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Guerre à Gaza : une coalition grandissante s’oppose à la guerre sans fin de Netanyahou en Israël

En Israël, tant le Premier ministre que l’armée veulent poursuivre la guerre pour des considérations personnelles. Mais il se pourrait qu’un élément change la donne
Un char de l’armée israélienne circule dans le sud d’Israël, le long de la frontière avec la bande de Gaza, le 24 janvier 2024 (AFP)

Il est trop tôt pour déterminer si la perte de 21 soldats israéliens survenue la même journée dans le camp de réfugiés de Maghazi, dans le centre de Gaza, marquera un tournant dans la guerre.

Certes, la situation a déjà connu des précédents. On peut notamment citer la perte de 73 soldats lors de la collision de deux hélicoptères dans le nord de la Galilée en 1997. Ce fut le point de départ d’un mouvement de protestation qui a conduit au retrait des troupes israéliennes du Liban trois ans plus tard.

Néanmoins, la perte à Maghazi de soldats qui étaient pour la plupart des réservistes pourrait certainement accentuer la lassitude croissante de l’opinion publique israélienne, qui a de plus en plus de mal à comprendre la finalité de la guerre à Gaza.

Si une majorité continue de soutenir la guerre, elle ne croit pas aux affirmations de l’armée selon lesquelles 17 des 24 bataillons du Hamas se sont « effondrés », qu’un tiers des combattants du mouvement palestinien ont été tués et que l’armée israélienne contrôle 60 % du territoire de la bande de Gaza.

Les soldats de Magazi minaient des maisons pour les démolir dans une zone contrôlée par l’armée. Le concept de « contrôle » est devenu tout relatif, comme le prouvent de manière évidente les frappes éclair du Hamas.

On ne sait pas non plus ce que l’armée est en train de faire à Khan Younès, plus de six semaines après que le porte-parole de l’armée a déclaré que les forces armées y étaient entrées. Khan Younès n’est pas une si grande ville, et ce n’est certainement pas le Stalingrad de Gaza.

La guerre de Netanyahou

Deux coalitions concurrentes sont à l’œuvre en Israël, mais aucune n’a pour l’instant l’ascendant décisif.

La première coalition est dirigée par le Premier ministre Benyamin Netanyahou. Au fur et à mesure que le conflit s’éternise, il devient évident qu’il s’agit de sa guerre.

C’est sa guerre, car dès qu’il l’arrêtera, son gouvernement s’effondrera et Israël se retournera contre lui pour avoir baissé la garde le 7 octobre.

Si l’armée se retourne contre Netanyahou, il sera très difficile pour le Premier ministre de rester au pouvoir

C’est sa guerre parce qu’il a placé les enjeux très haut, en rappelant chaque jour que la mission de sa vie était d’empêcher la création d’un État palestinien et en affirmant qu’Israël devrait avoir une présence permanente à Gaza : un objectif qui n’a pas été approuvé par le cabinet de guerre, qui inclut d’anciens rivaux.

L’armée ne partage aucunement cet objectif et résiste au souhait de Netanyahou de réoccuper le corridor de Philadelphie qui longe la frontière de Gaza avec l’Égypte, sans lequel aucune présence militaire israélienne permanente à Gaza ne peut fonctionner.

L’objectif premier de l’armée est de restaurer son honneur perdu et de rétablir le principe de dissuasion sur lequel les forces armées reposent, à savoir que des frappes massives dissuadent le Hamas et le Hezbollah d’attaquer. L’armée et son idéologie reconnaissent qu’il n’y a pas de paix, mais prétendent que les ennemis d’Israël sont dissuadés.

De toute évidence, ce n’est pas ce qui s’est passé le 7 octobre, ni au cours des trois mois et demi qui ont suivi. Le Hamas n’est manifestement pas dissuadé de frapper Israël à sa guise, et ce en dépit d’une supériorité militaire écrasante, de la destruction totale de la bande de Gaza et d’une famine croissante.

Des familles d’otages et des sympathisants bloquent une route en scandant des slogans lors d’une manifestation à Tel Aviv, le 18 janvier (Alexandre Meneghini/Reuters)
Des familles d’otages et des sympathisants bloquent une route en scandant des slogans lors d’une manifestation à Tel Aviv, le 18 janvier (Alexandre Meneghini/Reuters)

Le haut commandement de l’armée n’est pas satisfait de la ligne politique de Netanyahou. L’armée ne s’empresse pas d’exécuter son ordre de prendre le contrôle de la frontière égyptienne autour de Rafah, et elle a retiré une partie de ses forces de la partie nord de la bande de Gaza.

L’armée n’a pas de position tranchée face à la création d’un État palestinien ou la prise en charge de Gaza par l’Autorité palestinienne après la guerre, comme c’est le cas de Benyamin Netanyahou. Mais elle veut clairement poursuivre la campagne militaire, car elle détesterait se retrouver dans une situation où la guerre s’achève sans victoire claire.

Si l’armée se retourne contre Netanyahou, il sera très difficile pour le Premier ministre de rester au pouvoir. Mais ce moment n’est pas encore arrivé.

Si ni Benyamin Netanyahou ni l’armée n’ont réussi à atteindre leurs objectifs de guerre initiaux, l’armée et le Premier ministre en difficulté ont tous deux adopté le concept de la guerre sans fin.

Cette coalition est fragile, et les deux parties de ce partenariat rencontrent des difficultés.

Netanyahou est confronté à une grève de la faim à sa porte, à des manifestations de dizaines de milliers de personnes à Tel Aviv l’appelant à démissionner, et à la protestation croissante des familles des 132 otages restants, qui ont fait irruption lundi 22 janvier à la Knesset, le Parlement israélien.

Cette semaine, neuf pétitionnaires, parmi lesquels les anciens chefs militaires israéliens Moshe Ya’alon et Dan Haloutz, ont par ailleurs déposé un recours auprès de la Cour suprême israélienne appelant à déclarer le Premier ministre inapte à ses fonctions.

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La pétition soutient que Netanyahou, qui fait face à des accusations criminelles alors qu’il occupe le poste de Premier ministre, se trouve dans un conflit d’intérêts évident, a rapporté ce jeudi le quotidien israélien Haaretz.

Les pétitionnaires citent les événements antérieurs et postérieurs au 7 octobre, affirmant que les actions de Netanyahou sont motivées par des intérêts personnels plutôt que par ceux du pays, de la population ou du bien-être des otages et de leurs familles.

Ils affirment en outre que l’état de santé de Netanyahou se détériorerait, ce qui justifierait son renvoi.

L’armée, quant à elle, est confrontée à ce qu’un éminent spécialiste des relations entre l’armée et la société israélienne, le professeur Yagil Levy, appelle une « rébellion des cols bleus ».

D’après ce dernier, les militaires du rang en opération à Gaza font preuve d’un niveau de défiance sans précédent. Les soldats se prennent en photo avec des détenus palestiniens au mépris des valeurs de l’armée. Ils se prennent en photo dans les mosquées, parlent de vengeance, de reprise de l’occupation : autant de messages qui contredisent les codes fondamentaux de l’armée.

On soupçonne également que certaines composantes de l’armée étaient réticentes à se retirer de Gaza et que l’armée a déclaré que l’ordre avait été retardé « pour des raisons techniques » afin de dissimuler cette réticence.

Remise en question croissante

D’autre part, une coalition d’intérêts penche en faveur d’une issue politique à la guerre.

Benny Gantz et Gadi Eizenkot, opposants politiques de Benyamin Netanyahou qui ont intégré le cabinet de guerre à la suite de l’attaque du 7 octobre, ne soutiennent en aucun cas le retour de l’Autorité palestinienne à Gaza ou une solution politique qui créerait un État palestinien. Mais ils ne se sont pas non plus prononcés contre.

Ils semblent réceptifs à l’impulsion américaine en faveur d’une solution à deux États et à l’initiative saoudienne, qui subordonne la reconnaissance d’Israël à la création d’un État palestinien.

Lors d’une réunion tenue au 100e jour de la guerre, Gadi Eisenkot a déclaré : « Nous devons cesser de nous mentir à nous-mêmes, faire preuve de courage et aboutir à un accord important qui ramènera les personnes qui ont été enlevées ».

La fin de la guerre pourrait entraîner un changement radical sur la scène politique israélienne et la droite, bien consciente de l’enjeu, fera tout ce qui est en son pouvoir pour l’empêcher

« Nous avançons tels des aveugles », a-t-il ajouté.

Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, lui a emboîté le pas en déclarant ouvertement que « l’absence de décision politique pourrait nuire à la progression de l’opération militaire ». La chaîne télévisée israélienne Channel 13 a rapporté que même le chef d’état-major Herzi Halevi avait affirmé qu’en l’absence d’une stratégie pour le « jour d’après », « [ils étaient] confrontés à une érosion des résultats obtenus jusqu’à présent dans la guerre ».

Les remises en question n’ont pas seulement lieu au sein du cabinet de guerre. Au sein de la société israélienne, les pressions s’accentuent. Tous prédisent que l’économie sera désastreuse cette année, avec des déficits qui explosent et des licenciements massifs.

Les réservistes de l’armée, à qui Yoav Gallant a conseillé de ne pas prévoir de vacances cet été, jouent un rôle important dans cette remise en question. Les cas d’objection de conscience, comme cela s’est produit lors de la première Intifada, sont rares, et si un réserviste refuse l’appel, il peut être condamné à une peine de prison allant jusqu’à un mois.

Le plus souvent, les personnes qui refusent de répondre à l’appel font valoir des raisons personnelles, telles que la garde d’enfants, le risque de faillite pour leur entreprise ou encore un examen universitaire à passer, et elles ne sont généralement pas sanctionnées pour ces raisons. Le refus reste une affaire privée. Néanmoins, le refus de mener une guerre sans fin ne pourra que se répandre.

La population du sud d’Israël est également réticente à retourner dans ses habitations et ses kibboutzim alors que la guerre continue de faire rage de l’autre côté de la frontière. Les deux camps peuvent y trouver leur compte. Cette situation pourrait facilement être utilisée pour justifier la poursuite de la guerre jusqu’à la fin.

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L’armée leur dit qu’ils peuvent rentrer chez eux, mais la plupart refusent. Ils sont loin d’être contre la guerre, mais ils ne veulent pas d’une guerre d’usure. Ils veulent une défaite décisive du Hamas. Lancer une bombe atomique sur Gaza ou le retour de l’Autorité palestinienne, cela revient au même pour eux.

Dans le nord, la menace des roquettes du Hezbollah est importante, en particulier après l’utilisation par le groupe libanais de missiles antichars à longue portée, contre lesquels le système de défense antimissile israélien Dôme de fer ne vaut rien. Quelque 200 000 Israéliens ont été déplacés après l’attaque du Hamas. La majorité d’entre eux ne retourneront pas chez eux dans un futur proche.

La plupart de ces éléments font pression en faveur d’un accord politique pour mettre fin à la guerre. Mais le vrai problème en Israël tient au fait qu’aucun groupe de pression n’est suffisamment puissant pour mettre fin à la guerre par un règlement politique.

Face à eux, Netanyahou et l’extrême droite de son gouvernement, pour qui les enjeux sont très importants. La fin de la guerre pourrait entraîner un changement radical sur la scène politique israélienne et la droite, bien consciente de l’enjeu, fera tout ce qui est en son pouvoir pour l’empêcher.

Jusqu’à présent, aucune des deux coalitions - la coalition de la guerre sans fin et la coalition qui pourrait concevoir une fin négociée de la guerre – n’a pris l’ascendant. Il suffit d’un tout petit changement pour faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza et actualisé.

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