Recréer le paradis sur Terre : les secrets des demeures damascènes traditionnelles
Les rues étroites du vieux Damas abritent des mosquées anciennes, des hammams, des madrasas et même des bimaristans (hôpitaux) datant des ères seldjoukide, mamelouke et ottomane. Plus difficiles à remarquer du fait de leur conception, on trouve aussi des maisons traditionnelles damascènes ou beit.
Pourtant, parsemant la vieille ville dans les quartiers juif, chrétien et musulman de Damas se trouvent de nombreux exemples de demeures damascènes qui remplissent encore leur fonction originelle : être un paradis sur Terre pour leurs habitants.
Les maisons damascènes, comme celles d’Alep, permettaient de vivre dans des zones densément peuplées tout en conservant son intimité
Construites à une époque où l’espace se faisait rare entre les murs des villes médiévales, les maisons damascènes, comme celles d’Alep, permettaient de vivre dans des zones densément peuplées tout en conservant son intimité.
De l’extérieur, la demeure typique ne présente que des murs et une porte, mais une fois à l'intérieur, un intérieur d’une grande richesse et d’une grande beauté attend le visiteur. Le design, la disposition et la place de chaque élément sont soigneusement réfléchis.
Middle East Eye s’intéresse aux caractéristiques typiques des demeures traditionnelles damascènes.
La cour
La maison damascène s’ouvre sur une cour centrale avec une fontaine qui masque les bruits extérieurs et, en été, aide à rafraîchir l’air. Ces mélodies d’eau forment également les notes d’un instrument de musique naturel que l’on trouve à travers le monde musulman. À une époque où la musique n’était pas largement disponible chez soi, l’ambiance créée par les fontaines poussait à la relaxation et à la contemplation.
En fait, les vertus médicinales du bruit de l’eau qui ruisselle étaient considérés comme si efficaces que les bimaristans à travers la Syrie et le Moyen-Orient utilisaient des fontaines et des instruments à corde pour soigner les troubles de la santé mentale.
Ce n’est que ces dernières années que les médecines modernes occidentales ont accepté et commencé à utiliser le son comme outil thérapeutique.
Une maison pouvait avoir une, deux ou même trois cours, en fonction du statut du propriétaire. Pratiquement aucune maison damascène ne disposait de bains, les habitants allaient dans les hammams locaux qui ne manquaient pas.
L’iwan
Un iwan est une pièce avec un mur comprenant de multiples ouvertures sur une cour, qui se dresse parfois sur deux étages. On les trouve généralement dans l’architecture perse en Iran et en Ouzbékistan, et dans les maisons damascènes, c’est l’endroit où les familles se posent pour profiter de la vue sur la cour.
Si la maison possède deux iwans, l’un fait face au nord et l’autre au sud : ainsi, lors des chaudes journées d’été, la famille se rassemble du côté sud pour échapper aux rayons du soleil et au nord en hiver pour attraper le soleil.
Au-dessus de chaque iwan, on trouve généralement un plafond de bois décoré dans un style ajami (étranger). Souvent présent dans les maisons ottomanes, ce style de décoration comprend de beaux motifs floraux, des motifs géométriques, des inscriptions de poésie ou des proverbes.
Totalement peints à la main, ces motifs comportent généralement les styles hatayi et rumi que l’on voit souvent dans les céramiques d’Iznik, les carreaux, les illustrations et les tapis turcs.
On trouve également des motifs provenant des périodes byzantines ou romaines classiques. Si un motif comprend un animal ou une personne, cela indique que le commanditaire n’est pas musulman, mais plus probablement juif ou chrétien. La qualité et la richesse de la décoration reflète le statut financier du propriétaire.
Selamlik, haramlek et qa’a
Si la maison est grande, le rez-de-chaussée (selamlik) est réservé à l’accueil des invités, généralement des hommes. Les pièces de l’étage (haramlek) sont utilisées par la famille et les femmes.
Pour préserver l’intimité de ses occupants, aucune fenêtre ni balcon ne donne sur l’extérieur dans les maisons damascènes, mais de larges fenêtres sont ouvertes sur la cour. Parfois, ces fenêtres sont ornées de fragments de verre coloré qui filtrent le soleil et forment de magnifiques arcs-en-ciel dans la pièce.
Dans toute maison damascène, la pièce la plus décorée est la pièce de réception (qa’a). Utilisée pour accueillir les visiteurs la journée, elle comporte ce qu’il y a de plus beau et de plus élaboré pour impressionner les invités.
Comme la plupart des pièces du rez-de-chaussée, le sol du qa’a est recouvert d’un tapis. Tout ce qui entrent doivent au préalable enlever leurs chaussures.
Si le propriétaire est particulièrement riche, on y trouve également une fontaine. Son objectif est double : créer une atmosphère apaisante et relaxante et empêcher les personnes extérieures d’écouter des conversations potentiellement privées.
Le jardin
Aucune maison damascène ne serait complète sans son jardin. Caractéristique importante, particulièrement dans l’architecture perse – madrasas, khanqahs (équivalent de couvents chrétiens) et palais royaux –, le jardin paradisiaque tente de reproduire le jardin d’Éden promis par Dieu aux croyants.
Les musées d’architectes musulmans s’inspirent du 31e verset de la 18e sourate du Coran intitulée « al Kahf » (La Caverne) : « Voilà ceux qui auront les jardins du séjour éternel sous lesquels coulent les ruisseaux. Ils y seront parés de bracelets d’or et se vêtiront d’habits verts de soie fine et de brocart, accoudés sur des divans bien ornés. Quelle bonne récompense et quelle belle demeure ! »
Autour de la cour centrale, on trouve de la vigne verte qui grimpe sur les murs, les arches et les encadrements de fenêtres, imprégnant l’air de l’odeur des nombreuses fleurs et plantes.
La fleur dominante dans toutes maisons damascènes est le jasmin, une simple fleur au parfum puissant qui s’étend et occupe chaque crevasse de la maison. On trouve également le bougainvillier (al majnoona) avec ses fleurs violettes et roses et ses épaisses feuilles vertes. Dominant la cour, ses feuilles remuent à chaque fois qu’un souffle de vent pénètre dans le jardin, couvrant le sol de marbre blanc de délicats pétales.
Le joyau du jardin est la rose de Damas (al jouri). Rose réputée plus douce que toutes les autres, elle parfume le jardin et sa senteur s’échappe par-dessus les murs de la maison, révélant la présence du jardin aux passants.
Enfin, il y a le citronnier (al naring). Cet arbre comptait tellement pour les anciens dirigeants omeyyades de Syrie qu’ils en ont emmené avec eux jusqu’en Andalousie (Espagne), où ils les ont fait pousser dans les jardins des mosquées de Séville et de Cordoue.
L’extérieur des maisons damascènes servait de beau voile dissimulant le monde extérieur à tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur. Chaque maison est totalement isolée, non seulement du monde extérieur mais de ses voisins immédiats. Aucune fenêtre ne donne sur la rue et aucun voisin ne peut voir l’intérieur de la maison, ce qui protège l’intimité de la famille.
Les murs sont hauts, les entrées soigneusement indiquées et quand c’est nécessaire, les arbres et les plantes gardent les espaces ouverts.
Les épais murs de chaque maison sont faits de basalte noir, qui provient d’une source locale au sud de Damas. On retrouve cette même pierre à travers Damas dans d’autres bâtiments.
Structure et évolution
La plupart des maisons damascènes sont construites à partir de roches calcaires blanches, venant du sud de Damas, qui se grisent avec le temps.
Les sols sont pavés de marbre blanc mélangé à d’autres couleurs, entrelacés pour créer des motifs symétriques intriqués qu’on trouve souvent dans l’architecture islamique.
À l’arrivée des ottomans, la culture shami a commencé à absorber cet univers ajami. La tendance a commencé à évoluer vers un style plus anatolien (konak) tourné plutôt vers la rue que vers l’intérieur.
Les matériaux durables étaient remplacés par des matériaux plus temporaires et la qa’a (pièce de réception) s’est muée en salon ottoman très décoré (salya).
Les nouveaux matériaux utilisés pour restaurer ou reconstruire les demeures damascènes étaient plus baroques, moins géométriques.
Parmi les mieux préservées figure Beit Nizam ou As’ad Pasha al-Azem, autrefois palais du gouverneur ottoman.
Pour ceux qui veulent voir ce à quoi ressemblait une maison damascène typique, il y a des expositions en Europe et en Amérique du Nord.
Le MET à New York possède un salon de Damas datant du début du XVIIIe siècle Le musée Aga Khan de Toronto a des lambris venant d’un salon damascène datant du début du XIXe siècle ; tandis qu’à Londres, Leighton House dispose d’une « salle arabe » qui comprend un treillage en bois original de Damas, ainsi que de nombreux éléments ottomans. Enfin, le musée de Pergame à Berlin possède sa propre chambre d’Alep du XVIIe siècle.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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