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Maroc : le niveau alarmant des élèves, symptôme d’un enseignement à bout de souffle

Seuls 9 % des collégiens de l’enseignement public assimilent les programmes de français, d’arabe et de mathématiques, loin derrière les élèves des collèges privés
Les projets de réforme n’ont pas réussi à pallier les dysfonctionnements structurels qui plombent l’école marocaine (AFP)
Les projets de réforme n’ont pas réussi à pallier les dysfonctionnements structurels qui plombent l’école marocaine (AFP)
Par AFP à RABAT, Maroc

« Une machine à reproduire les inégalités au sein de la société » : une étude officielle pointant les déficits d’apprentissage des élèves au Maroc a tiré la sonnette d’alarme sur un système éducatif public à bout de souffle.

« C’est parce que l’école n’arrive pas à offrir à la majorité des élèves le socle de compétences de base au niveau de l’enseignement fondamental, qu’elle devient une machine à reproduire les inégalités au sein de la société », constate le Conseil supérieur de l’Éducation, un organisme consultatif, dans un rapport publié récemment. 

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« Cette crise peut représenter une menace sérieuse pour le développement de l’éducation », résume le Conseil qui concède que les réformes successives n’ont pas « apporté un effet positif notoire ». 

Les chiffres sont édifiants : seuls 9 % des collégiens de l’enseignement public assimilent les programmes de français, d’arabe et de mathématiques.

Loin derrière les élèves des collèges privés qui maîtrisent bien mieux le français, l’arabe et les maths (respectivement 62 %, 38 % et 49 %), précise l’étude réalisée auprès de 37 000 « apprenants » (sur 8,7 millions).

Dans le primaire, le tableau est tout aussi noir. Moins de la moitié (42 %) des écoliers du public ont un niveau satisfaisant en arabe, et un quart seulement en français (27 %) et en mathématiques (24 %). Le niveau est meilleur en milieu urbain que rural. 

« Nous formons des citoyens analphabètes »

    « Ces chiffres sont désolants et démontrent que nous formons des citoyens analphabètes », déplore le syndicaliste Abderazzak Drissi, secrétaire général de la Fédération nationale de l’enseignement (FNE).

    Classes surchargées, locaux délabrés, taux de déscolarisation élevé… Ces deux dernières décennies, les projets de réforme n’ont pas réussi à pallier les dysfonctionnements structurels qui plombent l’école marocaine.  

    Même des familles pas forcément aisées préfèrent se sacrifier et confier leurs enfants à des écoles privées ou à des institutions étrangères. 

    « Ces chiffres sont désolants et démontrent que nous formons des citoyens analphabètes »

    – Abderazzak Drissi, secrétaire général de la Fédération nationale de l’enseignement

    « Je paie près de 400 euros par mois. C’est beaucoup mais c’est indispensable pour garantir un meilleur apprentissage du français et de l’anglais à mes deux enfants, ce que l’école publique ne peut plus leur assurer », témoigne Siham, une cadre du secteur privé.  

    Sans une « transformation profonde » de l’éducation, « il est impossible d’atteindre aucun des objectifs du Nouveau modèle de développement (NMD) à l’horizon 2035, avertit l’étude.

    Le NMD, une feuille de route, présentée en mai par une commission mandatée par le roi Mohammed VI, a pour objectif de relancer la croissance et réduire les profondes inégalités qui frappent le royaume.  

    Plusieurs rapports officiels ont déjà alerté sur la situation de l’éducation et sa corrélation avec la hausse du chômage et l’absence de perspectives pour la jeunesse, la classe d’âge la plus touchée par les disparités sociales.

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    « Douloureux ». C’est ainsi que le ministre de l’Éducation Chakib Benmoussa a qualifié l’état du système éducatif devant les parlementaires. 

    « L’amélioration de la qualité de l’éducation publique est d’abord liée à la qualité de la formation des enseignants », a plaidé le ministre, poids lourd du gouvernement. 

    Pour ce faire, son ministère a décidé de fixer à 30 ans l’âge maximum d’entrée dans les centres de formation des enseignants, une mesure doublée de l’obtention d’une mention au baccalauréat ou en licence.  

    Ces nouvelles conditions visent à « sélectionner les meilleurs candidats désireux d’exercer réellement ce métier, comme c’est le cas pour les écoles de médecine ou d’ingénieurs », précise à l’AFP une responsable du ministère de l’Éducation.

    « Nous avons trop tardé »

    Les enseignants « sont les acteurs principaux dont dépend la réussite de tout projet de rehaussement du niveau », abonde le Conseil supérieur de l’Éducation, qui regrette qu’ils choisissent souvent ce métier « en l’absence d’alternatives ». 

    « Aujourd’hui il est urgent de réformer le système éducatif. Nous avons trop tardé », admet la responsable du ministère sous couvert de l’anonymat.

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    Mais s’il y a consensus sur le diagnostic, les propositions de réforme font souvent l’objet de désaccords. 

    Ainsi les nouvelles conditions d’accès au métier d’enseignant ont provoqué la colère des syndicats et des étudiants qui ont récemment manifesté dans plusieurs grandes villes. 

    « Nous avons besoin d’un concours [d’entrée] plus strict et non d’un plafonnement d’âge », estime Abderazzak Drissi, le syndicaliste.  

    Malgré les protestations, ce concours a attiré cette année plus de 100 000 candidats pour moins de 17 000 postes, selon le ministère de l’Éducation. Il est vrai que l’enseignement est souvent vu comme un moyen d’échapper au chômage. 

    Par Ismail Bellaouali

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