Iftarons ! En Belgique, des familles invitent des non-musulmans à partager la rupture du jeûne
L’iftar est un moment essentiel du quotidien des musulmans pratiquants pendant le Ramadan. Après un jeûne allant de la première prière de la journée (Fajr) à celle du crépuscule (Maghreb), ils peuvent enfin boire et manger.
Pendant tout le mois du calendrier lunaire, chaque jour, l’heure officielle de rupture du jeûne varie suivant la position géographique et le coucher du soleil. Le repas de l’iftar est alors dégusté en groupe lors d’événements publics, ou en privé entre amis ou membres de la famille.
En Belgique, à travers la plate-forme Iftarons, des musulmans ouvrent leur porte à des inconnus pour faire découvrir ce rituel...
Rendez-vous à telle adresse
J’ai décidé de tenter l’expérience en m’invitant dans une famille. Je ne suis pas croyante, je n’ai été élevée dans aucune religion. Je vis à Bruxelles, capitale de l’Union européenne, ville multiculturelle. Depuis toujours, j’entends mes amis musulmans parler du Ramadan et l’iftar, en particulier, piquait ma curiosité.
En Belgique, l’association Fedactio (la Fédération des associations actives de Belgique) a lancé il y a trois ans le projet Iftarons. L’idée est de créer des ponts multiculturels entre les familles musulmanes et de parfaits inconnus afin de partager un repas de rupture du jeûne, et ce quelles que soient leurs convictions.
Après m’être inscrite en ligne, j’ai reçu un mail m’indiquant une adresse où me rendre le lendemain pour retrouver mes hôtes.
Avec un peu d’appréhension, je suis arrivée devant la porte d’une maison en périphérie bruxelloise. Karim* m’a accueillie en me tendant une paire de pantoufles. Dans le salon, j’ai retrouvé une autre participante ainsi que Mustafa Muslukcu, coordinateur du projet pour la ville de Bruxelles.
Karim est arrivé en Belgique avec sa femme et ses enfants il y a trois ans seulement. Ils sont réfugiés politiques : proches du mouvement güleniste, ils étaient en danger dans la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, qui mène une purge contre les membres présumés du mouvement dirigé par l’imam exilé aux États-Unis Fethullah Gülen depuis la tentative de coup d’État qui lui a été imputée en juillet 2016.
« Nous souhaitons, via Iftarons, mettre l’accent sur les relations sociales et l’importance de la solidarité et de l’hospitalité entre personnes d’horizons différents »
- Özgür Tascioglu, secrétaire général de Fedactio
Un peu de français, d’anglais, de turc, de néerlandais et, très vite, une bonne ambiance s’installe. Le beau-frère de Karim et son épouse nous rejoignent. À 21 h 35, nous nous levons tous pour passer à table. 21 h 39, les prières retentissent sur les smartphones, c’est l’heure de la rupture du jeûne.
« On commence par des dates, du sel ou de l’eau », explique Mustafa Muslukcu en avalant une date juteuse. Sinem*, la femme de Karim, nous apporte une délicieuse soupe de lentilles, s’ensuit toute une série de mets plus succulents les uns que les autres.
On rit, on parle politique, mais aussi religion ou voyage. Karim explique qu’il a surtout des amis turcs ici en Belgique et que cette initiative est donc une bonne opportunité pour lui de rencontrer des Belges.
À la fin du repas, Sinem nous fait signer son livre d’or. Je quitte la famille l’estomac plus que rempli, le cœur ouvert et les neurones en ébullition. Chacun est sorti de sa zone de confort pour faire un pas vers l’autre.
Dialogue et partage
À travers tout le pays, ce sont près de 1 000 personnes qui sont accueillies au sein d’une famille musulmane pour participer à un iftar durant ce mois de Ramadan, selon Fedactio.
« Les musulmans adorent partager leur table, c’est un mois de spiritualité », déclare Özgür Tascioglu, secrétaire général de l’association.
« Avant, les bénévoles de notre association, religieux ou non, s’invitaient entre eux pendant le Ramadan, mais à partir de 2017, l’idée a émergé d’organiser des repas entre personnes qui ne se connaissaient pas. Il y a des iftars publics dans des restaurants, des mosquées ou en plein air, mais comme ça dans l’intimité des familles, c’est un projet unique », souligne-t-il.
L’un des principaux objectifs de Fedactio est de promouvoir le dialogue entre les différentes communautés, et d’y inclure tout individu indépendamment de son identité. L’association affirme suivre la pensée du mouvement Gülen, qui se présente comme interculturel et interreligieux.
« Nous souhaitons, via Iftarons, mettre l’accent sur les relations sociales et l’importance de la solidarité et de l’hospitalité entre personnes d’horizons différents. Certaines familles sont là depuis longtemps, d’autres sont arrivées récemment. Cette initiative aide à l’intégration, à la compréhension de l’autre », continue Özgür Tascioglu.
« Les familles accueillantes comme les participants, tous sont ravis de ces échanges. De chaque côté, la soirée est attendue avec beaucoup d’impatience. Chacun est curieux de l’autre », renchérit Mustafa Muslukcu.
« La semaine prochaine, un prêtre va même participer », ajoute-t-il avec enthousiasme.
Les témoignages de participants, relayés sur le site internet, évoquent en effet des soirées « très enrichissantes », « inoubliables » et « passionnantes ».
Liliane, une participante, abonde dans ce sens « Merci à ces familles participantes avec qui nous avons pu partager leurs repas. Ça nous a permis d’apprendre beaucoup sur leurs coutumes, culture et religion. Soirée très enrichissante qui nous permet de créer des liens. »
* Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées.
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