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Les tensions entre Washington et Téhéran mettent de l’huile sur le feu des crises au Moyen-Orient

Alors que les tensions persistent entre Washington et Téhéran, les puissances régionales ne devraient pas être de simples spectatrices
Le président iranien Ebrahim Raïssi lors de sa cérémonie d’investiture à Téhéran, le 5 août 2021 (AFP)
Le président iranien Ebrahim Raïssi lors de sa cérémonie d’investiture à Téhéran, le 5 août 2021 (AFP)

Le 5 août, Ebrahim Raïssi est officiellement devenu le nouveau président de l’Iran. Ces deux dernières années, l’économie iranienne a connu une récession en grande partie à cause de la politique de « pression maximum » de l’ancien président américain Donald Trump, laquelle est en vigueur depuis le retrait de son administration de l’accord sur le nucléaire en mai 2018.

Raïssi affirme qu’obtenir la levée des sanctions et assurer une reprise économique sont les grandes priorités de son administration. De son côté, depuis son investiture en janvier, le président américain Joe Biden s’est engagé à rejoindre l’accord sur le nucléaire et à lever les sanctions si Washington et Téhéran pouvaient parvenir à un accord pour revenir à un respect total de l’accord de 2015.

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Les parties vont certainement revenir à la table des négociations dans les semaines à venir, mais on ne sait pas si l’administration Raïssi acceptera les points déjà convenus ou voudra reprendre le processus à zéro.

Ce qui est clair néanmoins, c’est qu’il subsiste des désaccords substantiels. D’importants membres des administrations américaine et iranienne ont exprimé leur frustration concernant la réticence de l’autre camp à prendre les nécessaires « décisions difficiles ».

Depuis le mois d’avril, l’Iran et les six puissances mondiales qui ont signé le pacte original parlementent pour que l’Iran comme les États-Unis y reviennent pleinement. Une sixième série de négociations a été ajournée le 20 juin. Les espoirs d’un accord conclu sous l’administration Rohani se sont avérés trop optimistes.

Garder un moyen de pression

Côté américain, l’administration Biden appelle l’Iran à adhérer de nouveau pleinement à l’accord sur le nucléaire de 2015 et à accepter d’autres négociations visant à limiter son développement de missiles et son influence régionale.

Dans le même temps, Washington a uniquement proposé de lever les sanctions liées au nucléaire, tout en maintenant les sanctions liées aux accusations d’abus des droits de l’homme et de financement du terrorisme.

En d’autres termes, l’administration Biden cherche à conserver certains moyens de pression sur la République islamique pour infléchir ses politiques de sécurité et régionales. Pour accroître davantage la pression sur Téhéran, le secrétaire d’État Antony Blinken a prévenu que le processus de négociation ne peut durer indéfiniment et précisé que la balle « est dans le camp de l’Iran ».

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken regarde le président Biden s’exprimer à la Maison-Blanche, le 20 juillet 2021 (AFP)
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken regarde le président Biden s’exprimer à la Maison-Blanche, le 20 juillet 2021 (AFP)

Côté iranien, après avoir attendu un an pour réagir au retrait de Trump, Téhéran accroît son enrichissement d’uranium et ses stocks au-delà des limites définies dans l’accord. Tout aussi important, l’Iran a limité l’accès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à ses installations nucléaires. Ces décisions, et bien d’autres, sont d’importance à bien des égards.

Premièrement, le temps qu’il faudrait à l’Iran pour fabriquer une arme nucléaire – s’il le décidait ainsi – a été raccourci. Téhéran est de plus en plus près d’être en mesure de fabriquer une bombe.

Deuxièmement, il est impossible de revenir sur les connaissances scientifiques acquises par l’Iran en construisant des centrifugeuses plus avancées et en expérimentant avec des niveaux plus élevés d’enrichissement.

Robert Malley, négociateur américain en chef à Vienne, a prévenu que les Iraniens apprennent tant de choses qu’il pourrait bientôt être impossible de revenir à l’accord sur le nucléaire

Robert Malley, négociateur américain en chef à Vienne, a prévenu que les Iraniens apprennent tant de choses qu’il pourrait bientôt être impossible de revenir à l’accord sur le nucléaire.

Enfin, l’ayatollah Ali Khamenei et d’autres dirigeants iraniens exigent que l’administration Biden donnent des garanties afin que son administration et les administrations à venir ne puissent plus renoncer à un nouvel accord comme l’a fait l’administration Trump.

Étant donné la souffrance importante infligée par la politique de pression maximum de Trump sur l’économie iranienne, cette inquiétude est légitime. Mais si le président américain a le pouvoir de changer la politique de son prédécesseur, Biden ne peut fournir une telle garantie.

Résultats incertains

Le résultat des négociations sur le nucléaire et la question plus générale des relations entre les États-Unis et l’Iran sont très incertains.

Cela soulève deux questions importantes, non dénuées de lien : quelles sont les principales leçons que les puissances régionales peuvent apprendre de ces développements et qu’est-ce qui peut être fait pour empêcher une escalade plus avant des tensions entre Washington et Téhéran et une détérioration de l’environnement sécuritaire au Moyen-Orient ? 

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Une lecture minutieuse des communiqués des responsables iraniens et américains, et la voie qu’ils ont choisie – ou pas – donne quelques indices.

Tout d’abord, la politique de Trump visait à exercer une énorme pression économique sur l’Iran, une pression qui forcerait ses dirigeants à reconsidérer leurs options et faire des concessions clés sur le programme nucléaire, les missiles balistiques et la politique régionale. Cette politique a lamentablement échoué.

Biden est au pouvoir depuis huit mois et jusqu’à présent aucun changement n’est advenu. En effet, l’Iran vit sous sanctions américaines depuis la révolution de 1979, soit plus de 40 ans.

Toutefois, malgré des crises internes occasionnelles et des manifestations contre le gouvernement, rien ne montre que l’establishment religieux/politique perd le contrôle ou est au bord de l’effondrement. Assurément, beaucoup de choses laissent à désirer, mais les autorités restent résolument à la barre.

Une force régionale majeure

Deuxièmement, l’Iran – nation de 80 millions de personnes disposant d’énormes gisements d’hydrocarbures, civilisation ancienne avec une identité nationale forte et des liens étroits avec un certain nombre de ses voisins et d’autres puissances mondiales – constitue une force régionale majeure.

L’Iran touche à presque chaque conflit au Moyen-Orient et dans la région environnante, notamment en Afghanistan, en Irak, au Liban, en Syrie et au Yémen.

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La République islamique peut être une partie du problème ou de la solution.

Étant donné sa superficie, sa population importante et ses capacités militaires et économiques, il est impossible de mettre de côté ou d’isoler l’Iran. La prospérité économique et la stabilité politique à Téhéran pourraient contribuer à la paix au Moyen-Orient et dans le monde.

Troisièmement, les puissances régionales n’ont pas à être de simples spectatrices. Le manque de progrès dans les négociations sur le nucléaire et les tensions actuelles entre Washington et Téhéran mettent de l’huile sur le feu des crises déjà intenses au Moyen-Orient.

Effectivement, il y a les schismes entre Arabes et Perses et entre sunnites et chiites, mais tous ont longtemps vécu côte à côte et continueront à faire face aux mêmes défis et aspirations mutuelles.

Les défis transnationaux tels que le COVID-19, la reprise économique, la transition énergétique et les changements climatiques nécessitent une coopération régionale. Ces crises n’ont pas de « solution nationale ». 

- Gawdat Bahgat est professeur au Centre d’études stratégiques du Proche-Orient et de l’Asie du Sud de l’Université de la Défense nationale des États-Unis à Washington D.C. Il est l'auteur de onze ouvrages consacrés au Moyen-Orient. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas les opinions du gouvernement américain ou les politiques du département de la Défense.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Gawdat Bahgat is a professor at the Near East South Asia Center for Strategic Studies at the National Defense University in Washington, DC. He is the author of 11 books on the Middle East. The opinions expressed in this piece are the author's alone and do not represent the views of the U.S. government or the policies of the Department of Defense.
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