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Pourquoi les boycotts contre la Russie devraient relancer le mouvement palestinien BDS

L’heure est venue de dénoncer le deux poids deux mesures occidental qui délégitime le BDS contre Israël tout en le justifiant en soutien à l’Ukraine
Une manifestante à Tokyo, au Japon, dénonce la guerre de la Russie en Ukraine, le 5 mars 2022 (AFP)

Le mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) bat son plein aux États-Unis. L’administration Biden le met en œuvre, alors que les membres républicains du Congrès demandent des sanctions encore plus sévères.

La plupart des Américains approuvent cette politique et sont désireux de faire leur part en boycottant individuellement les produits et en recherchant des alternatives.

Ce n’est pas une idée saugrenue : c’est la réalité depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février.

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La réponse occidentale a été rapide : l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont imposé des sanctions radicales à la Russie, ciblant le président Vladimir Poutine et ses acolytes, ainsi que les plus grandes institutions financières et entreprises technologiques de Russie.

Pour assécher les sources de revenus susceptibles de financer la guerre, les États-Unis ont également interdit l’importation de pétrole et d’énergie russes.

Pour paralyser davantage son économie, Washington a suivi avec des sanctions contre le secteur lucratif de la cryptomonnaie en Russie. Et juste pour être sûr, les banques et les commerçants internationaux « se sanctionnent eux-mêmes », se détournant des produits russes qui ne sont pas actuellement interdits, mais qui pourraient bientôt l’être.

Vodka, fruits de mer ou bijoux

Au niveau individuel, de nombreux Américains boycottent les produits russes, tels que la vodka, les fruits de mer ou les bijoux.

La chaîne de magasins d’alcool Total Wine and More, avec 229 magasins dans 27 États, a annoncé sur les réseaux sociaux qu’elle retirait tout l’alcool russe de ses rayons. Les clients ont salué la volonté de l’entreprise d’encaisser un coup financier pour témoigner sa solidarité et ont proposé des alternatives, telles que l’achat de marques ukrainiennes à la place.

D’autres se sont renseignés avec diligence sur les entreprises appartenant à des Russes, mais pas nécessairement basées là-bas.

L’appel palestinien au BDS ne préconise pas un boycott général des entreprises appartenant à des juifs, mais plutôt une élaboration minutieuse des raisons pour lesquelles certaines entreprises sont sujettes au boycott

Pour tous ceux qui connaissent la campagne BDS contre Israël, ces enquêtes semblent familières, nous rappelant les lignes directrices établies par le mouvement BDS palestinien.

Le houmous de la marque Sabra, par exemple, figure sur la liste du BDS palestinien. Elle a été fondée à New York mais est actuellement codétenue par Strauss Group, une société israélienne qui s’est vantée de son soutien aux soldats israéliens.

Malgré des accusations infondées d’antisémitisme, l’appel palestinien au BDS ne préconise pas un boycott général des entreprises appartenant à des juifs, mais plutôt une élaboration minutieuse des raisons pour lesquelles certaines entreprises sont sujettes au boycott, tandis que d’autres sont conformes au BDS, quelle que soit l’identité de leurs propriétaires.

Les arguments de ceux qui soutiennent le boycott de la Russie font écho à ceux exprimés par les personnes qui soutiennent les droits des Palestiniens.

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Sur TheStreet, un site d’analyse commerciale, le journaliste Eric Reed écrit : « En de tels moments, quand une puissance étrangère organise le premier accaparement de terres européen en près de 80 ans, nous voulons faire entendre notre voix. Beaucoup d’Américains s’opposent à l’invasion de la Crimée par la Russie, mais ne savent pas quoi faire à ce sujet. Heureusement, comme le gouvernement américain, nous pouvons toujours nous rabattre sur des sanctions.

« Pour les gens qui veulent toucher le monde à travers leur portefeuille, ils peuvent essayer de boycotter les produits russes, un moyen simple d’envoyer un message à l’étranger. Bien que les hommes forts caricaturaux ne se soucient pas beaucoup des boycotts locaux, en réalité, couper de l’argent aux entreprises d’État et pointer les 44 % de Russes qui pensent que la Russie mérite un empire pourrait faire une différence. »

Demander des comptes à Israël

La remarque selon laquelle il s’agit du premier accaparement des terres en Europe en près de 80 ans met en évidence les hypothèses problématiques derrière l’empressement de l’Occident à se tenir aux côtés de l’Ukraine, alors que d’autres pays, non européens, ont été ravagés par l’impérialisme et les « accaparements de terres » sans même un signe symbolique de reconnaissance.

En effet, alors que les pays occidentaux se sont immédiatement ralliés pour soutenir le peuple ukrainien, les Palestiniens et nos alliés ont souligné le deux poids, deux mesures en jeu qui dénonce la Russie, mais pas Israël, dont le traitement du peuple palestinien est aussi flagrant que la guerre de la Russie contre son voisin.

Au-delà de l’hypocrisie et du racisme des pays européens et nord-américains qui ont ouvert les bras aux réfugiés ukrainiens, tout en expulsant des demandeurs d’asile à la peau brune et noire, les circonstances actuelles offrent l’occasion de relancer la discussion autour de l’appel palestinien au BDS

Au-delà de l’hypocrisie et du racisme des pays européens et nord-américains qui ont ouvert les bras aux réfugiés ukrainiens, tout en expulsant des demandeurs d’asile à la peau brune et noire, les circonstances actuelles offrent l’occasion de relancer la discussion autour de l’appel palestinien au BDS, qui semble être au point mort.

L’empressement du public occidental à faire une déclaration politique avec son portefeuille devrait être saisi, alors qu’on renouvelle le débat sur Israël.

Tout comme 44 % des Russes « pensent que la Russie mérite un empire », plus de la moitié des Israéliens juifs soutiennent l’annexion des colonies illégales de Cisjordanie occupée – et beaucoup d’Américains s’y opposent. Pourquoi ne pouvons-nous pas aussi « toucher le monde » avec nos portefeuilles ?

On devrait considérer la légitimation des sanctions contre un pays en guerre et envahisseur comme une occasion de contrer la délégitimation de l’appel à des sanctions contre Israël.

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Le vent a changé aux États-Unis, sondage après sondage révélant qu’un pourcentage toujours croissant d’Américains, y compris dans les communautés qui ont toujours été pro-Israël, désapprouvent ses violations de longue date des droits de l’homme et de l’autodétermination des Palestiniens, et du soutien de leur propre gouvernement à Israël.

Les rapports de Human Rights Watch, B’Tselem, Amnesty International et du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des Palestiniens détaillent tous la façon dont Israël pratique le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid à travers son traitement du peuple palestinien. Cela devrait soutenir notre argument selon lequel Israël doit être tenu responsable, et il existe un moyen de le faire.

On doit s’appuyer sur le moment présent non seulement pour dénoncer le deux poids, deux mesures et le racisme des pays occidentaux qui accueillent des réfugiés ukrainiens tout en refusant les demandeurs d’asile non européens, mais aussi pour dénoncer le deux poids, deux mesures qui délégitimerait le BDS contre Israël tout en le considérant comme une réponse appropriée à la guerre de la Russie contre l’Ukraine.

- Nada Elia enseigne dans le cadre du programme d’études culturelles américaines à la Western Washington University et travaille à un ouvrage sur l’activisme de la diaspora palestinienne.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Nada Elia teaches in the American Cultural Studies Programme at Western Washington University, and is currently completing a book on Palestinian diaspora activism.
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