Iran : bientôt, un élection cruciale qui décidera du successeur d’Ali Khamenei
En coulisses, des discussions ont été engagées sur la décision la plus importante que l’Iran prendra pour les années à venir.
L’élection prochaine de l’Assemblée des experts, l’organe qui décidera du successeur du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, 84 ans, en tant qu’autorité politique et religieuse la plus puissante de la République islamique, sera un élément clé de cette décision.
« Ce qui nous attend doit être analysé dans le contexte de la lutte et du combat pour le fauteuil de Khamenei »
- Un ancien responsable conservateur à MEE
« La course au remplacement de Khamenei a déjà commencé et est très animée. Tout ce que vous avez vu en Iran ces deux dernières années et ce qui nous attend doit être analysé dans le contexte de la lutte et du combat pour le fauteuil de Khamenei », indique un ancien responsable conservateur à Middle East Eye sous couvert d’anonymat.
Cette assemblée est composée de 88 juristes et religieux islamiques qualifiés, chargés en vertu de la Constitution de nommer, de superviser et de révoquer le guide suprême. Tous les candidats doivent posséder des connaissances cléricales approfondies pour pouvoir se présenter.
Selon les informations communiquées par les médias, 510 personnes se sont inscrites à cette élection, qui a lieu tous les huit ans et dont la prochaine édition se tiendra le 1er mars 2024. Environ 52 % des candidats ont participé à l’élection précédente de l’Assemblée des experts, tandis que les autres se présentent pour la première fois.
Les réformistes contrés
En 2014, Ali Khamenei a mis en garde les autorités iraniennes contre « des influences dans les centres de décision » de la République islamique et déclaré à propos de ses opposants : « Ils attendent que la nation et le système politique s’endorment, et dans dix ans, quand je ne serai plus de ce monde, par exemple, ils parviendront à leurs fins. »
La sensibilité d’Ali Khamenei et sa volonté de maintenir l’assemblée au sein de ses propres cercles ont amené le Conseil des gardiens de la Constitution, chargé d’examiner les candidats, à disqualifier un grand nombre d’entre eux, y compris des personnalités de premier plan.
Il convient de noter que les membres de ce conseil sont eux-mêmes directement et indirectement choisis par le guide suprême.
Par exemple, Hassan Khomeini, petit-fils du fondateur de la République islamique, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, a été exclu de la course en 2016.
Hassan Khomeini, un religieux modéré de haut rang qui entretient des liens étroits avec les réformistes, a soutenu des candidats réformistes lors de nombreuses élections.
Une source du camp réformiste indique à Middle East Eye sous couvert d’anonymat qu’Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, qui a été président au cours de deux mandats mais aussi membre de l’Assemblée des experts, avait prévu de préparer Hassan Khomeini et de le mettre sur la bonne voie dans la course au remplacement d’Ali Khamenei en cas de décès de ce dernier.
Le conseil a toutefois rejeté Hassan Khomeini et contrecarré les plans de Rafsandjani.
Parmi les candidats en lice figurent l’ancien président réformiste Hassan Rohani et l’actuel président conservateur Ebrahim Raïssi, qui briguent tous deux un troisième mandat au sein de l’assemblée.
Toutefois, contrairement à Rohani qui se présente à Téhéran, il n’est pas certain que Raïssi se présente également dans la capitale, où sa cote de popularité est faible.
Selon l’ancien responsable conservateur anonyme interrogé par MEE, les cercles conservateurs et les proches de Raïssi ont suggéré au président de conserver sa circonscription de Birjand, dans la province du Khorassan méridional, compte tenu d’inquiétudes quant à ses chances de victoire s’il se présentait plutôt à Téhéran et à l’écart de voix potentiel avec Rohani.
L’actuel président de l’assemblée, Ahmad Jannati, 97 ans, n’étant pas en lice, certains noms apparaissent comme des candidats probables, notamment Raïssi, Ahmad Khatami (responsable de la prière du vendredi à Téhéran), Ahmad Araafi (président des séminaires) et Hachem Hosseini Boushehri (responsable de la prière du vendredi à Qom, une des villes saintes du chiisme).
Quant à Rohani, il n’est pas certain qu’il soit autorisé à se présenter aux élections cette fois-ci.
Selon un responsable réformiste au sein du gouvernement de Rohani, l’ancien président a été écarté de la course à la présidence en 2017 par le Conseil des gardiens de la Constitution (organe iranien cumulant les fonctions de Conseil constitutionnel et de commission électorale), avant d’être autorisé à se présenter après une série de consultations. Rohani l’a ensuite emporté et a pu exercer un second mandat.
Rohani disqualifié ?
Le responsable estime que pour cette raison, Rohani sera probablement disqualifié et empêché de briguer à nouveau un siège à l’assemblée.
« Cependant, j’estime personnellement que si Rohani n’avait pas reçu le feu vert d’un haut responsable, il n’aurait pas pris le risque d’être disqualifié », indique-t-il à MEE sous couvert d’anonymat.
Mohammad Mohajeri, un activiste politique conservateur modéré, a pour sa part déclaré aux médias locaux qu’il était « prévisible que M. Rohani soit disqualifié parce que les attaques contre lui ont commencé ».
« Il y a de cela quelques nuits, je me suis rendu dans une mosquée du quartier de Mahalati [fréquenté par les commandants du corps des Gardiens de la révolution islamique] et un prédicateur fondamentaliste bien connu dans cette mosquée a employé les pires qualificatifs contre M. Rohani, l’a accusé de ne pas avoir assez de connaissances religieuses et a clairement dit que M. Rohani était un espion des Britanniques », ajoute-t-il. « Je crois que la disqualification de M. Rohani est plus que probable. »
Quelques jours après avoir annoncé sa candidature, Rohani a souligné que la nouvelle législature de l’assemblée pourrait être plus importante que l’actuelle.
« Nous demandons à Dieu une longue vie et davantage de succès pour le guide suprême, mais plus le temps passe, plus il est possible que vienne le jour où les membres de l’assemblée devront entrer dans la phase du débat sur l’élection [du dirigeant] », a-t-il déclaré.
« J’ai beaucoup réfléchi à la question de savoir si je devais m’inscrire ou non. Je me suis dit que si je pensais pouvoir être influent parmi les membres, je me serais senti responsable [dans l’au-delà] de ne pas m’être inscrit. Je me suis inscrit sur la base de cette hypothèse. J’ai également consulté mes amis, et un certain nombre d’entre eux ont estimé que je devais m’inscrire. »
Il est très rare que des hauts responsables et des personnalités politiques évoquent la mort de Khamenei, en dépit de son âge avancé.
Sans surprise, le discours de Rohani a suscité de vives critiques de la part des principalistes (conservateurs) : sur les réseaux sociaux, certains ont souhaité le voir mourir avant Khamenei.
« Il est important pour les réformistes et les modérés d’avoir une personne forte comme Rohani à l’assemblée pour au moins être au courant de ce qui s’y passe », indique l’ancien responsable conservateur à MEE.
« Le moment venu, nombre de ces religieux fondamentalistes pourraient changer d’avis en fonction de la situation et des conditions ; la présence de Rohani serait donc importante, car elle pourrait influencer leur vote. »
Mojtaba Khamenei, le fils
L’ayatollah Mohsen Araki, membre de l’Assemblée des experts, a récemment déclaré qu’il était pratiquement impossible pour l’assemblée d’élire un étranger au rang de guide suprême.
Ses remarques sont intéressantes, puisqu’il y a toujours eu des rumeurs et des bruits de couloir dans les cercles politiques concernant l’élection possible d’un étranger en tant que guide suprême ; le choix pourrait ainsi se porter sur le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah.
Un choix plus réaliste serait cependant le fils de Khamenei en personne, Mojtaba Khamenei, qui est très actif dans les coulisses de la politique iranienne et a toujours été mentionné comme le candidat final probable.
En parallèle, de nombreux observateurs occidentaux considèrent Raïssi comme un successeur probable de Khamenei, même si certains observateurs iraniens semblent estimer que les chances du président sont maigres.
Selon l’ancien responsable conservateur interrogé par MEE, il très peu probable que Raïssi fasse partie des candidats au rang de guide suprême, car « c’est quelqu’un de faible et un pion pour les autres hauts responsables du bureau de Khamenei ».
Personne ne connaît les candidats finaux à la plus haute fonction du pays, pas même eux, à l’exception de Khamenei.
Une commission de l’assemblée est chargée d’étudier et d’identifier des profils adéquats pour succéder au guide suprême.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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