Guerre en Ukraine : l’Égypte espère augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe
Les spécialistes égyptiens en hydrocarbures, qui observent de près l’invasion russe de l’Ukraine et la possible interruption de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe, espèrent une plus grande demande pour le gaz égyptien en Europe.
La hausse anticipée de la demande, disent-ils, pourrait compenser en partie les pertes que subira l’Égypte à cause de la guerre, parmi lesquelles les importations de blé plus chères et la perte de millions de touristes venant de Russie et d’Ukraine.
« L’Égypte a de bonnes chances d’exporter davantage de gaz naturel liquéfié vers l’Europe », indique à Middle East Eye Salah Hafez, ancien directeur adjoint de la General Petroleum Corporation, organe exécutif du ministère du Pétrole.
L’Égypte a atteint l’autosuffisance en 2019, mais a passé avant cela de nombreuses années à importer une partie de son gaz.
Depuis lors, elle cherche désespérément à accroître ses exportations de Gaz naturel liquéfié (GNL), en particulier vers l’Europe, pour injecter dans son économie des devises étrangères absolument nécessaires pour financer ses ambitieux projets de développement et nourrir sa population croissante.
Une part importante du gaz européen vient de Russie. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont déjà interdit les importations de gaz russe et l’Union européenne a déclaré vouloir se tourner vers des sources alternatives et accélérer la transition vers les énergies renouvelables pour pallier la pénurie.
Avant même ces interdictions, l’exclusion de la Russie du système bancaire mondial Swift menaçait de rompre les accords financiers entre la Russie et les banques occidentales en rendant difficile le paiement du gaz russe par les États occidentaux.
L’ambassadeur russe au Caire, Georgy Borisenko, a déclaré à un journal local fin février que son pays devrait suspendre ses exportations de gaz vers l’Europe occidentale en cas de non-paiement. Pour les analystes, cela va contraindre l’Europe à chercher des alternatives au gaz russe.
Miser sur les grandes découvertes
L’Égypte s’efforce de devenir une plaque tournante de l’énergie, misant sur les grandes découvertes de gaz ces dernières années et l’immense quantité de gaz en Méditerranée orientale. Elle dispose de deux grandes usines de liquéfaction pour transformer le gaz extrait dans les États de la région et le réexporter vers les marchés étrangers.
L’Égypte a déjà signé une série d’accords concernant l’importation de ce gaz, notamment avec Israël. Le gaz est liquéfié dans les usines d’Edku et Damiette, dans le nord de l’Égypte, puis envoyé sur le marché international. Ces deux usines produisent 12,2 millions de tonnes de GNL par an.
Les Égyptiens consomment 65 % de leur production et les 35 % qui restent sont proposés à l’exportation
« Les accords d’importation de gaz signés par le gouvernement avec les États de la région est profitable pour toutes les parties prenantes », assure à MEE Khaled al-Shafie, directeur du think tank local Capital Center for Economic Studies and Research. « Les profits réalisés par l’Égypte grâce à la transformation du gaz et son exportation vers d’autres pays sont énormes. »
L’Égypte a déjà commencé à envoyer ce gaz vers les pays européens en le vendant sur le marché au comptant.
Les exportations de GNL en 2021 s’élevaient à 5 millions de tonnes, principalement vers les marchés asiatiques et européens.
L’Égypte espère porter ses exportations à 7,5 millions de tonnes d’ici juin, annonce son ministre du Pétrole. Outre les milliards de dollars de recettes, cela réaliserait le rêve égyptien de devenir une plaque tournante de l’énergie.
Les experts locaux estiment que l’Égypte peut s’avérer une option viable pour l’Europe qui s’efforce de réduire sa dépendance au gaz russe.
« L’Égypte est bien placée pour pallier les lacunes d’approvisionnement en Europe », juge le spécialiste indépendant des hydrocarbures Ramadan Abul El. « Nous disposons de surplus de production suffisants pour jouer un rôle. »
L’Égypte produit près de 190 millions de mètres cubes de gaz naturel chaque jour, ce qui en fait le 13e producteur mondial et le 5e producteur régional. Les Égyptiens consomment 65 % de leur production et les 35 % qui restent sont proposés à l’exportation.
L’ancien ministre du Pétrole Ousama Kamal affirme que l’Égypte ne rencontrerait aucun obstacle pour envoyer son gaz dans les pays européens. Mais l’analyse égyptien Ahmed Fouad en note plusieurs, à commencer par l’absence d’infrastructures nécessaires.
L’Égypte, explique-t-il, exporte du GNL alors que la plupart des pays européens n’ont que les infrastructures pour recevoir du gaz naturel par gazoduc.
« Une telle dépendance vis-à-vis des importations de gaz naturel par gazoduc interroge la capacité de ces pays à avoir les infrastructures nécessaires pour passer au GNL », écrit-il dans une étude.
Il mentionne d’autres obstacles, notamment l’engagement de l’Égypte à exporter une partie de son gaz vers la Chine et les pays arabes, parmi lesquels le Liban.
Le secteur gazier au centre de l’économie égyptienne
Mais le 26 février, le porte-parole du cabinet Nader Saad a déclaré que le gouvernement réfléchissait aux moyens d’accroître ses exportations de GNL vers l’Europe.
Le conflit [russo-ukrainien] aura un impact négatif sur l’Égypte en ce qui concerne le prix du blé et le tourisme, expliquait-il.
« Ces pertes peuvent toutefois être compensées par l’augmentation des exportations de GNL vers l’Europe », assurait Saad à une chaîne de télé locale.
Les usines de liquéfaction d’Edku et de Damiette fonctionnent à pleine capacité pour accroître la quantité de gaz transformé.
L’Égypte importe 12,74 millions de mètres cubes de gaz depuis Israël chaque jour et vise les 17 à 18,5 millions de mètres cubes par jour. Selon Saad, le Caire veut signer des accords avec la Grèce et Chypre pour des importations de gaz en reliant les gisements grecs et chypriotes aux usines de liquéfaction égyptiennes.
Le gaz découvert au large des côtes égyptiennes a placé le secteur gazier au centre de l’économie égyptienne. Le gouvernement a également alloué des milliards de dollars à la modernisation du secteur.
La croissance potentielle de la demande en gaz dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine rendrait le secteur du gaz naturel plus attractif pour les investisseurs étrangers, d’après les spécialistes.
« La hausse de la demande en gaz va nécessairement accroître la capacité du secteur du gaz local à attirer plus d’investissements étrangers », estime Hafez, ancien directeur adjoint de la General Petroleum Corporation.
Ces dernières années, l’Égypte a signé des dizaines d’accords d’exploration gazière avec des multinationales. La demande croissante, selon les experts, va inciter encore plus de sociétés à investir en Égypte.
La crise en Ukraine a déjà amené l’Égypte à chercher d’autres fournisseurs de blé, étant donné sa lourde dépendance vis-à-vis du blé russe et ukrainien.
L’Autorité générale égyptienne pour l’approvisionnement en produits de base, organisme qui achète le blé national, a annulé certaines offres pour le blé en raison du nombre insuffisant d’offres d’approvisionnement.
Les réserves de l’Égypte peuvent satisfaire la demande de la population jusqu’à la fin de l’année.
Le secteur touristique égyptien dépend également fortement des touristes russes et ukrainiens, lesquels représentent près d’un tiers de toutes les arrivées.
« La demande élevée provoque la hausse des cours du gaz sur le marché international », indique al-Shafie. « Cela signifie que l’Égypte peut compenser partiellement les pertes subies à cause de la guerre en augmentant la quantité de gaz exporté vers d’autres pays. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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