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Hayat Tahrir al-Cham retient des femmes sorties clandestinement du camp d’al-Hol

Pour pouvoir partir, les femmes doivent accepter des mariages approuvés par le groupe de combattants ou risquer d’être amenées clandestinement en Turquie, selon les informations recueillies par MEE
Des femmes attendent de recevoir l’aide humanitaire dans le camp d’al-Hol, le 18 août 2021 (AFP/Delil Souleiman)
Des femmes attendent de recevoir l’aide humanitaire dans le camp d’al-Hol, le 18 août 2021 (AFP/Delil Souleiman)

Des épouses étrangères de combattants présumés du groupe État islamique (EI) et leurs enfants sont sorties clandestinement du camp d’al-Hol, dans l’est de la Syrie, amenées à Idleb et retenues dans un autre camp sous le contrôle de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), a appris Middle East Eye.

Pour partir, les femmes doivent accepter des mariages approuvés par HTC ou risquer d’être amenées clandestinement de l’autre côté de la frontière syro-turque, assurent à MEE des sources proches du camp.

Une quarantaine de femmes et leurs enfants vivent actuellement dans le camp d’al-Jumailya, dans l’ouest du gouvernorat d’Idleb, près de la frontière avec la Turquie.

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La plupart de ces femmes sont des étrangères, précisent les sources de MEE. Parmi elles : de nombreuses ressortissantes russes venant des républiques méridionales de Tchétchénie et du Daghestan, pays à majorité musulmane. Certaines Syriennes vivent dans un secteur séparé du camp.

Certaines de ces femmes se sont échappées du camp d’al-Hol et ont rejoint Idleb par le biais de réseaux de trafic d’êtres humains. Al-Hol est dirigé par les Kurdes et situé près de la frontière syro-irakienne à plus de 400 kilomètres de là. Les conditions de vie dans ce camp ont été dénoncées par les organisations de défense des droits de l’homme.

D’autres femmes se sont rendues à Idleb depuis d’autres régions syriennes, de leur propre gré, mais ont ensuite été arrêtées par les forces de sécurité de HTC en raison de leurs liens présumés avec l’EI.

HTC, qui contrôle la majeure partie d’Idleb, est un groupe de combattants dominé par une ancienne filiale d’al-Qaïda en Syrie qui s’est séparé de l’EI et l’a combattu auparavant pendant la guerre civile. HTC redoute l’infiltration et les attaques de l’EI à Idleb depuis la défaite militaire du groupe dans l’est du pays.

Un Britannique qui se présente comme un « humanitaire »

L’une des sources de MEE, qui a passé du temps dans le camp, admet que certains nouveaux arrivants considéraient les conditions d’al-Jumailya comme un « paradis », comparé à al-Hol. Mais elle ajoute : « Une fois que vous êtes là, vous ne pouvez pas partir. Ce n’est pas la liberté. Vous n’avez aucune liberté là-bas. »

Selon les informations recueillies par MEE en 2019, le camp d’al-Jumailya est contrôlé par un Britannique, Mohammed Shakiel Shabir, originaire de Birmingham et déchu de sa nationalité britannique en raison de ses liens présumés avec un groupe aligné sur al-Qaïda.

Mohammed Shakiel affirme à MEE que HTC lui a ordonné de lui céder le camp (Facebook)
Mohammed Shakiel affirme à MEE que HTC lui a ordonné de lui céder le camp (Facebook)

L’homme a toujours nié toute allégeance à HTC ou à tout autre groupe. Il se présente comme un « humanitaire » dont le travail depuis de nombreuses années « parle de lui-même ». 

Mohammed Shakiel Shabir confirme avoir construit le camp et participé à sa gestion. Mais il explique avoir reçu l’ordre de HTC de lui céder le camp en raison de problèmes de sécurité.

« Ce n’est même pas un camp. Ce sont des maisons que j’ai construites et entièrement meublées. Il y a de l’électricité gratuite, internet gratuit, de l’eau gratuite », détaille-t-il.

« Elles ne sont pas dans une prison et peuvent partir quand elles en ont envie, mais elles doivent en informer le responsable du camp. Telles étaient les règles il y a environ six mois. J’ai quitté le camp et je l’ai remis aux mains de HTC. »

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Répondant aux questions posées à MEE via une application de messagerie, il certifie avoir cédé le camp après un « ordre direct du département de la sécurité de HTC pour [sa] sécurité contre les attaques du groupe al-Dawla [al-Dawla al-Islamiya fi Iraq wa ash-Sham – ce qui signifie État islamique en Irak et au Levant] et aussi pour maintenir la sécurité des sœurs dans le camp ».

« Ils disposent de suffisamment de preuves montrant que certaines sœurs à l’intérieur du camp coopéraient avec des cellules [de l’EI] afin de blesser des gens, ici, dans les zones contrôlées par HTC », rapporte-t-il.

« Je suis un humanitaire et je n’ai pas le pouvoir de maintenir et de mettre en œuvre de telles procédures de sécurité, il est donc logique que je sois conseillé par le conseil de sécurité de HTC et que je leur cède le camp. »

Plusieurs sources indiquent à MEE que HTC est connecté aux réseaux de passeurs qui amènent des femmes d’al-Hol à Idleb via Afrin dans un territoire contrôlé par les rebelles syriens soutenus par la Turquie.

Des « classes de déradicalisation »

Une source commente : « Elles sont désespérées. Certaines d’entre elles sont détenues par les FDS [Forces démocratiques syriennes] depuis des années dans de très mauvaises conditions et elles veulent juste sortir. Ce qui est drôle, c’est qu’ils ne prennent que les jolies. Celles que les gens aimeraient épouser. »

Mohammed Shakiel Shabir nie toute implication dans le trafic de femmes d’al-Hol.

« Cela n’a rien à voir avec moi ou le groupe HTC. Ces femmes sont en contact direct avec les passeurs et ont des gens qui paient de grosses sommes d’argent pour acheter leur liberté. »

« Ce qui est drôle, c’est qu’ils ne prennent que les jolies. Celles que les gens aimeraient épouser »

- Une source proche des camps

Al-Jumailya est l’un des nombreux camps accueillant des Syriens déplacés et des ressortissants étrangers dans le paysage accidenté et les terres agricoles autour du réservoir voisin de Doueisat, à l’ouest de la ville de Darkouch.

Certains des camps de la région sont associés au Parti islamique du Turkestan (TIP), un groupe de combattants ouïghours indépendant basé dans la ville de Jisr al-Choghour, dans l’ouest de la province d’Idleb.

Des sources connaissant le camp d’al-Jumailya le décrivent comme entouré d’un haut mur et accessible par une porte principale. Ses habitants vivent dans de petites maisons aux murs bleus, comprenant quatre pièces dont une cuisine, une salle de bain, une chambre et un salon.

Chaque maison dispose d’un réservoir d’eau et d’un panneau solaire sur le toit. Selon les sources de MEE, les bâtiments sont propres et en bon état. Un bâtiment plus grand est utilisé comme salle de classe pour les enfants.

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Les femmes venant de zones tenues par l’EI doivent assister à des cours « afin d’apprendre les bonnes choses », précise une source. Une autre source décrit les leçons comme des « classes de déradicalisation ».

Les femmes reçoivent régulièrement des colis de nourriture. Selon les informations recueillies par MEE, ils sont constitués de dons de pays occidentaux, notamment des lentilles, du riz, de l’huile, des haricots rouges et parfois des bonbons.

Des sources précisent que le camp n’est pas gardé. Il se trouve à l’écart de toute ferme ou village. Les résidentes sont parfois accompagnées à Darkouch pour faire des emplettes mais on s’attend à ce qu’elles reviennent.

Dans certains cas, selon nos sources, des femmes qui ont pu s’échapper ont été poursuivies par les forces de sécurité de HTC et emprisonnées ou renvoyées à al-Jumailya.

Des sources contactées par MEE affirment que Mohammed Shakiel Shabir est responsable de la supervision des femmes étrangères retenues dans le camp. « Il y distribue de l’aide. Il y amène des gens. Il veille à ce que les gens y restent », témoigne une femme.

Mais le concerné estime que les affirmations selon lesquelles les résidentes sont emprisonnées ou font l’objet de menaces ou de coercition sont des « mensonges ».

« Ce sont des femmes traumatisées »

Les femmes du camp sont poussées à épouser des hommes approuvés par HTC pour prouver qu’elles ne soutiennent pas l’EI et ne constituent pas une menace potentielle, assurent plusieurs sources.

La plupart des femmes qui se sont rendues en Syrie et qui ont vécu sous l’EI auraient été « traumatisées » par cette expérience et ne voudraient plus rien avoir à faire avec le groupe.

« Elles sont nombreuses à [avoir rejoint l’EI] sans savoir comment les choses allaient se terminer pour elles. On leur a vendu un mensonge, en fin de compte », affirme une source.

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« Ce sont des femmes traumatisées. Elles ne s’intéressent à rien d’autre qu’à s’occuper de leurs enfants. Certaines d’entre elles ont vu leurs enfants mourir. Tout ce qu’elles veulent, c’est rester anonymes et vivre une vie normale loin de ce qu’elles ont fui. »

D’après Mohammed Shakiel Shabir, HTC demande aux femmes de fournir des détails sur les hommes qu’elles veulent épouser uniquement « pour leur sécurité ».

« Si elles choisissent de se marier, elles le font devant un tribunal islamique et le juge prend la responsabilité de s’assurer que les femmes obtiennent l’intégralité de leurs droits », affirme-t-il.

« En raison de leur implication [au sein de l’EI], elles sont uniquement autorisées à vivre dans ce complexe de logements, étant donné que par le passé, de nombreuses femmes ont participé à des bombardements et à des massacres contre un grand nombre de membres de HTC et de civils dans les zones contrôlées par HTC. »

Dans certains cas, selon les sources de MEE, les femmes vivant dans le camp sont déjà mariées. Certaines ont pu contacter leur mari détenu dans une prison kurde par l’intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge. D’autres ne savent pas où se trouve leur mari, ni même s’il est mort ou vivant.

« Il y a quelque chose dans l’islam que l’on appelle le khol, qui permet à la femme de demander le divorce. Et il [Mohammed Shakiel Shabir] fait pression sur ces femmes pour les pousser à recourir au khol. Il leur dit qu’elles ne verront plus jamais leur mari et qu’elles peuvent donc tout simplement divorcer », indique une femme passée par le camp.

Mohammed Shakiel Shabir dément toute pression exercée sur d’autres personnes pour les pousser à se marier.

« La majorité des sœurs dans le camp me respectent beaucoup parce que je les respecte aussi », se défend-il. « Mais quelques-unes sont encore fidèles à l’EI et font tout leur possible pour répandre des mensonges à mon sujet et sur le groupe HTC. »

Certaines femmes retenues dans le camp auraient épousé des hommes sans l’approbation de HTC après leur arrivée à Idleb. Nos sources précisent que les maris ont ensuite été arrêtés et emprisonnés par les forces de sécurité de HTC et accusés d’être liés à l’EI.

Remises à des passeurs locaux

Les sources interrogées par MEE ont établi un lien entre la détention des femmes et de leurs maris et une opération de répression à plus grande échelle menée par HTC contre les groupes de combattants rivaux et les ressortissants étrangers installés dans les territoires sous leur contrôle.

« Les forces de sécurité font désormais le tour de la ville d’Idleb en demandant aux femmes [étrangères] qui est leur mari. Si elles n’ont pas de mari, ils leur disent de partir », précise une source. « Et si elles ne le font pas, ils les emmènent en prison et après la prison, elles sont envoyées à al-Jumailya. » 

Selon certains de nos interlocuteurs, les femmes qui refusent d’épouser un homme approuvé par HTC disposent d’une alternative : être remises à des passeurs locaux pour être emmenées en Turquie.

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Mais de nombreuses femmes craignent d’être envoyées en Turquie en raison des dangers mortels associés aux routes de l’immigration clandestine, notamment le risque d’être victimes de tirs des gardes-frontières turcs, de vols et d’abus.

Plusieurs sources indiquent que des femmes et leurs enfants ont été transportés depuis Darkouch dans de petites embarcations le long de l’Oronte, un fleuve qui longe la frontière turco-syrienne, avant de devoir marcher pendant des heures à travers des champs et des terrains accidentés.

Les personnes qui parviennent à passer sont souvent arrêtées par les patrouilles frontalières turques et renvoyées en Syrie. Si elles sont placées en détention, elles font l’objet d’une enquête et risquent d’être emprisonnées ou rapatriées dans leur pays d’origine.

« Personne n’a le droit de partir. Le seul moyen de sortir du camp est d’aller en Turquie. Ils s’en occupent pour elles. Ou alors elles partent et se marient », indique une source.

D’après une autre femme connaissant bien le camp, qui souhaite également s’exprimer sous couvert d’anonymat, « beaucoup de personnes ne veulent pas se retrouver en Turquie car elles ne savent pas quelles seront les conséquences pour elles. C’est une menace qui est utilisée contre elles. »

Mohammed Shakiel Shabir affirme que les femmes et les enfants ne sont pas amenés clandestinement en Turquie contre leur gré.

« Personne n’a le droit de partir. Le seul moyen de sortir du camp est d’aller en Turquie. Ils s’en occupent pour elles. Ou alors elles partent et se marient »

- Une source proche des femmes

« Beaucoup de ces femmes veulent aller en Turquie parce qu’elles veulent vivre une vie normale ; elles sont conscientes des risques et des dangers encourus et elles sont prêtes à prendre ces risques, soutient-il. Elles se remettent de leur plein gré aux autorités turques aux frontières. »

Mohammed Shakiel Shabir participe depuis 2015 aux activités humanitaires dans la partie de Syrie contrôlée par l’opposition. D’après ses propres publications sur les réseaux sociaux et des sources ayant connaissance de son travail, sa mission à Idleb consiste à coordonner les dons, conduire des ambulances et soutenir les opérations de secours après des frappes aériennes.

Des personnes qui ont suivi son travail le décrivent comme un « travailleur acharné » qui « fait beaucoup de bien ». En 2019, il s’est présenté à MEE comme un « humanitaire à plein temps » dans des pays comme Haïti, le Pakistan et le Myanmar depuis plus de quinze ans.

« Protéger la région contre les cellules dormantes »

Mais selon des sources, il s’est rapproché de HTC en 2019 après que les forces de sécurité du groupe l’ont sauvé d’une bande criminelle qui le retenait en otage depuis deux mois.

« Je n’ai aucun lien d’allégeance avec HTC », affirme-t-il. « Je respecte leur travail et comme ils sont le groupe dirigeant, je dois respecter leur autorité. »

MEE comprend que de nombreux ressortissants étrangers établis à Idleb sont poussés à entretenir des liens avec HTC pour leur propre sécurité.

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D’après un dirigeant de HTC, aucune femme du camp d’al-Jumailya n’est maltraitée ou menacée, mais le groupe « est en droit de les surveiller », notamment de recueillir des informations sur les propositions de mariage qu’elles reçoivent, pour des raisons de sécurité.

« Ce sont des musulmanes qui sont venues en Syrie et qui ont été victimes de l’EI  avant de devenir les victimes des FDS et d’être emprisonnées dans des conditions difficiles et exposées à des violations. Il est de notre devoir de les aider à un moment où les pays d’où elles viennent refusent de les reprendre », explique-t-il.

« N’importe qui, que ce soit avec HTC ou d’autres groupes, peut communiquer avec les femmes qui s’y trouvent et les faire passer clandestinement dans la zone. Il n’y a pas de camp privé […] et nous ne forçons pas les femmes à faire quoi que ce soit, nous ne les menaçons pas. »

Le responsable établit également un lien entre les restrictions imposées aux femmes du camp et la menace représentée par l’EI.

« Nous voulons nous protéger et protéger la région contre les cellules dormantes, les attaques inconnues et les assassinats », affirme-t-il.

« Nous avons le droit de savoir comment, avec qui et pourquoi elles sont venues. Par conséquent, toutes les femmes venant de l’est de la Syrie, quelle que soit leur nationalité, doivent nous donner toutes les informations qui les concernent, y compris où elles vont vivre, qui elles vont épouser, pourquoi et comment elles ont connu l’homme en question. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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