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Émeutes : des militants propalestiniens s’inquiètent des échanges de savoir-faire entre la France et Israël en matière de sécurité

Selon un média israélien, la police française aurait demandé de l’aide à ses homologues en Israël pour savoir comment gérer les manifestations. Les autorités françaises démentent
Des manifestants tentent d’échapper aux gaz lacrymogènes lancés par la police à Paris le 2 juillet 2023, cinq jours après la mort du jeune Nahel, adolescent de 17 ans tué lors d’un contrôle routier à Nanterre, provoquant des émeutes dans tout le pays (AFP/Ludovic Marin)
Par MEE

Des militants propalestiniens tirent la sonnette d’alarme après que des médias ont indiqué plus tôt cette semaine que la police française avait demandé de l’aide à ses homologues israéliens pour savoir comment gérer les manifestations provoquées par le meurtre de Nahel Merzouk par un policier.

Le journal Israel Hayom a rapporté lundi que la commission de police israélienne avait reçu un fax de la police française souhaitant s’informer sur la gestion de crise. La demande aurait été annoncée par le chef adjoint de la Division des opérations de police, Shimon Nahmani, lors d’une audience tenue par le Comité de sécurité nationale de la Knesset.

Le journal a ajouté que l’Inspecteur général de la police israélienne, Yaakov « Kobi » Shabtai, avait chargé les départements des opérations et du renseignement du pays « d’étudier les causes de la série d’événements en France, et comment la police a[vait] agi avant, pendant et après l’événement ».

Middle East Eye a contacté le gouvernement français pour obtenir des commentaires, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication de cet article.

Samedi, le ministère français de l’Intérieur a publié un démenti sur Twitter, affirmant que « la France s’[était] appuyée exclusivement sur ses forces de sécurité intérieure » et « n’[avait] fait appel à aucun service étranger ».

Mais pour Taoufiq Tahani, président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS ), « l’exemple israélien représente une fascination pour les élites européennes sur les questions sécuritaires », un constat particulièrement prégnant en France.

« Lune de miel »

«  Les Israéliens vendent très bien leurs différents outils, en persuadant leurs interlocuteurs qu’ils ont exactement les mêmes problèmes qu’eux : là-bas, des camps de réfugiés “infestés par les islamistes” et qui représentent un danger pour leur existence, et en Europe le même problème dans les quartiers populaires, avec des islamistes qui détesteraient leur pay », explique-t-il à MEE.

« Dans les deux cas, qui sont par ailleurs très différents, on constate une dépolitisation du problème, et un ennemi dont il faut se débarrasser », poursuit-il.

La Franco-Palestinienne Inès Abdel Razek, directrice exécutive du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD) basé à Ramallah, pointe du doigt les accointances pour le moins visibles du gouvernement français avec Israël.

« On constate [en France] de manière assez large une sorte de fascination envers les dirigeants de régimes non démocratiques, dont Benyamin Netanyahou. Du côté du ministère de l’Intérieur, on pourrait presque parler d’une lune de miel avec leurs homologues israéliens ; d’ailleurs, les signaux de renforcement de leurs liens sont particulièrement flagrants depuis un moment », note-t-elle.

Israël, « un atout sécuritaire »

Ces dernières années, la coopération franco-israélienne n’a cessé de se renforcer, et les stratégies de maintien de l’ordre utilisées par Israël sont scrutées de près. Telles que celles déployées en 2021, quand les différents corps de la sécurité israélienne étaient parvenus – non sans mal – à maîtriser un soulèvement généralisé unissant les Palestiniens de Cisjordanie occupée, de Gaza et d’Israël.

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Comme en France ces derniers jours, les citoyens palestiniens d’Israël s’étaient alors vus ciblés par d’immenses vagues d’arrestations.

« Il faut rappeler que [les autorités israéliennes] exploitent une population captive [le peuple palestinien] sur laquelle [elles] peuvent tester, de leur propre aveu, un arsenal qui aura également vocation à être exporté. En réalité, ils mettent à profit l’occupation », explique Inès Abdel Razek.

Cette dynamique largement documentée ne semble pas sur le point de s’arrêter, malgré les nombreuses critiques qu’ont provoquées les ventes d’armes à des régimes non démocratiques, dont le Myanmar, qui aurait acheté des équipements militaires israéliens dans le cadre de son opération contre la minorité musulmane rohingya.

Dans son ouvrage The Palestine Laboratory (publié en 2023), le journaliste australien Antony Loewenstein affirme que « le complexe militaro-industriel israélien utilise les territoires palestiniens occupés depuis des décennies comme terrain d’essai pour des armes et des technologies de surveillance, qu’il exporte ensuite dans le monde entier à des fins lucratives ».

Cette affirmation semble avoir du sens en France, comme dans la ville de Nice, où le maire Christian Estrosi a multiplié les échanges avec Israël dans le cadre de la sécurisation et la cybersurveillance dans sa ville.

Des méthodes d’occupation appliquées à des problèmes socio-politiques

Alors, quand le président de la République évoque, le 5 juillet dernier, l’idée de limiter voire de couper l’accès aux réseaux sociaux lors de forts moments de tension sociale, il y a comme un air de déjà-vu, comme l’explique Nadim Nashif, directeur général de l’organisation 7Amleh, basée à Haïfa, et spécialisée dans les droits numériques des Palestiniens.

« Il faut rappeler que [les autorités israéliennes] exploitent une population captive [le peuple palestinien] sur laquelle [elles] peuvent tester, de leur propre aveu, un arsenal qui aura également vocation à être exporté. En réalité, ils mettent à profit l’occupation »

- Inès Abdel Razek, directrice du Palestine Institute for Public Diplomacy

« L’État israélien a conçu et mis en œuvre des réglementations et d’autres mesures pour contraindre les entreprises de réseaux sociaux à réduire au silence les voix palestiniennes sur leurs plateformes et dans le monde en ligne dans son ensemble.

« Il serait triste que le gouvernement français apprenne et adapte ces tactiques et stratégies pour réduire au silence ses propres citoyens, en particulier dans les communautés vulnérables et marginalisées. »

En attendant, un nombre important de membres de différentes unités militaires ont défilé ces derniers mois en Israël – armée de l’air, GIGN, frégates antiaériennes, etc. –, toujours dans le cadre d’échanges de savoir-faire entre les deux pays, témoin du crédit apporté par les autorités françaises à leurs homologues malgré les nombreuses violations constatées dans les territoires palestiniens et les accusations d’apartheid à leur encontre.

« Si la France continue de s’inspirer encore davantage des Israéliens, on pourrait imaginer le pire avec l’importation de leurs méthodes », prévient Inès Abdel Razek.

Elle cite à titre d’exemple « les SMS géolocalisés de menaces afin d’empêcher les manifestations, comme ce fut le cas à Jérusalem en 2021 », ou le « skunk », eau chimique pestilentielle déversée par Israël dans les zones palestiniennes. « Ce dernier n’affecte pas seulement les personnes visées, mais également les lieux, tant l’odeur, insoutenable, est persistante. Cela a été fait porte de Damas à Jérusalem, et cela peut permettre d’éviter tout rassemblement pendant des jours », détaille-t-elle.

« La coopération militaire française avec l’armée israélienne s’est accrue, et cela ne peut avoir que des résultats désastreux en France », juge pour sa part Taoufiq Tahani. « Il n’est pas possible d’appliquer des méthodes d’occupation militaire à des problèmes politiques et sociaux en France. »

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