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Une liste noire de chansons interdites en Turquie suscite la polémique

Le groupe audiovisuel public turc a interdit des centaines de chansons accusées de faire « la promotion du terrorisme » ou dont le contenu est jugé « immoral ». Une première depuis les années 1980
La chanteuse Demet Akalın figure sur la liste noire des chansons interdites sur l'audiovisuel public (capture d'écran)
Par MEE

Le groupe audiovisuel public turc a interdit 208 chansons pop turques et kurdes, accusées de faire « la promotion du terrorisme » ou dont le contenu est jugé « immoral », a révélé un député de l'opposition.

Atilla Sertel, un député du Parti républicain du peuple (CHP), a demandé à une sous-commission parlementaire chargée de la surveillance des entreprises économiques publiques, de demander des précisions sur un communiqué présenté à la Cour des comptes par la Radio-télévision de Turquie (TRT) énumérant 208 chansons interdites depuis 2016.

C'est la première fois qu'une telle interdiction est appliquée par la TRT depuis le règne de la junte militaire après le coup d'État de 1980.

« Ah ulan sevda », une des chansons de la liste des titres interdits

Cette liste noire contient 66 chansons kurdes et 142 chansons turques, et comprend certains des artistes pop parmi les plus célèbres en Turquie, dont Sıla, Demet Akalın et Nükhet Duru. Parmi les chansons interdites : « One night only », « Burn with me » et « I am drunk ».

Les chansons ont été interdites en vertu de clauses dans la réglementation de la radiodiffusion englobant des motifs aussi divers que la promotion du terrorisme jusqu’à l'atteinte aux valeurs morales et familiales, en passant par la promotion et l'aide aux actes criminels.

Peu de temps après la sortie d’Atilla Sertel, la chaîne musicale de la TRT a posté sur son compte Twitter un communiqué qui démentait toute forme d'interdiction autre que celle imposée par la réglementation de la RTÜK (équivalent du Conseil supérieur de l’audiovisuel), selon laquelle les scènes où l’on voit des gens fumer ou consommer de l’alcool sont interdites.

Traduction : « Communiqué. À l’exception des cas indiqués par la RTÜK (interdictions relatives au tabac ou à l’alcool), il n’est aucunement question pour la chaîne musicale de la TRT d’interdire un artiste quel qu’il soit. Les artistes mentionnés continuent d'apparaître sur nos playlists et lors de nos directs, en tant qu'invités »

Bekir Bozdağ, vice-Premier ministre turc, a déclaré jeudi que le problème était exagéré.

« C'est une obligation légale de prendre des mesures contre certaines choses comme les cigarettes, etc. La même chose a été faite l'année dernière et l'année d'avant », a-t-il dit.

« D'autres chaînes doivent le faire également, il est immoral de présenter ce genre de choses au public comme si cela arrivait pour la première fois et comme s’il s’agissait de censure. La TRT fait son travail."

Les lois de la RTÜK exigent que toute scène montrant des personnes fumant ou buvant de l'alcool soit floutée ou masquée d'une manière ou d’une autre.

Peu de vidéos des chansons figurant sur la liste montrent de telles scènes.

Demet Akalın, une des artistes de la liste, ignorait qu'elle avait été interdite et a continué à publier la chanson sur Twitter après avoir demandé une explication.

Traduction : « Allah. Allah. Pourquoi et comment ai-je été interdite ? »

La chanson concernée s'appelle « Ah ulan sevda » et dans le clip, on voit des scènes de danse du ventre et des femmes vêtues dans un bain turc.

L'interdiction la TRT n'affecte pas l'accès à ces vidéos et chansons sur d'autres plateformes.

Pour les critiques, de telles interdictions sont révélatrices des tentatives du gouvernement AKP au pouvoir d'imposer ses propres opinions au public.

Mais selon eux, la TRT en tant que radiodiffuseur public ne peut pas seulement refléter la vision d'une section de la société, que ce soit dans le domaine des arts et de la culture ou de la politique.

Le groupe audiovisuel public a souvent été critiqué par le passé pour avoir refusé de laisser du temps d'antenne ou d'accorder un temps d'antenne minimal aux partis de l'opposition.

En plus de restreindre les partis d'opposition, la TRT aurait également une liste noire officieuse, bloquant les commentateurs politiques et les analystes critiquant la position du gouvernement et les positions sur la politique intérieure et étrangère pour qu’ils n’apparaissent pas dans divers programmes.

Les détracteurs affirment que de telles politiques contredisent l'essence même du groupe – financé par les taxes publiques obligatoires et les factures du service public – de respecter et répondre à toutes les franges de la société.

Traduit de l'anglais (original).

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