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Guerre à Gaza : pourquoi les États arabes ne se sont pas ralliés à l’Afrique du Sud dans sa plainte contre Israël à la CIJ

L’affaire historique de l’Afrique du Sud contre Israël a soulevé un débat dans le monde arabe sur la raison pour laquelle les pays de la région ne se sont pas joints à cette action ou n’ont pas déposé une plainte similaire auprès de la Cour internationale de justice pour protéger les Palestiniens
Une manifestante brandit un drapeau sud-africain en soutien à son action contre Israël devant la CIJ, lors d’une manifestation à Amman, en Jordanie, le 11 janvier 2024 (Jehad Shelbak/Reuters)

Vendredi 12 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) a conclu la première audience de l’affaire sud-africaine contre Israël, dans laquelle Pretoria accuse ce dernier d’avoir eu l’intention de commettre des crimes génocidaires contre les Palestiniens à Gaza.

Cette affaire a soulevé un débat dans le monde arabe sur les raisons pour lesquelles les États de la région ne se sont pas ralliés à l’Afrique du Sud dans cette affaire et pourquoi ils n’ont pas déposé une plainte similaire devant la CIJ ou la Cour pénale internationale (CPI).

Selon les statuts de la CIJ, tous les États membres des Nations unies peuvent déposer des plaintes contre n’importe quel État. Tout État arabe aurait pu porter plainte contre Israël devant la CIJ ou au moins demander à l’Afrique du Sud de se joindre à son action avant qu’elle ne soit officiellement déposée le 29 décembre.

L’Afrique du Sud reconnaît dans son dossier son « obligation » d’appliquer la convention sur le génocide en tant qu’État partie à cette dernière. De la même manière, les dix-neuf États arabes parties à la convention sur le génocide auraient pu également invoquer leur statut et porter plainte contre Israël devant la CIJ.

Ces pays sont l’Égypte, l’Arabie saoudite, l’Algérie, la Tunisie, la Jordanie, les Émirats arabes unis, la Syrie, la Somalie, le Soudan, l’Irak, Oman, le Koweït, le Liban, la Libye, le Maroc, le Yémen et l’Autorité palestinienne (AP).

Alors, pourquoi une telle inaction des États arabes ?

Des positions fragiles

De nombreux États arabes pourraient prétendre avoir une explication « raisonnable » justifiant l’absence d’une telle action agressive. Certains pourraient prétendre être des petits pays avec des économies trop fragiles pour en supporter les conséquences.

D’autres, comme la Tunisie, pourraient même prétendre qu’ils ne pourraient pas poursuivre Israël puisqu’ils ne reconnaissent pas cet État, bien que le président tunisien ait déclaré au président de son Parlement en novembre dernier qu’il s’opposait à un projet de loi visant à criminaliser la « normalisation » avec Israël parce qu’elle nuirait aux intérêts tunisiens.

En revanche, ces justifications ne peuvent pas être utilisées par les États dotés d’une économie plus forte et d’une plus grande influence, comme l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui ont de bonnes raisons d’intenter une action contre Israël auprès de la CIJ.

Du fait de leurs graves violations du droit international en matière de droits de l’homme, les gouvernements arabes refusent de porter plainte contre Israël devant la CIJ ou la CPI afin d’éviter d’en être accusés à leur tour

La première raison qui pourrait justifier la position égyptienne et saoudienne est la crainte de retombées potentielles de la part des États-Unis. La plupart des États arabes estiment qu’ils ne peuvent pas défier la position américaine sur les questions liées à Israël.

De fait, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a entrepris toutes les démarches possibles pour renforcer les liens avec Israël, convaincu que ce dernier a joué un rôle important, aux côtés de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, pour convaincre l’administration Obama de ne pas s’opposer au coup d’État qu’il a mené en 2013.

L’Arabie saoudite a également amorcé un processus de négociation avec Israël afin de normaliser leurs relations en échange d’un pacte de défense spécial des États-Unis.

Si l’Arabie saoudite et l’Égypte ont défié les États-Unis ces dernières années sur des questions liées à la production de pétrole de l’OPEP et à leurs relations avec la Chine et la Russie, toutes deux ne sont pas disposées à le faire sur les questions liées au conflit israélo-palestinien, estimant qu’il s’agirait d’une « ligne rouge » aux yeux des Américains.

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Les atteintes atroces aux droits de l’homme commises par la plupart des États arabes constituent une autre explication de leur réticence à se joindre à l’Afrique du Sud dans son action contre Israël. Ils craignent qu’en s’attaquant à Israël devant la CIJ, Israël ou l’un de ses alliés puisse les poursuivre devant la CIJ ou la CPI.

L’Arabie saoudite et l’Égypte, comme la plupart des pays arabes, peuvent être accusées de diverses violations des droits de l’homme. Le gouvernement égyptien emprisonne des dizaines de milliers de personnalités politiques et de militants sur la base d’accusations forgées de toutes pièces par un système judiciaire corrompu.

Qui plus est, les autorités égyptiennes ont été accusées par de nombreux militants et organisations de défense des droits de l’homme d’avoir tué, détenu et forcé le déplacement de la population du Sinaï après avoir démoli des centaines de maisons sous prétexte de la lutte contre le terrorisme.

L’Arabie saoudite a elle aussi mené une campagne de répression contre les militants, les réformateurs et les opposants. Des milliers de personnes ont été détenues arbitrairement, sans véritable procès, et certaines d’entre elles ont été condamnées à mort pour de simples tweets. L’Arabie saoudite a également été accusée de graves crimes de guerre commis au Yémen.

Du fait de leurs graves violations du droit international en matière de droits de l’homme, les gouvernements arabes refusent de porter plainte contre Israël ou tout autre État devant la CIJ ou la CPI afin d’éviter d’être accusés à leur tour devant ces juridictions internationales.

Pas de véritable soutien aux Palestiniens

La troisième clé de lecture de la position des États arabes à l’égard de la plainte déposée par l’Afrique du Sud contre Israël tient tout simplement au fait qu’ils ne sont pas disposés à apporter un réel soutien aux Palestiniens de Gaza.

Tous les pays arabes, y compris l’Arabie saoudite et l’Égypte, se sont exprimés à maintes reprises pour condamner l’assaut d’Israël sur Gaza, mais sans pour autant aller plus loin. L’Arabie saoudite et la Ligue arabe ont attendu plus d’un mois après le début de l’offensive à Gaza pour organiser un sommet à Riyad en vue de discuter de la situation.

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Le sommet a décidé de briser le siège et le blocus, mais les États arabes n’ont jamais concrétisé cette résolution. Au lieu de cela, l’Égypte a obéi aux ordres d’Israël en refusant d’autoriser le déplacement de civils blessés pour qu’ils soient soignés en dehors de Gaza à moins que les autorités israéliennes n’approuvent leurs noms.

Les médias et témoins oculaires ont confirmé que les intermédiaires égyptiens forçaient les Palestiniens de Gaza à payer jusqu’à 10 000 dollars de pots-de-vin à des responsables pour pouvoir franchir le point de passage de Rafah. L’Égypte a également accepté que tous les camions d’aide soient contrôlés par la sécurité israélienne au point de passage commercial de Karm Abou Salem, ce qui a retardé l’arrivée de l’aide et aggravé la crise humanitaire à Gaza.

L’Égypte justifie son choix en affirmant que les camions risqueraient d’être bombardés par l’armée de l’air israélienne s’ils n’étaient pas acheminés par le point de contrôle israélien. De son côté, un juriste israélien a déclaré devant la CIJ que l’Égypte était responsable du point de passage de Rafah et de l’interdiction faite aux véhicules d’aide d’entrer dans la bande de Gaza.

Bien qu’Israël ait menacé d’attaquer toute aide entrant à Gaza sans son autorisation, l’Égypte ne peut répondre aux accusations israéliennes qu’en ouvrant les frontières pour permettre aux blessés et aux patients de sortir et aux camions d’aide et de marchandises d’entrer, et en prouvant qu’Israël est responsable de la catastrophe.

Le sommet de la Ligue arabe a décidé de briser le siège et le blocus, mais les États arabes n’ont jamais concrétisé cette résolution

Malgré le soutien rhétorique des gouvernements arabes envers les Palestiniens, Dennis Ross, l’ancien envoyé américain au Moyen-Orient, a affirmé que tous les responsables arabes qu’il a connus lui déclaraient que « le Hamas [devait] être détruit ». Après trois mois et demi d’assaut sur Gaza, il est tout à fait clair que pour Israël, détruire le Hamas consiste à détruire Gaza et sa population.

Je me trouvais dans la foule massive à l’extérieur de la CIJ à La Haye lors de l’audience historique contre Israël. Des centaines de milliers de manifestants de tous âges, de toutes confessions et de toutes origines ont bravé le froid pendant deux jours. Leur principal message était de remercier l’Afrique du Sud de demander justice face à Israël. Ils ont applaudi la délégation sud-africaine de toutes les manières possibles. La délégation sud-africaine a été honorée comme il se doit.

Aucun État arabe n’a pris l’initiative d’accomplir cet honneur historique, car aucun d’entre eux n’ose défier les États-Unis. Au lieu de cela, ils traînent un passé honteux de violations des droits de l’homme et attendent qu’Israël accomplisse sa mission de destruction de la bande de Gaza.

- Feras Abu Helal est le rédacteur en chef du site d’information Arabi 21.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Feras Abu Helal is the Editor-in-Chief of Arabi 21 news website.
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