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Les conséquences imprévues du meurtre de Soleimani 

Des représailles des milices à l’appel de l’Irak à mettre fin à la présence des troupes américaines, cet assassinat et ses conséquences retentiront pendant les années à venir
Des Iraniens en deuil ont placé des photos du commandant Qasem Soleimani dans leurs sweatshirts à Kerman, le 7 janvier (AFP)

L’assassinat de Qasem Soleimani continuera de façonner la dynamique au Moyen-Orient pendant un certain temps. Il viendra hanter les troupes américaines dans la région et engendrera des conséquences imprévues jusqu’à la fin de l’année et au-delà. 

La plus tragique jusqu’à présent est l’avion ukrainien abattu par erreur par la défense aérienne iranienne au-dessus de Téhéran la semaine dernière, tuant 176 passagers et membres d’équipage, une erreur qui n’a pas tardé à être reconnue.

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La réaction des États-Unis à une tragédie similaire en 1988 – ils avaient abattu un avion d’Iran Air au-dessus du Golfe, tuant 290 passagers – fut totalement différente. 

La frappe américaine contre Soleimani à Bagdad permet déjà de tirer deux premières conclusions. 

La première est que, malgré des opinions légitimement différentes sur la popularité du système politique iranien, la participation extraordinaire, spontanée et transfrontalière au deuil du plus haut commandant du corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) a révélé comment la population iranienne pourrait réagir si elle était entraînée dans un conflit ouvert : très unie contre toute menace extérieure. 

La deuxième est que les États-Unis ont confirmé une fois de plus leur place en tête de quatre des classements les plus embarrassants au monde : la propension à l’autodestruction mondiale, laissant des conséquences négatives imprévues affecter leurs propres intérêts du fait de leurs propres actes ; l’imprévisibilité ; la prise de décision dysfonctionnelle, et – dernier point mais non le moindre – la loi de Murphy version relations internationales : « Si parmi de nombreuses options de politique étrangère, je peux prendre la pire, soyez sûrs que je le ferai. » 

Téhéran réserve son prochain mouvement potentiel pour les alliés des États-Unis dans la région, tels que les Émirats arabes unis et Israël

Le plus grand résultat net potentiel de l’assassinat de Soleimani pourrait être la réalisation de son rêve de longue date : forcer les États-Unis à faire leurs valises et à quitter l’Irak et la Syrie.

Cela pourrait correspondre à l’un des vieux souhaits du président américain Donald Trump, bien qu’il soit douteux que les décideurs de Washington soient d’accord avec ça. Cela pourrait également être un scénario cauchemardesque pour Israël et certains dirigeants arabes, aux côtés de l’éloignement croissant de l’Iran vis-à-vis des dispositions de l’accord sur le nucléaire.

Guerre asymétrique

Comme on s’y attendait, suite à l’assassinat de Soleimani, l’Iran a lancé des roquettes contre des positions militaires américaines en Irak. La frappe semblait conçue pour ne pas faire de victimes, signe de la volonté de désescalade de Téhéran ; la réaction de Trump véhiculait une impression similaire.

Comme on s’y attendait également, et ainsi que le CGRI l’a confirmé, Téhéran réserve son prochain mouvement potentiel pour les alliés des États-Unis dans la région, tels que les Émirats arabes unis (EAU) et Israël. 

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Jusqu’à présent, les représailles de l’Iran ont rempli deux objectifs fondamentaux : premièrement, montrer que si l’élimination de Soleimani visait à dissuader Téhéran, c’est un échec ; et deuxièmement, réconforter un public affligé par la perte de son « héros national ». 

Ce serait l’idéal si l’histoire se terminait là-dessus. Malheureusement, il est peu probable que la réaction iranienne se limite vraiment à cela. Elle pourrait durer des années par une guerre hybride asymétrique visant les troupes américaines au Moyen-Orient, comme l’a souligné l’un des partenaires les plus importants de Téhéran, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah.

Ce qu’il faut surveiller attentivement dans les semaines à venir, c’est l’évolution de la situation en Irak, liée à deux événements spécifiques : à Bagdad, le Parlement a voté le retrait de toutes les troupes étrangères du pays, et les milices irakiennes proches de l’Iran ont annoncé leur propre intention de riposter à l’assassinat de Soleimani et du commandant des Unités de mobilisation populaire (UMP), Abou Mehdi al-Mouhandis.

Des membres des Gardiens de la révolution descendent dans la rue à Téhéran le 3 janvier à la suite de l’assassinat de Soleimani par les États-Unis (AFP)

Les représailles de l’UMP ne seront peut-être pas aussi « inoffensives » que celles de Téhéran, leur exécution pourraient être source de problèmes.

Quant au retrait des troupes étrangères, si on laisse de côté le geste embarrassant du Pentagone avec l’ébauche de lettre suggérant que les États-Unis avaient accepté la demande irakienne, il semble que Washington n’ait pas l’intention de s’y plier, tout en attribuant des intentions similaires à ses alliés.

Le 10 janvier, le département d’État a justifié cette position par la lutte contre le groupe État islamique (EI). Peut-être a-t-il manqué la déclaration de Trump le 8 janvier, dans laquelle ce dernier affirmait que le groupe avait été détruit à 100 %.

Le 10 janvier, le département d’État a justifié cette position par la lutte contre le groupe État islamique (EI). Peut-être a-t-il manqué la déclaration de Trump le 8 janvier, dans laquelle ce dernier affirmait que le groupe avait été détruit à 100 %

Les tensions entre les États-Unis et l’Irak, ainsi que les tensions internes en Irak, pourraient ainsi s’intensifier.

Les partis sunnites et kurdes n’ont pas voté en faveur du retrait, peut-être en raison de la pression des États-Unis ou de crainte de laisser le pays exposé à l’influence de l’Iran, ou les deux.

Les factions chiites et pro-Iran pourraient considérer une telle posture comme une forme de trahison, un manque d’égard pour la souveraineté de l’Irak, ou l’asservissement aux États-Unis – ou tout cela combiné.

Mascarade

La concrétisation de ce retrait pourrait devenir une autre mascarade entre deux entités, les gouvernements américain et irakien, avec des processus décisionnels très dysfonctionnels des deux côtés. Il pourrait traîner pendant des mois ou prendre une tournure désagréable. 

Incidemment, la probabilité, et la létalité, de représailles des UMP pourrait également dépendre de la réticence plus ou moins grande des États-Unis à se conformer à la demande du gouvernement irakien. Washington a laissé entendre que d’éventuelles sanctions contre l’Irak, y compris une nouvelle interdiction de voyager, s’il s’embarque dans cette politique.

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De son côté, Bagdad pourrait faire de la pérennité des troupes étrangères dans le pays un cauchemar bureaucratique en ne délivrant plus de visas (empêchant ainsi les rotations de troupes), en refusant les permis de vol ou en redoublant les procédures aux contrôles de sécurité. La coalition internationale pourrait être épuisée et vaincue par des chicanes bureaucratiques généralisées et systématiques.

Les conséquences imprévues pourraient ne pas s’arrêter là. Les États-Unis pourraient simplement déplacer leurs troupes dans la région kurde d’Irak.

Ce serait une nouvelle gifle assénée à la souveraineté irakienne, après le raid américain à la frontière entre l’Irak et la Syrie en décembre, l’assassinat de Soleimani et l’attaque à la roquette iranienne qui s’en est suivie. Les chances pour les responsables irakiens jugent une telle initiative conforme à leur demande sont minimes.

Une autre conséquence tragicomique pourrait donc être un changement de position des États-Unis à l’égard de l’indépendance de la région kurde d’Irak.

L’administration Trump, après avoir anéanti ces aspirations après le référendum sur l’indépendance kurde de 2017, en acquiesçant à la reconquête par le gouvernement irakien de Kirkouk et d’autres zones tenues par les Kurdes – sans parler de l’abandon par les États-Unis de leurs alliés kurdes syriens face à l’offensive turque l’an dernier – pourrait soudainement réaliser que l’indépendance kurde est une bonne chose et utile. 

Une autre conséquence tragicomique pourrait donc être un changement de position des États-Unis à l’égard de l’indépendance de la région kurde d’Irak

Un tel redéploiement américain pourrait permettre aux États-Unis d’entraver les plans de l’Iran de consolider son emprise dans la région, y compris le croissant chiite de Téhéran à Beyrouth.

Cela peut sembler une décision intelligente pour certains guerriers de salon et autres avocats en droit international du dimanche, mais cela pourrait également raviver la dangereuse rivalité arabo-kurde en Irak. C’est la dernière chose dont ce pays ravagé a besoin. La Turquie et l’Iran ne resteraient pas les bras ballants.

En fin de compte, croire qu’une région kurde indépendante de l’Irak peut épargner les États-Unis de la conséquence imprévue majeure de l’assassinat de Soleimani pourrait être une autre erreur de calcul dangereuse. Les courageux, mais malchanceux, Kurdes irakiens ne méritent pas d’être dupés à nouveau.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et aux Nations unies. Il a fait partie du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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