Entre incendies mortels et frappes israéliennes, la défense civile de Gaza sauve des vies malgré le manque de matériel
Le 17 novembre dernier, la famille Abu Raya s’était réunie dans l’appartement où elle vivait dans le nord de la bande de Gaza sous blocuspour fêter le retour d’un membre de la famille de l’étranger.
Soudain, des cris épouvantables ont retenti depuis cet appartement situé dans le quartier de Tal al-Zaatar, dans le camp de réfugiés de Jabaliya.
Vingt-deux personnes issues d’une même famille, réunies à l’occasion de ce retour, s’étaient retrouvées prises au piège dans l’appartement situé au troisième et dernier étage de l’immeuble ravagé par un gigantesque incendie.
« Le matériel des pompiers était inadapté pour maîtriser un incendie de cette ampleur »
– Mohammed al-Khaldi, témoin
L’alerte a été donnée et les secours, munis de matériel obsolète, ont peiné à contenir l’incendie.
« Le matériel des pompiers était inadapté pour maîtriser un incendie de cette ampleur », explique à Middle East Eye Mohammed al-Khaldi, témoin de l’incendie.
Les pompiers, ajoute-t-il, ont dû acheminer de l’eau de leur camion jusqu’au troisième étage et il leur était difficile de rejoindre l’appartement par les escaliers à cause du feu. Ils sont donc passés par une habitation voisine pour tenter d’éteindre l’incendie.
Toutefois, raconte le témoin, il n’a pas fallu longtemps pour que le camion de pompiers soit à court d’eau. Il leur a donc fallu aller remplir le réservoir depuis un puits voisin, mais puisque l’électricité était coupée, il a fallu rechercher une autre source.
« [Même si] de nombreux camions de pompiers sont arrivés rapidement, il leur a fallu environ une heure pour éteindre l’incendie. »
Malgré tous les efforts déployés par les secours pour secourir les personnes prises au piège, les 22 personnes, dont plusieurs enfants, ont trouvé la mort.
Des incidents récurrents
Depuis que le Hamas a remporté les élections législatives en 2006, Israël impose à Gaza un blocus terrestre, aérien et maritime qui paralyse presque tous les secteurs de l’enclave côtière, notamment ses capacités en matière de défense civile.
Cet incendie n’est que le dernier en date d’une série d’événements qui ont mis au jour ces vulnérabilités au cours des dernières années.
Le 6 août, Mohamed al-Tahrawi se trouvait près de sa maison dans le camp d’al-Shout à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, lorsqu’Israël a visé son quartier avec six missiles dans le cadre de son offensive de trois jours contre l’enclave.
Il s’est précipité vers son domicile mais il lui était difficile de rentrer chez lui en raison de l’énorme quantité de décombres.
« Le bombardement était incroyable, je n’avais jamais rien vu de tel », raconte-t-il à MEE.
« Près de sept maisons adjacentes ont été rasées et de nombreuses personnes ont été tuées et blessées sous les décombres. Ma sœur Alaa se trouvait sous trois étages de décombres. »
La frappe aérienne a tué huit Palestiniens, dont Khaled Mansour, commandant de la division sud des Brigades al-Qods, la branche militaire du Djihad islamique palestinien, ainsi que deux autres combattants du groupe, trois femmes et un enfant.
Les secours sont rapidement arrivés au volant de Hummer, avec des burins et des pelles, explique Mohamed al-Tahrawi, assis là où se trouvait la maison d’Alaa.
Cependant, devant l’ampleur des décombres, il a fallu faire venir de Gaza un bulldozer, qui a mis près de deux heures à arriver.
« Les secours et les voisins ont retiré les décombres sans relâche avec le peu de matériel qu’ils avaient et leurs mains jusqu’à l’arrivée du bulldozer à minuit », se souvient Mohamed al-Tahrawi.
« Ils ont sorti les deux corps à 2 h 30 du matin, puis ils ont retrouvé le corps éparpillé de ma sœur à 5 h du matin.
« Après la guerre, en enlevant les décombres, nous avons retrouvé d’autres parties de son corps, dont sa main », ajoute-t-il d’une voix triste.
Le siège israélien mis en cause
Interrogé par MEE, le capitaine Mahmoud Basal, porte-parole de l’autorité de défense civile de Gaza, affirme que ses équipes souffrent d’un manque criant de matériel dû au blocus israélien.
« Nous avons 31 camions de pompiers en service depuis 1994. Ils fonctionnent à peine et il faudrait les renouveler tous les cinq ou six ans », explique-t-il. « Nous n’avons pas de bulldozers, de grues spéciales pour arracher les toits effondrés lors des agressions israéliennes, ni d’appareils pour détecter les personnes coincées sous les décombres.
« Israël interdit également les émulseurs, les combinaisons et les chaussures de lutte contre les incendies, les appareils respiratoires et les masques à gaz. Nos équipes n’ont pas eu de formation à l’étranger depuis 2006 en raison du blocus. »
Le capitaine précise que ses équipes ne disposent que d’un seul réservoir transportable de 15 000 litres pour soutenir leurs camions en mauvais état, dotés de réservoirs allant de 3 000 à 5 000 litres qui se vident en quelques minutes.
Il souligne que Gaza compte un agent de la défense civile pour 2 700 habitants, alors que la norme devrait être d’un pour 1 000 habitants.
Douze heures pour être secourue
Lors de l’assaut israélien de onze jours contre Gaza en 2021, Israël a commis un massacre dans la rue al-Wehda le 16 mai, tuant plus d’une quarantaine de civils.
« Lorsque nous sommes arrivés, plus d’une vingtaine de personnes blessées et tuées se trouvaient sous l’immeuble de trois étages de la famille al-Kulak. J’étais sous le choc car je ne savais pas ce que nous aurions dû faire des décombres avec des Hummer et des pelles », raconte Mustafa Hamdan, premier lieutenant et formateur en défense civile.
« Je suis passé sous les décombres et j’ai crié : “Il y a quelqu’un ici ?” Alors une femme a répondu d’une voix faible : “Oui, je suis là” », poursuit-il.
Cette femme, Zainab al-Kulak, a eu la chance d’avoir son téléphone à la main au moment du bombardement. Les secours lui parlaient au téléphone tout en fouillant dans les décombres pour la localiser.
« Il y avait beaucoup de personnes sous les décombres, alors nous avons dû soulever le toit effondré à l’aide d’un bulldozer. Nous devions l’arrêter pour pouvoir entendre les personnes coincées, puis le redémarrer pour continuer de creuser. Nous avons répété cela de 2 h à 4 h 30 du matin », ajoute-t-il.
« Puis nous avons trouvé son père, Shukri, enfoui jusqu’à la tête mais vivant. Soudain, la batterie du téléphone de Zainab a lâché. J’ai perdu mes forces car je la croyais morte. Imaginez qu’une personne soit piégée sous trois étages de décombres, qu’elle vous appelle à la rescousse mais que vous n’ayez pas le matériel pour la secourir. »
Au bout de douze heures, Zainab, qui avait depuis lors perdu connaissance, a pu être sortie.
« Imaginez que pendant les guerres, nous devons passer la tête sous les décombres pour savoir si quelqu’un est vivant car nous n’avons pas d’appareil pour détecter les personnes prises au piège. Mais nous devons faire notre travail afin de porter secours aux autres », affirme l’officier.
Zainab a perdu vingt-deux membres de sa famille cette nuit-là, dont sa mère et trois de ses frères et sœurs.
Des décès évitables
Il était minuit le 13 mai 2021 à Sheikh Zaïd, dans le nord de Gaza. Khaled al-Malfouh (27 ans) était en famille.
« J’ai entendu un bruit dehors. Des voisins hurlaient car ils pensaient qu’une tour dans le voisinage allait être bombardée. C’était une minute avant qu’on nous bombarde. Nous nous sommes rapidement rassemblés dans une même pièce et avons commencé à entendre les roquettes tomber sur notre quartier », se souvient-il.
« Si nous avions eu le matériel nécessaire, nous aurions sauvé un grand nombre de victimes »
– Mahmoud Basal, défense civile de Gaza
« Soudain, notre maison a été visée et nous sommes tous tombés sous trois étages de décombres. J’étais enfoui jusqu’à la poitrine. J’ai appelé tous les membres de ma famille pour savoir s’ils étaient en vie. Heureusement, tous ont répondu, sauf ma mère qui s’était évanouie. »
Par chance, une colonne de béton a retenu le toit, formant ainsi une tente au-dessus de la famille.
Khaled avait son téléphone à la main après le bombardement. Il a donc appelé un ami vivant à côté pour qu’il fasse venir les secours.
« Les secours sont arrivés en quelques minutes. Je leur ai demandé de secourir ma mère, qui était tombée six mètres plus bas que moi et dont le bassin avait été écrasé par un mur », raconte Khaled.
« Ils ont travaillé avec acharnement pendant 30 à 40 minutes pour pouvoir sortir ma mère. Puis au bout de près d’une heure, ils nous ont tous secourus. »
Les sept membres de sa famille, dont trois enfants, ont été blessés ; sa mère et sa sœur se trouvaient dans un état grave. Les frappes aériennes ont fait neuf victimes, dont une grande partie ont été extraites des décombres au bout de dix-sept heures.
« Si nous avions eu le matériel nécessaire, nous aurions sauvé un grand nombre de victimes », déplore le capitaine Mahmoud Basal. « Car il est normal qu’une personne blessée et prise au piège finisse par mourir si elle reste six heures sous les décombres [et se vide de son sang]. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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