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Israël ne mérite pas le statut d’observateur à l’Union africaine

Il est impensable que certains États membres de l’UA – qui sont eux-mêmes issus d’histoires douloureuses de colonialisme et d’occupation – soutiennent ouvertement la présence d’une puissance coloniale moderne comme Israël en leur sein
Cérémonie d’ouverture de la 11e session extraordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 17 novembre 2018 (AFP)

L’Afrique « est un symbole de l’avenir, et l’Afrique est à nos côtés », déclara Yasser Arafat, alors président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), lors d’une réunion de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en juillet 1975 dans la capitale ougandaise, Kampala. 

Vingt-sept ans plus tard, alors que l’OUA est sur le point de renaître sous le nom d’Union africaine (UA) en 2002, l’icône de la lutte palestinienne est assiégée par les troupes israéliennes dans son quartier général de Ramallah. Le président Arafat envoie son émissaire, Farouk Kaddoumi, assister à la dernière réunion de l’OUA à Durban, en Afrique du Sud. Par l’intermédiaire de ce dernier, le président Arafat lance un appel aux dirigeants africains pour que l’UA continue à soutenir et à défendre la liberté des Palestiniens.

L’UA n’a pas failli au peuple palestinien et a été l’un des plus importants et loyaux alliés de la Palestine au cours de ces dix-neuf dernières années.

Soutenus par les membres de l’UA et par ses dirigeants, les États africains ont considéré la lutte palestinienne comme une question africaine. Cela reflète les liens profondément ancrés existant entre les luttes de libération et anticoloniales de l’Afrique et celles du peuple palestinien

La colonisation, l’occupation illégale de la Palestine par Israël et l’oppression du peuple palestinien ont figuré en bonne place lors des sommets de l’UA. L’UA – et l’OUA avant elle – a toujours condamné l’utilisation par Israël de la force meurtrière et illégale contre les civils palestiniens, ses violations du droit international et l’annexion des terres palestiniennes.

Lors de son dernier sommet en février de cette année, l’UA a spécifiquement appelé ses membres à respecter le statut juridique international de Jérusalem-Est en tant que ville occupée et capitale du futur État palestinien, et a réaffirmé l’illégalité de toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie et sur le plateau du Golan syrien.

Soutenus par les membres de l’UA et par ses dirigeants, les États africains ont considéré la lutte palestinienne comme une question africaine. Cela reflète les liens profondément ancrés existant entre les luttes de libération et anticoloniales de l’Afrique et celles du peuple palestinien.

Une décision qui sape les valeurs anticoloniales de l’UA

C’est donc dans ce contexte que la décision du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, d’accepter unilatéralement les lettres de créance de l’ambassadeur d’Israël en Éthiopie, Aleli Admasu, est d’autant plus choquante. Cette décision sape les valeurs anticoloniales qui sous-tendent l’UA.

Moussa Faki Mahamat a déclaré que les relations diplomatiques d’Israël avec les États membres de l’UA justifiaient sa décision d’accorder à ce pays le statut d’observateur auprès de l’UA. Au-delà de l’existence ou non de missions diplomatiques israéliennes dans les pays africains, cette décision est problématique dans la mesure où elle équivaut à une reconnaissance politique et diplomatique – autrement dit, une normalisation – du colonialisme de la part d’une institution qui a un rôle de phare anticolonial.

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En obtenant le statut d’observateur, Israël entre en effet dans une relation formelle avec l’UA. C’est un privilège qu’Israël – une puissance occupante violente dont les actions violent l’esprit, les objectifs et les principes de l’UA – ne mérite tout simplement pas en ce moment.

Pendant des décennies, l’OUA puis l’UA se sont prononcées contre les politiques de colonisation et d’apartheid d’Israël dans un langage clair et sans tabou. Au cours des dix-neuf dernières années, les membres de l’UA ont traduit ces paroles en actions concrètes en refusant d’accueillir Israël au sein de l’organisation. Aujourd’hui, cependant, l’UA risque de suivre l’exemple de l’inaction d’une grande partie de la communauté internationale face aux exactions d’Israël.

L’occupation israélienne de la Palestine est entrée dans sa 54e année, tandis que le déplacement violent et continu des Palestiniens pour faire place à la création et à l’expansion d’Israël (connu sous le nom de Nakba) en est à sa 73e année. Cela représente 73 ans de politiques coloniales israéliennes qui se manifestent aujourd’hui par un siège paralysant, le vol de terres et une violence systémique dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Israël n’a pu maintenir cette situation illégale que grâce à l’inaction de la communauté internationale.

Il est impensable que certains États membres de l’UA – qui sont eux-mêmes issus d’histoires douloureuses de colonialisme et d’occupation – soutiennent ouvertement la présence d’une puissance coloniale moderne comme Israël en leur sein.

Cette décision est problématique dans la mesure où elle équivaut à une reconnaissance politique et diplomatique – autrement dit, une normalisation – du colonialisme de la part d’une institution qui a un rôle de phare anticolonial

Tant que la communauté internationale – y compris maintenant, de manière choquante, l’UA – continuera à accueillir Israël en lui offrant privilèges et distinctions, elle donnera effectivement à nos colonisateurs israéliens la permission de poursuivre l’occupation. Les paroles non suivies d’actions sont un non-sens.

La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) s’est collectivement opposée à la décision du président de la Commission de l’UA d’accorder à Israël le statut d’observateur. La position de la SADC est conforme aux positions de la Mauritanie, de l’Égypte, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Libye, des Comores et de Djibouti, qui ont également déposé des objections formelles auprès de l’UA. Ces pays servent de modèle aux autres nations africaines pour développer une solidarité significative avec la Palestine en allant au-delà des mots et en recalibrant leurs relations avec Israël.

Il est également inspirant de voir l’effusion de soutien de dizaines de groupes politiques et de la société civile, de syndicats, de réseaux d’étudiants et de formations religieuses dans toute l’Afrique. Rassemblés au sein du Réseau panafricain de solidarité avec la Palestine, ils ont collectivement rejeté la décision de M. Mahamat. Ces groupes montrent à leurs gouvernements ce qu’est une véritable solidarité et nous rappellent, à nous Palestiniens, que le peuple en Afrique est toujours à nos côtés dans notre lutte pour la libération.

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Lorsque la question du statut d’observateur d’Israël sera soumise au Conseil exécutif de l’UA les 13 et 14 octobre, les États membres devront agir ensemble pour envoyer à Israël un message clair : il ne peut pas occuper un peuple pendant 54 ans, perpétuer les pratiques d’apartheid, puis se voir accorder le privilège de rejoindre la famille africaine pour quelques mots creux sur la paix, l’aide et les investissements.

En 1975, l’OUA a déclaré : « […] le régime raciste [israélien] de la Palestine occupée et le régime raciste du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, ils forment un tout, ayant la même structure raciste, et ils sont organiquement liés dans leur politique visant à réprimer la dignité et l’intégrité de l’être humain. »

Au cours des 46 années qui ont suivi cette déclaration, les régimes de la Rhodésie d’alors et de l’Afrique du Sud de l’apartheid ont été démantelés par une résistance interne soutenue par une campagne internationale intensive de boycott, de désinvestissement et de sanctions.

Aucun des deux régimes n’a été accueilli au sein de l’OUA tant qu’il n’a pas mis fin à ses pratiques d’apartheid et de colonisation. Comment, dès lors, le régime d’apartheid qui occupe la Palestine peut-il être rétribué avec le statut d’observateur à l’UA alors qu’il poursuit son anarchie et ses violations ?

Tant qu’il ne mettra pas fin à son occupation, à sa colonisation et à son apartheid contre le peuple palestinien, Israël ne doit pas avoir sa place à l’Union africaine.

- Hanan Jarrar est l’ambassadrice palestinienne en Afrique du Sud, en Namibie, au Lesotho et au Malawi.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Cet article a été initialement publié en anglais sur le site du Mail & Guardian.

Hanan Jarrar est l’ambassadrice palestinienne en Afrique du Sud, en Namibie, au Lesotho et au Malawi.
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