cible et surveiller les communautés palestinienne, arabe et musulmane n’a pas commencé après le 11 septembre : le rapport « Spying on the Margins » publié en 2021 documentait l’histoire de la surveillance islamophobe et raciste des États-Unis en remontant jusqu’à la période coloniale.

Ces vingt dernières années, les cadres de sécurité nationale ont fait proliférer l’utilisation de la surveillance tout en réprimant la dissension. Cet appareil en pleine expansion a été utilisé comme une arme contre les militants pendant des années.

Ainsi, il n’est guère surprenant que le FBI et les autres agences visent une fois de plus les voix qui prennent position pour la Palestine.

Rendre la dissension illégale

Après le 11 septembre, le gouvernement a instauré des politiques de surveillance de masse et érodé les libertés publiques. Les communautés musulmane, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud ont été soumises à de nombreuses atteintes à leurs droits, notamment via le profilage discriminatoire et la surveillance en raison de leur identité.

Il y a eu également une augmentation du recours aux poursuites préventives, utilisées contre les personnes racisées, en particulier les musulmans et les immigrés. Récemment, le directeur du FBI Christopher Wray a déclaré que de nombreuses enquêtes avaient été ouvertes, marquant de nouvelles poursuites préventives et des affaires où l’on pousse au crime visant les communautés musulmanes.

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Ce modèle d’intense surréaction gouvernementale, qui perdure à ce jour, a été peaufiné ces vingt dernières années et continue à menacer les communautés musulmane, arabe et palestinienne.

Contrairement au début des années 2000 cependant, le gouvernement a désormais accès à d’importantes quantités de données, via les technologies de surveillance et les courtiers en données qui peuvent être, et ont été utilisés, tels des armes contre des groupes ou mouvements entiers, tels que le mouvement Black Lives Matter.

Le gouverneur de Floride Ron DeSantis a interdit des antennes de Students for Justice in Palestine, une organisation étudiante pro-Palestine, sur tous les campus de l’État, faisant éhontément valoir la fausse allégation selon laquelle l’organisation soutient le terrorisme.

L’ancien président Donald Trump a même suggéré que les partisans de la Palestine devraient être exclus des universités. Le 26 octobre, le Sénat américain a adopté à l’unanimité une résolution dénonçant les organisations étudiantes pro-Palestine, les qualifiant à tort d’antisémite.

La Maison-Blanche a rajouté une couche à l’effacement des voix palestiniennes et pro-Palestine. Le 30 octobre, l’attaché de presse a comparé les activistes pro-Palestine aux suprémacistes blancs qui ont défilé à Charlottesville.

Quelques semaines auparavant, Biden avait annoncé dans un tweet le 10 octobre que « les agences locales et fédérales de maintien de l’ordre surveillent étroitement toutes les menaces internes », même si le département de la Sécurité intérieure a observé qu’il n’avait pas la moindre information crédible concernant une quelconque menace.

De nombreuses organisations, telle que l’Arab American Anti-Discrimination Committee ont signalé une multiplication des contacts du FBI et des visites de mosquées à travers les États-Unis.

Même le contexte actuel qui présente la résistance palestinienne comme du « terrorisme » peut être lié à la « guerre contre le terrorisme », qui justifie l’islamophobie, la xénophobie, et l’hostilité contre les Noirs à travers le monde

Des avocats signalent une attention inhabituelle et inquiétante des services de l’immigration à l’égard des immigrés palestiniens – ce qui sort de l’ordinaire dans les schémas de politique des services de l’immigration. Eric London, avocat spécialiste de l’immigration, a signalé que l’un de ses clients avait été incarcéré et interrogé sans accès à un conseil pendant cinq jours, malgré ses tentatives pour entrer en contact avec eux.

Dans le même temps, de nombreux Républicains réclament l’expulsion des étudiants étrangers jugés « en faveur du Hamas ». On ne sait pas qui serait l’arbitre de cette caractérisation et quels critères seraient utilisés pour définir quelqu’un comme étant un « supporter du Hamas ». On peut imaginer que quiconque soutient l’autodétermination des Palestiniens pourrait être visé.

Même le contexte actuel qui présente la résistance palestinienne comme du « terrorisme » peut être lié à la « guerre contre le terrorisme », qui justifie l’islamophobie, la xénophobie, et l’hostilité contre les Noirs à travers le monde.

L’armée israélienne a menacé les habitants de Gaza : ils seront considérés comme des complices de terrorisme s’ils ne quittent pas leur maison et ne fuient pas la partie nord de la bande de Gaza.

Déplacer de force les Palestiniens

Ce message est une preuve de l’intention d’Israël de déplacer de force les habitants palestiniens, tout en se servant du vocable de la sécurité nationale contre ceux qui refusent de céder leurs maisons à l’occupation israélienne.

Réprimer la dissension, qui s’étend au-delà des frontières, a des répercussions sur tous les mouvements. Le système juridique pénal américain utilise le terme « terroriste » pour intimider et inculper les militants américains qui œuvrent pour mettre un terme aux programmes d’échange des forces de maintien de l’ordre avec Israël et arrêter « Cop City », un centre d’entraînement en projet à Atlanta pour que la police affûte ses tactiques de répression.

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Le 25 octobre, ADL et le Brandeis Center ont envoyé une lettre au président des établissements de l’enseignement supérieur les exhortant à enquêter sur les antennes de Students for Justice in Palestine, en vertu des statuts fédéraux (18 USC 2339A et B) qui rendent illicite le soutien matériel aux organisations terroristes étrangères et leurs équivalents étatiques.

Les actions en soutien aux droits des Palestiniens ont souvent été interprétées par le gouvernement américain comme « un soutien matériel ou des ressources » à une organisation terroriste étrangère. 

Cette lettre est particulièrement inquiétante car Terry Albury, agent spécial du FBI spécialiste de la lutte contre le terrorisme devenu lanceur d’alerte, a déclaré que lorsque l’ADL s’exprime, le FBI l’écoute. Si les campus eux-mêmes manquent probablement de ressources pour enquêter sur les étudiants pour des accusations de soutien matériel, il y a une possibilité inquiétante que la police universitaire se coordonnera avec les task forces conjointes contre le terrorisme pour viser les étudiants palestiniens.

Le risque que des étudiants soient visés pour leur prise de position en faveur de la Palestine s’est encore accru alors que la semaine dernière, le président Biden a annoncé une nouvelle initiative pour lutter contre l’antisémitisme. Dans le cadre de cette initiative, le département de la Sécurité intérieure enverra des experts en cybersécurité dans les écoles – une initiative qui peut éventuellement engendrer des poursuites, notamment celles pour soutien matériel au terrorisme, en particulier étant donné l’assimilation récente de l’antisémitisme à l’antisionisme.

Par ailleurs, le bureau du procureur général de Virginie a annoncé cette semaine enquêter sur l’organisation à but non lucratif American Muslims for Palestine (AMP), pour des allégations d’utilisation de fonds « en soutien ou au bénéfice du terrorisme ». Cette décision rappelle la prise pour cible des organisations caritatives et institutions musulmanes après le 11 septembre qui ont fait l’objet d’enquêtes et de poursuites sur la base de liens allégués avec des organisations terroristes étrangères, peu importe l’excentricité des accusations.

Les réseaux sociaux et les entreprises de la technologie comme Instagram et Facebook de Meta ont supprimé la liberté d’expression liée à la Palestine et Google a réduit au silence et exercé des représailles contre des employés qui avaient critiqué son travail avec l’armée israélienne dans le passé

Par exemple, les cinq dirigeants américano-palestiniens de la Holy Land Foundation (HLF), qui était à l’époque la plus grande organisation musulmane aux États-Unis, ont été poursuivis en 2008 en vertu de l’article 2339B. Ils ont été accusés d’avoir fourni une aide humanitaire à des commissions de la zakat (charité) dans les territoires palestiniens occupés par Israël.

Les procureurs faisaient valoir que ces commissions de la zakat étaient dirigées par le Hamas, désigné organisation terroriste étrangère, bien que le gouvernement américain fournissait de l’aide via ces mêmes commissions et continue à le faire après les poursuites contre la HLF.

Les réseaux sociaux et les entreprises de la tech ont également joué un rôle dans le retour de bâton actuel contre les voix des Palestiniens et pro-Palestine, du shadow ban à la suspension de compte, en passant par la censure d’images des bombardements de Gaza et la suppression de contenus pour violation des conditions d’utilisation.

Bon nombre d’organisations de la société civile ont envoyé une lettre aux sociétés de la tech, attirant l’attention sur la censure des voix des Palestiniens et exhortant ces sociétés à ne pas réduire les voix des Palestiniens au silence. Une telle politique n’est pas nouvelle dans le secteur de la tech. Les réseaux sociaux et les entreprises de la technologie comme Instagram et Facebook de Meta ont supprimé la liberté d’expression liée à la Palestine et Google a réduit au silence et exercé des représailles contre des employés qui avaient critiqué son travail avec l’armée israélienne dans le passé.

Cesser de financer l’appareil militaire israélien

Ces entreprises ont également agi rapidement pour condamner quiconque soutient la Palestine ou condamne les actes d’Israël. Starbucks a poursuivi le syndicat Starbucks Workers United pour contrefaçon après une publication pro-Palestine sur les réseaux sociaux.

L’hôtel Hilton de Houston (Texas) a annulé une conférence organisée par US Campaign for Palestinian Rights (USCPR), au prétexte d’« inquiétudes pour la sécurité ». Le gouverneur Greg Abbott a applaudi cette décision, qualifiée par l’USCPR d’« acte de discrimination ethnique, raciale et religieuse » manifeste.

L’hôtel Hyatt Regency à Chicago, qui a pendant des années accueilli la convention annuelle de l’AMP lors du weekend de Thanksgiving, a annoncé son annulation.

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Dans le monde universitaire et dans le secteur privé, s’exprimer en faveur des droits des Palestiniens engendre des conséquences telles que la perte d’emploi ou d’offres d’emploi. Ryna Workman, qui étudie à la faculté de droit de l’université de New York et qui a pris position, a vu son offre d’emploi auprès du cabinet américain Winston & Strawn publiquement révoquée. L’administration a ensuite publié un communiqué et renchéri – condamnant Ryna Workman et ne lui fournissant aucune protection contre le harcèlement.

Matthew Solomson,  juge fédéral, a annoncé son refus d’engager quiconque soutient la Palestine.

Suite à une lettre pro-Palestine signée par un certain nombre d’organisations de l’université de Harvard, certains PDG et employeurs ont annoncé le refus d’engager quiconque avait signé ou appartenu à une organisation qui soutient les déclarations dénonçant l’occupation israélienne.

Un camion a circulé sur le campus publiant les noms et photos des individus membres de ces organisations. À Yale, une pétition a circulé, appelant la démission de la professeure Zareena Grewal pour ses publications sur les réseaux sociaux en soutien à la Palestine.

Une telle condamnation n’est pas nouvelle non plus. En début d’année, Fatima Mohammed, étudiante en droit à l’université de la ville de New York a été l’objet d’un retour de bâton pour son discours de cérémonie de remise des diplômes condamnant les atteintes aux droits de l’homme commises par Israël contre les Palestiniens. Le Conseil de direction de l’université a même condamné ce discours, le qualifiant de discours de haine.

Les Palestiniens ont le droit indéniable à l’autodétermination. Toutefois, les personnes qui s’expriment en faveur de la libération palestinienne ou qui condamnent l’apartheid d’Israël font face à de vives réactions.

L’environnement actuel fait de répression, de harcèlement coordonné et de surveillance accrue de la part du gouvernement auxquels sont confrontés les musulmans et les Palestiniens est directement lié aux pratiques délétères ancrées dans la « guerre contre le terrorisme ».
 
Au lieu d’armer et de financer Israël, son génocide actuel et son occupation militaire de la Palestine, les États-Unis doivent réclamer la fin de l’occupation israélienne des terres palestiniennes et mettre un terme au système d’apartheid et au colonialisme.

Les États-Unis doivent cesser de financer l’appareil militaire israélien qui bombarde actuellement Gaza à un niveau génocidaire, en visant notamment les hôpitaux, les églises et autres lieux de refuge pour les Palestiniens déplacés.

Le gouvernement américain et ses alliés en Occident doivent également cesser les pratiques répressives qui visent les militants noirs, musulmans et immigrés qui prennent fait et cause pour la libération de la Palestine.

- Azadeh Shahshahani est directrice juridique et de plaidoyer de Project South. Elle a un diplôme conjoint la faculté de droit de l’université du Michigan. Elle est également titulaire d’un master en Études modernes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de l’université du Michigan. Elle a travaillé pendant plus de quinze ans dans le sud des États-Unis pour protéger et défendre les communautés noire, immigrée et musulmane de la répression de l’État. Azadeh Shahshahani a présidé la National Lawyers Guild et fut directrice de projet Sécurité nationale/Droits des immigrés auprès de l’Union américaine pour les libertés civiles (ALCU) de Georgie. Elle est actuellement au conseil consultatif de l’Association américaine des juristes.

- Juilee Shivalkar est juriste au Project South. Elle a un diplôme conjoint de la faculté de droit de l’université de New York, où elle bénéficie également d’une bourse dans le cadre du programme Root-Tilden-Kern.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Azadeh Shahshahani is Legal & Advocacy Director with Project South. She received her JD from the University of Michigan Law School. She also has a Master’s in Modern Middle Eastern and North African Studies from the University of Michigan. She has worked for two decades in the US South to protect and defend Black, immigrant, and Muslim communities from state repression. Shahshahani previously served as president of the National Lawyers Guild. She currently serves on the Advisory Council of the American Association of Jurists.
Juilee Shivalkar is a legal fellow at Project South. She received her JD from New York University School of Law, where she was a Root-Tilden-Kern scholar.
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