Guerre à Gaza : comment les choix linguistiques des médias minimisent les souffrances des Palestiniens
L’utilisation des mots et les choix terminologiques sont importants lorsqu’il s’agit de rendre compte d’événements mondiaux, avec des mots porteurs de sens qui ont le pouvoir d’émouvoir ou de changer l’opinion, d’impliquer ou de suggérer des images, et parfois de minimiser l’ampleur de ce qui se passe.
C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des relations entre Israël et la Palestine, les militants et les défenseurs des droits de l’homme interpellant fréquemment les organes de presse pour leurs choix linguistiques et leur utilisation de la voix passive.
Depuis le début des dernières hostilités à Gaza, le 7 octobre, l’accent a été mis sur la terminologie utilisée par divers organes de presse, commentateurs et reporters dans leur couverture.
Abdulkader Assad, linguiste et journaliste vivant aux États-Unis, affirme que lorsqu’il s’agit de la couverture actuelle de l’agression d’Israël contre Gaza, la langue peut être manipulée pour fausser les significations et les opinions.
« La langue est l’outil le plus puissant en dehors du champ de bataille, les médias occidentaux le savent et l’utilisent bien à l’avantage d’Israël », commente-t-il à Middle East Eye.
L’expert linguistique affirme que le choix du vocabulaire a des effets à la fois psychologiques et émotionnels sur les lecteurs ou les auditeurs des nouvelles ou d’autres reportages, ce qui peut ensuite influencer leurs opinions.
« La façon dont les médias occidentaux “formulent” les gros titres et les premiers paragraphes de leur couverture médiatique de la guerre de l’occupation israélienne contre Gaza vise délibérément à influencer les opinions et à aider à consolider une perception de Gaza selon laquelle les “combattants” composent l’ensemble de sa population, et donc le bombardement et le meurtre sont alors justifiés », explique-t-il.
« Sectarisme linguistique »
La guerre contre Gaza a commencé après une attaque menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre, qui a entraîné la mort d’environ 1 200 personnes.
En réaction, l’armée israélienne a tué plus de 21 100 Palestiniens lors d’attaques, la plupart d’entre eux étant des enfants et des femmes. Ce faisant, des immeubles d’habitation, des lieux de culte et des écoles, ont été rasés par des frappes aériennes, tandis qu’Israël a également coupé tout approvisionnement en carburant, en eau, en nourriture et en électricité à destination de l’enclave assiégée depuis le 9 octobre.
Selon Abdulkader Assad, lorsqu’il s’agit de linguistique anglaise, la « formulation » fait référence à la façon dont certaines informations sont présentées afin d’avoir un impact sur la prise de décision.
Il donne l’exemple d’un article du Wall Street Journal publié le 20 décembre : « Le Hamas commence à planifier la fin de la guerre avec Israël », un titre qui a depuis été édité.
« Ce titre est formulé avec force par leWall Street Journal pour véhiculer l’idée que le Hamas est celui qui a déclenché la “guerre” contre Israël », explique-t-il.
Le linguiste ajoute que le titre est un exemple de « sectarisme linguistique ». « Il s’agit de convaincre les lecteurs que le Hamas a commencé la guerre avec Israël et qu’il a l’intention d’y mettre fin », souligne-t-il.
Ceci, dit-il, peut être problématique parce que cela présente Israël comme une victime passive de la guerre et ne traduit pas la réponse disproportionnée qui a eu lieu, laquelle dure maintenant depuis plus de deux mois.
Autre problème avec la couverture médiatique grand public : l’utilisation de la voix passive, selon les linguistes.
Euphémismes
Lara Gibson, écrivaine et linguiste basée en Égypte, affirme que cela déshumanise souvent les victimes palestiniennes.
« Dans les médias occidentaux, nous avons vu à plusieurs reprises des Palestiniens décrits à la voix passive, déshumanisant les victimes en leur enlevant leur autonomie. Dans le même temps, Israël est généralement décrit à la voix active, ce qui laisse entendre aux lecteurs occidentaux qu’ils peuvent se rallier à la cause israélienne et justifier leurs actions », indique-t-elle à MEE.
Abdulkader Assad abonde en son sens, précisant qu’en plus de déshumaniser la souffrance des Palestiniens, cela peut aussi minimiser les crimes israéliens.
« Les médias occidentaux utilisent délibérément des “euphémismes”, masquant la vérité des mots durs qui expriment les actes de crimes de guerre israéliens », avance-t-il.
« Lorsque les médias occidentaux utilisent la voix passive, ils ignorent intentionnellement le principe du “qui” a fait “quoi” à “qui”, lequel est nécessaire pour qu’une information soit complète. Ils utilisent la voix passive pour éluder la vérité et faire en sorte que les crimes de guerre israéliens paraissent douteux. »
Abdulkader Assad cite un exemple de Reuters, affirmant que l’agence de presse a « laissé les forces israéliennes s’en tirer à bon compte » dans sa couverture de l’assassinat du photojournaliste de l’agence de presse, Issam Abdullah, le 13 octobre.
Reuters titrait : « Issam Abdallah, vidéaste de Reuters, a été tué alors qu’il travaillait dans le sud du Liban. »
« De cette façon, les lecteurs ne savent pas qui a tué Issam, et bien sûr, cela sert à masquer le fait que les forces israéliennes ont tué le journaliste. Une fois que les lecteurs ont vu ce titre, ils ont “assimilé” le fait qu’un journaliste a été tué, mais sans graver dans leur esprit le criminel qui l’a fait », poursuit Assad.
Certains mots en particulier ont émergé au cours de la couverture actuelle et ont été largement considérés comme problématiques soit parce qu’ils suggèrent une équivalence entre l’armée israélienne et le Hamas, soit parce qu’ils utilisent un vocabulaire ambigu pour rejeter la responsabilité.
« Plusieurs grandes publications ont délibérément utilisé un vocabulaire vague pour décrire les attaques dévastatrices contre Gaza, mais le vocabulaire pour décrire les attaques contre Israël du 7 octobre était incroyablement clair et descriptif – soutenant implicitement la cause israélienne »
- Lara Gibson, linguiste
« Plusieurs grandes publications ont délibérément utilisé un vocabulaire vague pour décrire les attaques dévastatrices contre Gaza, mais, en revanche, le vocabulaire pour décrire les attaques contre Israël du 7 octobre était incroyablement clair et descriptif – soutenant implicitement la cause israélienne », assure Laura Gibson.
« Des termes comme “guerre” suggèrent une lutte d’égal à égal plutôt qu’un génocide alimenté par Israël », observe-t-elle.
La définition d’Oxford Languages de la guerre est « un état de conflit armé entre différents pays ou différents groupes à l’intérieur d’un pays ».
Selon un rapport d’Axios publié plus tôt cette année, Israël dispose d’un budget militaire annuel de plus de 20 milliards de dollars et d’un accès à certains des équipements militaires américains les plus avancés. Israël contrôle également le ciel et une grande partie de la mer autour de son territoire.
Israël prétend être à Gaza pour « éliminer le Hamas ». Cependant, les soldats ont utilisé des bombes non guidées, des frappes de drones et des bulldozers pour cibler des civils.
« Mourir » au lieu d’« être tué »
Pendant ce temps, la branche armée du Hamas, les brigades al-Qassam, s’appuie sur des stratégies de guérilla utilisant des roquettes, des tireurs embusqués et des explosifs artisanaux.
L’utilisation du terme « guerre » implique donc que les brigades al-Qassam et Israël détiennent un pouvoir similaire, et que Gaza est un pays au lieu d’une enclave assiégée, obscurcissant ainsi la nature de la violence qui se déroule, affirme Laura Gibson.
« Le terme “combattant du Hamas” a été utilisé comme une arme par Israël, qui utilise ce mot de manière abondante pour justifier le massacre de civils palestiniens », selon elle.
Certains organes de presse ont également choisi d’utiliser le terme « combattants de Gaza », ce qui risque de provoquer la confusion entre la population de l’enclave assiégée et ceux qui mènent les attaques, et crée une association négative avec les civils qui s’y trouvent.
Abdulkader Assad pense que cela peut aller jusqu’à l’euphémisme.
« Il s’agit d’un mot ou d’une phrase qui adoucit un sujet inconfortable. C’est l’utilisation d’un langage figuré pour faire référence à une situation sans avoir à l’affronter », explique-t-il.
Un exemple largement utilisé est d’utiliser le mot « mourir » au lieu d’« être tué », dit-il, à l’image de ce qui est apparu dans un titre de la BBC le 19 décembre.
Certains ont également souligné que des termes et des expressions inexacts ont également été utilisés au cours de la couverture actuelle.
L’un de ces exemples est de se référer au ministère palestinien de la Santé comme le « ministère de la Santé du Hamas » lorsqu’il cite divers rapports sur les victimes.
Le titre n’est pas exact, car le mouvement du Hamas n’est pas impliqué dans la documentation du ministère et le ministère travaille en étroite collaboration avec d’autres responsables qui supervisent les rapports basés dans la ville de Ramallah en Cisjordanie occupée, y compris la ministre de la Santé, le Dr Mai al-Kaila.
L’attribution au Hamas a même amené certaines personnes, dont le président américain Joe Biden, à remettre en question la validité et la fiabilité des chiffres publiés par le ministère.
Le Conseil des relations américano-islamiques a appelé Biden à s’excuser pour ses « commentaires choquants et déshumanisants » alors qu’il avait déclaré n’avoir aucune confiance en ces chiffres.
Le ministère de la Santé s’est également avéré fiable en ce qui concerne les documents qu’il a publiés, à la suite de doutes sur le nombre de personnes tuées après le bombardement par Israël de l’hôpital al-Ahli al-Arab, énumérant les noms complets et les informations relatives aux personnes tuées.
Les renseignements fournis dans le document donnaient des analyses qui comprenaient des renseignements permettant d’identifier chaque personne.
Le rapport contenait les noms de 7 028 personnes, ainsi que leur sexe, leur âge et leur numéro d’identification.
De nombreux experts considèrent que les chiffres fournis par le ministère palestinien sont fiables, compte tenu de son accès, de ses sources et de l’exactitude de ses déclarations passées.
Omar Shakir, directeur de la division Israël et Palestine à Human Rights Watch, a déclaré au Washington Post que les chiffres du ministère « s’avèrent généralement fiables ».
« À l’époque où nous avons fait notre propre vérification des chiffres pour certaines frappes, je ne suis pas au courant d’un moment où il y a eu une divergence majeure », a-t-il ajouté.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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