Laurent Joly : « Éric Zemmour falsifie sans arrêt l’histoire à des fins politiques »
Éric Zemmour, candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle en France, est un passionné d’Histoire. Il fait référence à l’Histoire de France dans tous ses discours, dans toutes ces interviews. Il assure vouloir raconter aux Français « un roman national ».
En décembre dernier, interrogé sur la radio publique France Inter, le polémiste assurait : « Les manuels scolaires sont un tissu de propagande anti-français. Oui je vais aimer la France pour son Histoire. »
Parmi les nombreuses prises de position polémiques d’Éric Zemmour, ses propos sur le régime de Vichy dirigé par le maréchal Pétain (1940-1944) qui a collaboré avec l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Le candidat d’extrême droite affirme que ce régime à « protégé les juifs français et donné les juifs étrangers », alors que les historiens expliquent exactement le contraire.
Dans les derniers sondages, Éric Zemmour est crédité de 13 % des voix au premier tour de la présidentielle le 10 avril prochain.
Laurent Joly, historien, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’extrême droite et de l’antisémitisme durant le régime de Vichy, déconstruit, dans son livre La Falsification de l’Histoire : Éric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs (éditions Grasset), le discours politique du polémiste devenu candidat sur les faits historiques.
Middle East Eye : Pourquoi est-il si important pour Éric Zemmour de faire croire que Pétain a sauvé les juifs français ? Quel est le danger de cette falsification pour la démocratie française ?
Laurent Joly : D’évidence, Éric Zemmour ne prend pas la mesure historique de ce qui s’est passé en France en 1942. Le 7 février dernier, sur France Inter, il a réitéré ses propos mensongers, en total décalage avec le réel historique, au sujet de la rafle du Vél’d’Hiv [12 884 juifs sont arrêtés par la police à Paris et envoyés au camp d’extermination d’Auschwitz à l’initiative des autorités nazies] : un « troc sinistre entre les juifs français et les juifs étrangers ».
Or il ne s’agit pas de cela en 1942, mais d’une politique criminelle dont Vichy s’est rendu complice par sa volonté de collaborer et celle de se débarrasser du maximum de juifs étrangers.
Zemmour nous annonce aussi que, élu, il « célébrerait normalement la rafle du Vél’d’Hiv ». La formule est ahurissante : qu’est-ce qu’une « célébration normale » de la rafle du Vél’d’Hiv ?
Et la perspective est inquiétante : autrement dit, le président Zemmour ne se contenterait pas d’imiter le président Sarkozy en 2007, c’est-à-dire de se taire, mais nous infligerait sa vision mensongère de l’Histoire… Dans son logiciel intellectuel, il est convaincu que reconnaître les crimes du passé, c’est s’affaiblir !
MEE : Selon Serge Klarsfeld, écrivain, historien et avocat de la cause des déportés en France, Zemmour parle des musulmans comme on parlait des juifs à l’époque de Vichy. Partagez-vous cette analyse ?
LJ : Serge Klarsfeld a raison de rappeler que les politiques criminelles d’État contre des minorités ethniques ou religieuses ont toujours été précédées de campagnes verbales, symboliques, violentes. Éric Zemmour porte incontestablement un discours violent contre les musulmans et les étrangers.
Éric Zemmour porte incontestablement un discours violent contre les musulmans et les étrangers
Cela ne veut pas dire qu’il va créer des camps de concentration, cela va de soi. Mais il est prêt à mettre à bas des pans entiers de notre État de droit et à créer une situation qui, s’il arrivait au pouvoir, serait ingérable, proche de la guerre civile. La haine des uns contre les autres serait portée au plus haut sommet de l’État.
La nouveauté, avec Zemmour, est que l’on a affaire à un doctrinaire, extrêmement rigide sur ses principes et fermé à toute empathie.
MEE : Vous affirmez dans la conclusion de La Falsification de l’Histoire qu’Éric Zemmour est le « symptôme d’une paresse intellectuelle qui pousse parfois journalistes et politiques à céder à la facilité voire au masochisme ». Pouvez-vous donner des exemples ?
LJ : J’en donne dans mon livre. Il suffit d’allumer la télé. Il est fréquent d’entendre que c’est Vichy qui a impulsé une politique antisémite en France occupée, qu’il a imposé l’« étoile jaune », etc. On en oublie parfois l’occupant, on accuse l’État français de crimes qui sont ceux des nazis.
Zemmour est prêt à mettre à bas des pans entiers de notre État de droit et à créer une situation qui, s’il arrivait au pouvoir, serait ingérable, proche de la guerre civile. La haine des uns contre les autres serait portée au plus haut sommet de l’État
Les discours présidentiels de [François Hollande en] 2012 et [Emmanuel Macron en] 2017 sur la rafle du Vél’d’Hiv étaient à cet égard assez critiquables. Tout cela sert Zemmour, c’est évident : le polémiste se nourrit de l’ignorance et du confusionnisme ambiant.
MEE : De plus en plus de personnalités politiques quittent les partis de la droite dite « classique » pour rejoindre Éric Zemmour. Est-ce que cela signifie que ces politiques français sont tentés par l’extrême droite ?
LJ : Que des gens placés à l’aile droite de la droite classique rallient l’extrême droite, cela ne date pas d’hier. Marine Le Pen a récupéré ainsi plusieurs de ses cadres. Il y a toujours eu des gens qui naviguent entre la droite classique et l’extrême droite.
MEE : Parmi les obsessions d’Éric Zemmour, figurent aussi les juges et leur pouvoir. Il dit vouloir leur reprendre ce pouvoir. Cela vous inquiète-t-il également ?
LJ : Je crois que [ce qu’il veut] est assez clair : pouvoir, par des mesures administratives, discrétionnaires, interner des populations indésirables et, le cas échéant, les refouler vers leurs pays d’origine.
Zemmour veut aussi supprimer toutes les lois qui empêchent les idées racistes de se déployer librement dans l’espace public.
MEE : C’est aussi pour défendre l’Histoire de France qu’Éric Zemmour répète depuis de nombreuses années qu’il faut « obliger les parents à donner des prénoms français à leur enfant ». Pourquoi s’attarder ainsi sur les prénoms ?
LJ : Pourquoi ? Mais c’est tout Éric Zemmour : il falsifie sans arrêt l’histoire à des fins politiques. Si vous lui expliquez la réalité historique – jamais un musulman devenu français n’a été empêché de donner un prénom coranique à son fils ou à sa fille –, il vous dira que c’est faux. Sa capacité à nier le réel historique est sans limite.
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