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Israël, Netanyahou et moi

En 1998, je fus le premier journaliste d’un État arabe et musulman à interviewer un responsable israélien. De ce voyage, je me souviens, d’après les notes prises à l’époque et conservées, de plusieurs décors, rencontres et anecdotes
Le journaliste Ali Lmrabet (à gauche) avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le directeur général du Journal, Ali Amar, à Tel Aviv en 1998 (avec l’aimable autorisation de Ali Lmrabet)
Le journaliste Ali Lmrabet (à gauche) avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le directeur général du Journal, Ali Amar, à Tel Aviv en 1998 (avec l’aimable autorisation de Ali Lmrabet)

Il y a 22 ans, en 1998, j’interviewai en Israël, pour l’hebdomadaire marocain Le Journal, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.

À l’époque, c’était une révolution. C’était la première fois qu’un journaliste d’un État arabe et musulman s’entretenait avec un aussi haut responsable de ce qu’on appelle « l’entité sioniste ».

L’idée de réaliser cet entretien était survenue par hasard et n’avait pas pour but de faire dans la provocation ni de la propagande dans un pays connu pour son indéfectible solidarité avec le peuple palestinien.

C’est durant une conversation à bâtons rompus avec le premier secrétaire du bureau de liaison israélien à Rabat, Amir Weissbrod, futur ambassadeur d’Israël à Amman, que l’idée jaillit. « Vous critiquez Israël, c’est votre droit. Mais connaissez-vous Israël ? », m’avait-il lancé en signe de défi.

Il avait raison. J’avais une idée préconçue de ce pays, construite sur des sentiments et un solide conditionnement social. Enfant, dans les années 1960, quand j’allais voir des films arabes pro-palestiniens, j’applaudissais bruyamment comme tout le monde quand, à la fin, le colon ou le militaire israéliens étaient tués.

Enfant, dans les années 1960, quand j’allais voir des films arabes pro-palestiniens, j’applaudissais bruyamment comme tout le monde quand, à la fin, le colon ou le militaire israéliens étaient tués

Et, tout pauvre que j’étais, je ne protestais jamais contre le prix final du ticket d’entrée au cinéma, bien visible au-dessus de la billetterie, qui incluait un bon pourcentage devant être remis à cette Palestine dont Israël occupait le territoire, asservissait la population et n’avait aucune intention de céder le moindre pouce de terrain.

De cette injustice est née la « cause sacrée » de la Palestine, devenue la nôtre bien avant que n’apparaisse une autre « cause sacrée », celle du Sahara occidental. Deux « causes sacrées » pour un seul peuple.

C’est pour affermir nos convictions, ou les amender, et surtout pour connaître la réalité d’un pays où la deuxième plus grande communauté juive, après la russe, était la marocaine, avec un mirobolant chiffre frôlant les 600 000 ou 700 000 âmes, que fut décidée l’idée d’interviewer non seulement le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (déjà au pouvoir à l’époque), mais aussi, pour maintenir un certain équilibre, le raïs palestinien, Yasser Arafat.

Restait une inconnue : comment allait réagir la population marocaine, qui avait l’habitude de sortir par millions dans la rue pour manifester son strident soutien aux Palestiniens ?

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Il faut dire que le chef du bureau de liaison israélien à Rabat, Gadi Golan, un diplomate d’origine française – que le collier de barbe sans moustache faisait ressembler à un directeur d’école laïcard tout juste sorti d’un épisode d’une série sur la IIIe République –, était réticent.

« Ils vont vous bouffer crus », répétait-il, en parlant des islamistes et des mouvements panarabistes de gauche. Ces derniers, certes minoritaires, étaient très actifs dans les médias partisans et arabes.

Quant à la direction du Journal, elle était divisée. Au nom de la liberté d’informer au-delà des clivages et des passions, un concept nouveau au Maroc de 1998, le directeur de la publication, Aboubakr Jamaï, était pour. Le directeur de la rédaction, Jamal Berraoui, un vieux routier de la finissante gauche institutionnelle marocaine, était contre. Mais pas pour des raisons affectives ou idéologiques. Il aurait simplement voulu faire lui-même l’interview.

Un voyage initiatique vers un interdit géographique

Finalement, après des jours de discussion, évaluant le pour et le contre, nous arrivâmes à la conclusion que l’interview devait se faire en dépit des retombées négatives qui risquaient de nous enterrer.

Et c’est ainsi que nous nous envolâmes pour Tel Aviv, le directeur général du Journal, Ali Amar, et moi-même, après avoir dû supporter la rébellion d’une partie de la rédaction d’Assahifa, le pendant arabophone de notre hebdomadaire, très mécontente de cette initiative. À cause de l’image, forcément mauvaise, qui allait rejaillir sur elle, mais surtout parce que nous allions engloutir 5 000 dollars en frais d’hôtels et de diètes, alors que cette « manne », somme toute modeste, aurait été la bienvenue dans la trésorerie de leur hebdomadaire.

De ce voyage, je me souviens, d’après les notes prises à l’époque et que j’ai conservées dans une grande malle traditionnelle de mariage héritée de ma mère, de plusieurs décors, rencontres et anecdotes.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce voyage ne fut pas une épopée, mais plutôt un voyage initiatique vers un interdit géographique, où résidaient, confrontés les uns aux autres, des juifs marocains que nous considérions comme des compatriotes, et des musulmans palestiniens qui étaient pour nous des coreligionnaires, des frères en islam. Les autres, les mizrahim, les ashkénazes, les Palestiniens chrétiens, etc., étaient pour nous chose négligeable.   

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Le premier choc avec cette réalité eut lieu à l’aéroport de Paris, quand une fouille méticuleuse du personnel de la compagnie aérienne israélienne El Al nous introduisit de plain-pied dans les contraintes sécuritaires d’Israël.

À l’aéroport de Tel Aviv, le contrôle fut encore plus strict, mené cette fois-ci par des policiers zélés à qui on dut répéter cent fois que nos visas étaient valides, que nos accréditations l’étaient également et que nous venions pour interviewer leur Premier ministre.

Au Maroc, comme dans ces républiques ou monarchies bananières, dès que vous prononcez le nom d’un haut responsable, les policiers se débarrassent subitement de leur attitude altière et déplaisante pour se mettre au garde-à-vous.

En Israël, ces officiers de police n’avaient pas l’air de comprendre que nous venions voir l’homme le plus important de leur État. Ou peut-être qu’ils n’en avaient cure. Tout ce qui les intéressait était de savoir si les documents que nous portions étaient authentiques. Bonjour Israël !

« Des désagréments nécessaires, car ici vous vivez dans un État spartiate au-dessus duquel plane constamment une épée de Damoclès », nous indiqua plus tard une jeune et blonde fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, souvent agacée de devoir nous expliquer certaines règles alors qu’elle aurait préféré être avec sa famille.

Après une tempête de sable, la brume recouvre l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, en mars 1998 (AFP)
Après une tempête de sable, la brume recouvre l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, en mars 1998 (AFP)

L’hôtel où nous devions loger (à nos frais !) se trouvait dans une zone presque désertique et éloignée du centre-ville de Jérusalem. Il avait été choisi par les autorités israéliennes. Et pendant tout notre séjour, nous eûmes la sensation d’être discrètement mais constamment surveillés. À l’hôtel, par exemple, les fax qu’on recevait de notre direction casablancaise nous étaient communiqués une heure après. Au cas où il y aurait des messages codés… Allez savoir ! Ou bien était-ce le fruit de notre compréhensible paranoïa…

Comme il fallait bien meubler notre temps avant que Benyamin Netanyahou daigne nous recevoir, nous décidâmes, pour tuer le temps, d’aller à la rencontre de la vieille ville arabe pour contempler Bab al-Maghariba (la porte des Maghrébins) et explorer l’emplacement où s’élevait jadis le quartier des Maghrébins, nom donné à ce lieu par les Ottomans en raison de la concentration de pèlerins venus du Maghreb.

Un site, une légende. Les Palestiniens rencontrés au hasard des échoppes nous parlèrent d’une vieille Marocaine qui refusa en 1967, après l’occupation de la ville par l’armée israélienne, de quitter sa maison. Elle mourut sous les décombres. Qui était-elle ? De quel coin du Maroc venait-elle ? Nous fûmes incapables d’obtenir une réponse satisfaisante.

À la porte des Marocains, unique point d’accès de la mosquée al-Aqsa alors contrôlé par l’armée israélienne, nous rencontrâmes un gardien de la mosquée, un vieux Marocain originaire de la tribu arabe des Zemrane, dans la grande région de Marrakech. Ses membres, nous raconta-t-il, envoyaient par tradition depuis des siècles de jeunes hommes chargés de garder ces lieux saints de l’islam, puis après une dizaine ou une quinzaine d’années, les ramenaient au pays en les remplaçant par d’autres.

« Nos frères, nos frères… »

Or, après la guerre des Six Jours de 1967 et l’occupation de Jérusalem, ce Zemrani se retrouva prisonnier à l’intérieur d’un État qui était officiellement en guerre avec le sien. Les Zemrane ne pouvaient ni le récupérer ni envoyer un autre gardien pour le relever. Il resta donc sur place, contraint et forcé, occupant grâce au Waqf (organisme s’occupant du patrimoine islamique) de Jérusalem une petite cellule dans les entrailles du « Noble Sanctuaire ».

Je me rappelle qu’il nous dévorait de questions et qu’il parlait en darija, notre langue véhiculaire, d’une manière hésitante et avec un fort accent oriental. Beaucoup de mots nouveaux que nous débitions lui étaient totalement étrangers. Il avait été complètement coupé de ses racines, de sa langue et de la réalité de son pays pendant 31 ans. Sa tribu l’avait complètement oublié.

Lors de la visite à la Knesset, le Parlement israélien, nous eûmes droit à une autre surprise. Après le passage obligé par le portillon de sécurité, nous vîmes sortir de leur casemate deux ou trois fonctionnaires en uniforme qui, quelques minutes auparavant, nous avaient contrôlés sans prononcer un mot. Et voilà qu’après la besogne, ils s’avançaient vers nous avec un large sourire et les bras grands ouverts.

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Ils voulaient nous embrasser. « Nos frères, nos frères… », disaient-ils. C’étaient des juifs marocains venus de différentes provinces de ce qui avait été l’ancien Empire chérifien et eux, contrairement au gardien de Zemrane, parlaient encore et à la perfection le darija grâce à leurs parents. Sans hésitation ni accent.

J’eus envie de leur poser une question : si nous sommes réellement vos frères, pourquoi nous avez-vous quittés ? L’Agence juive vous a-t-elle trompés ? Ou est-ce que vous vouliez être trompés ?

Contrairement à ceux qui claironnent aujourd’hui exagérément que musulmans et juifs vécurent en bonne harmonie au Maroc pendant des siècles, je m’inscris en porte-à-faux. Ils vivaient en bonne entente seulement en milieu rural et montagnard. Parce que tous étaient soumis à la même pauvreté.

En revanche, en ville, les juifs étaient cantonnés dans leurs mellahs (quartiers réservés aux juifs) et ont toujours souffert non pas de l’antisémitisme, un concept plutôt occidental et chrétien, mais plutôt de l’antijudaïsme, en raison de leur condition d’excroissance religieuse, en raison de leur relative réussite et, quelquefois, parce qu’ils avaient la fâcheuse tendance à se mettre au service du premier étranger venu, qu’il fût marchand, consul ou militaire, et d’adopter ses us et coutumes.

Un juif moyennement heureux n’exista réellement au Maroc qu’après le départ de la quasi-totalité de la population israélite marocaine

Un juif moyennement heureux n’exista réellement au Maroc qu’après le départ de la quasi-totalité de la population israélite marocaine. L’État ne commença à bichonner ceux qui étaient restés qu’à partir des années 1970. Combien de fois, dans notre prime jeunesse, n’entendit-on pas le terme Hachakoum ! (Sauf votre respect !) quand le nom d’un juif apparaissait dans une conversation ?

N’étions-nous pas systématiquement corrigés quand nous évoquions la mort d’un juif ? « Non, il n’est pas mort, il s’est putréfié ! »

Enfin, élève dans un internat de Meknès dans les années 1970, il n’était pas rare d’entendre mes camarades externes raconter, légende urbaine ou pas, comment ils jouissaient à l’idée de passer en dessous du cercueil d’un juif en route vers sa dernière demeure pour obliger sa famille à le ramener à la maison et refaire sa toilette mortuaire.

Nous en rigolions, même l’auteur de ces lignes, pas par antisémitisme sinon à cause de notre inconscience, de notre inculture, de notre incapacité à voir au-delà de nos propres certitudes.

D’ailleurs, dans notre patriarcale société, nous nous moquions aussi des homosexuels, des efféminés, des handicapés, de l’accent campagnard, de la manière de manger, d’éructer et de brouter des Fassis, etc. La bonne entente entre juifs et musulmans ? Un mythe.

Trois mondes

Nos conversations avec les députés israéliens de la Knesset mériteraient tout un chapitre. Je retiens ici seulement trois attitudes et trois mondes.

Avec les députés d’origine marocaine, nous papotâmes à la cafétéria de l’enceinte parlementaire comme si on était au bled. Avec quelques représentants ashkénazes, la discussion tourna tranquillement autour de thèmes philosophiques et géopolitiques, et avec les députés arabes israéliens, nous avons eûmes droit à un accueil courtois mais sans chaleur.

De nos échanges avec le citoyen lambda israélien, j’ai retenu deux vérités élémentaires.

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La première, c’est que les juifs d’Israël ne montraient aucune crainte envers leurs services secrets, fussent-ils extérieurs ou intérieurs, qu’ils considéraient comme indispensables. Ils en étaient très fiers tant que la matraque et l’assassinat extrajudiciaire concernaient les autres, en premier lieu les Palestiniens.

Chez nous, en revanche, les moukhabarat (services secrets) de sinistre mémoire sont mal vus parce que leur premier rôle n’est pas de protéger l’État et les citoyens contre un ennemi intérieur ou extérieur, mais de réprimer tout ce qui menace la quiétude du gouvernant.

La deuxième, c’est que les Israéliens étaient fiers de leur armée, appelée Tsahal, et beaucoup se souvenaient d’avoir été heureux durant leur service militaire.

La manière humiliante et inhumaine utilisée par les bidasses israéliens pour traiter les Palestiniens dans les check-points, dont nous avions eu quelques exemples pendant notre pérégrination, ne m’empêcha pas, avec un zeste de honte, d’avouer à l’un de mes interlocuteurs que l’armée marocaine était au service d’un seul, le roi Hassan II. Et que ce dernier avait poussé ses officiers supérieurs à s’autocorrompre allègrement pour les tenir occupés, riches et éloignés de la politique et de ces aventures qui avaient coûté au Maroc deux coups d’État, 1971 et 1972, et probablement une ébauche de troisième, celui du général Ahmed Dlimi, qui aurait été évité de justesse après le mystérieux assassinat de son promoteur en 1983.

Pourquoi les armées arabes n’ont-elles jamais gagné une seule guerre contre le petit État d’Israël ? Voici la réponse : les pléthoriques armées arabes passent leur temps à comploter, à faire des affaires, à s’entretuer, quand elles ne répriment pas dans le sang – une chose qu’elles savent très bien faire – leurs propres populations

Si quelqu’un se demande, ai-je lancé au fils du représentant de l’Autorité palestinienne à Rabat, devenu dentiste dans la vieille ville de Jérusalem, pourquoi les armées arabes n’ont jamais gagné une seule guerre contre le petit État d’Israël, voici la réponse : les pléthoriques armées arabes passent leur temps à comploter, à faire des affaires, à s’entretuer, quand elles ne répriment pas dans le sang – une chose qu’elles savent très bien faire – leurs propres populations.

Un jour, une vieille limousine noire vint enfin nous chercher pour nous emmener vers le lieu de notre rencontre avec Netanyahou. Le chauffeur était un jeune homme distrait, qui ne parlait aucune langue que nous comprenions, et donnait l’air de ne pas savoir où on devait aller.

Il se perdit à deux reprises en empruntant des routes secondaires dans les collines environnantes. Après quelques détours, il fit finalement route non pas vers les bureaux du Premier ministre à Jérusalem, mais vers Tel Aviv, sur la côte, à une heure de route de la ville sainte.

Habile manœuvrier

En entrant dans cette ville considérée par beaucoup comme l’opposé de la très religieuse Jérusalem, j’eus, en traversant certains quartiers, la sensation de me retrouver dans une station balnéaire méditerranéenne des années 1960 avec ses immeubles construits à la va-vite, blancs et décrépis, et ses habitants qui me rappelèrent ces vacanciers estivaux étrangers qui sillonnaient nos villes en chemise courte et short.

La rencontre avec Benyamin Netanyahou eut lieu dans une caserne militaire, probablement le siège de l’état-major de Tsahal.

Après un énième passage obligé par un contrôle rigoureux et au milieu d’uniformes militaires et de salutations martiales, on nous conduisit dans un hall où trônait une grande photocopieuse et où un garde du corps au visage inexpressif se posta debout, face à nous, la main constamment appuyée sur une arme qu’il portait à la ceinture.

Et là encore, une énième surprise nous attendait. Sûrement une gracieuseté du ministère des Affaires étrangères. L’un des photographes de Netanyahou, un joyeux drille portant barbe grise, était un vieux Marocain qui parlait en darija avec l’accent caractéristique d’un habitant de Marrakech.

« Bibi » [...] « pétait la forme ». Il faillit me briser les doigts en serrant virilement ma main droite. Il parlait un anglais avec un très fort accent américain, accompagné d’un sourire enchanteur

Après la proclamation de l’État d’Israël en 1948, il était venu enfant avec ses parents. Il s’exprimait dans notre langue comme s’il n’avait jamais quitté le pays.

Seuls lui échappaient, comme le gardien de la mosquée al-Aqsa, les mots nouveaux qui n’existaient pas à l’époque. Pour lui, un « ordinateur » était forcément un computer. En ce qui concerne les gros mots, les jurons et les exclamations populaires, il n’avait en revanche rien perdu de sa longue séparation avec son pays d’origine.

À un moment donné, une porte discrète donnant sur un modeste bureau s’ouvrit et nous nous retrouvèrent face au Premier ministre d’Israël. L’un des hommes les plus protégés de la planète occupait un bureau modeste, mal éclairé, muni d’une table, quelques fauteuils et peut-être une ou deux bibliothèques. Rien à voir avec le faste impudent et tape-à-l’œil de nos responsables.

Le Netanyahou d’alors, appelé « Bibi » par ses compatriotes sans que cela ne le gêne outre mesure, « pétait la forme ». Il faillit me briser les doigts en serrant virilement ma main droite. Il parlait un anglais avec un très fort accent américain, accompagné d’un sourire enchanteur.

De l’interview, il n’y a rien à redire de plus que ce qui a été publié. Habile manœuvrier, Netanyahou évita les sujets qui fâchent, en refusant par exemple de confirmer ou d’infirmer la rumeur sur un possible retrait d’une portion du territoire libanais occupée par son armée, mais se montra très insistant sur le souhait d’Israël d’approfondir encore plus des relations déjà solides avec le Maroc, notre « vieil ami et allié », répéta-t-il.

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Nous savions à l’époque, grâce à des ouvrages publiés à l’étranger et interdits au Maroc, que Hassan II avait autorisé en septembre 1965 le Mossad à espionner ses « frères » chefs d’État arabes lors du sommet de Casablanca, dont les grandes lignes de l’ordre du jour étaient comme par hasard la situation militaire du monde arabe et la Palestine.

Une grande faveur qui fut payée rapidement un mois plus tard quand le Mossad, au mois d’octobre, tendit un piège au chef de l’opposition marocaine, Mehdi Ben Barka, pour le faire venir à Paris afin qu’il fût kidnappé et plus tard assassiné par des Marocains et des membres de la pègre française, dont la plupart finirent par être eux-mêmes supprimés au Maroc.

Ce que l’on ne savait pas à l’époque, du moins nous autres simples mortels, et cela a été révélé plus tard par les travaux de journalistes et d’historiens israéliens, c’est qu’en 1965, le Mossad s’était également chargé de la salle besogne de dissoudre le cadavre de Ben Barka dans de l’acide et de l’enterrer dans un parc de la grande banlieue parisienne.

Mais de Ben Barka, un panarabiste ami de l’intellectuel et homme politique juif algérien André Chouraqui et qui n’était pas hostile à l’État d’Israël, il ne fut jamais question dans l’interview. Pour cela, il aurait fallu interviewer Levi Eshkol, le Premier ministre de l’époque, mort en 1969, ou Meir Amit, l’ancien chef du Mossad qui, deux ans plus tard, en 2000, me concéda une interview téléphonique de… cinq minutes, parce que, s’excusa-t-il, il partait « en voyage ». Pour nier tout.

Un drôle de fondamentaliste

À la fin de l’entretien, en serrant encore une fois vigoureusement ma main, Netanyahou me lança : « Vous autres Marocains et nous Israéliens, avons un seul ennemi : l’islamisme. »

Je demandai à l’interprète, une Israélienne d’origine française, de lui répondre que nous n’avions pas la même conception des choses et que sans être un « craignant-dieu » musulman, je ne considérais pas les islamistes marocains, et encore moins les étrangers, comme des ennemis. Juste un substrat politique, certes croissant, puissant et quelquefois menaçant, mais rien d’autre qu’une composante de la société musulmane en ces temps de crise d’identité, de manque de libertés et de tyrannies arabo-musulmanes.

Si on avait eu le temps, je lui aurais expliqué que le plus grand islamiste marocain était le roi Hassan II. Un souverain, portant le titre de « commandeur des croyants », autoproclamé descendant direct du prophète Mohammed, un saint homme mort pourtant il y a quatorze siècles, à une époque où il n’y avait pas encore d’état civil, et surtout, comme le roi se définissait lui-même pour éblouir la galerie occidentale, un « fondamentaliste musulman ».

Il est vrai, un drôle de fondamentaliste puisqu’il était l’heureux propriétaire des Brasseries du Maroc, la plus grande entreprise de brassage de boissons alcoolisées du royaume chérifien. J’aurais pu dire tout ça, mais je me désistais finalement, préférant me replier sur mon travail journalistique et laisser de côté mes appréciations personnelles.

Si on avait eu le temps, je lui aurais expliqué que le plus grand islamiste marocain était le roi Hassan II

Les jours d’après, les diplomates israéliens qui nous avaient accueillis, aimables et disponibles, tentèrent de nous faire visiter les hauteurs du plateau du Golan occupé par Israël.

Nous refusâmes tout aussi poliment. Nous n’étions pas venus pour ça. Déjà interviewer le Premier ministre de cette mal-aimée « entité sioniste » était une hérésie qui allait nous attirer quelques ennuis personnels, il ne fallait pas en rajouter en faisant du tourisme pour le compte de la propagande israélienne.

Lors de notre séjour, nous avions prévu aussi d’interviewer le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat.

Pour une raison que nous aurions dû deviner, le vieux raïs refusa de nous rencontrer et nous renvoya vers Faïçal al-Husseini, un important membre du Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), aujourd’hui décédé.

On prétend chez nous que la famille al-Husseini est originaire du Maroc et qu’elle est parente des sultans chérifiens marocains en raison de leur descendance commune du prophète Mohammed. Mais jusqu’à présent, aucune preuve n’est venue étayer cette sympathique allégorie.

Al-Husseini nous donna rendez-vous à l’heure du déjeuner dans un appartement qui lui servait de bureau, en dehors de la vieille ville. Ses jolies secrétaires, qui nous affirmèrent adorer le Maroc, nous firent asseoir, mon confrère et moi, en face de lui, à quelques mètres d’une salle à manger improvisée où s’affairaient des employés.

Yasser Arafat à droite du roi Hassan II, le 13 mars 1996 pendant une photo de famille au sommet de Charm el-Cheikh (AFP)
Yasser Arafat à droite du roi Hassan II, le 13 mars 1996 pendant une photo de famille au sommet de Charm el-Cheikh (AFP)

Al-Husseini s’installa le premier, puis fut rejoint par d’autres convives, probablement des membres de l’OLP. Pendant le déjeuner, il nous ignora superbement. Et bien entendu, il ne nous invita pas à nous joindre à lui. Il ne nous concéda l’interview qu’après avoir mangé, pris le temps de prendre son dessert, de savourer son café et de palabrer une dernière fois avec ses invités dont certains, compatissants, nous jetaient de temps à autre des regards condescendants.

Ce traitement, nous le devions probablement aux relations tendues entre Arafat et Netanyahou. Le premier aurait été offusqué que nous allions en premier chez Netanyahou avant de passer par l’Autorité palestinienne. Mais il y avait d’autres raisons.

C’est une vérité mal cachée, mais les responsables palestiniens, toutes tendances confondues, avaient une piètre image des dirigeants marocains. 

La « commanderie des croyants » du roi du Maroc les faisait sourire et, quand on évoquait devant eux la fumisterie de la « présidence du Comité al-Qods », une organisation réunissant les soutiens de la cause palestinienne au sein du monde arabe portée par Hassan II, ils ne pouvaient s’empêcher de s’esclaffer. Néanmoins, ils avaient une haute estime du peuple marocain.

Des suppôts du régime marocain

Pour eux, des journalistes francophones parlant la langue de l’élite étaient des membres de l’establishment marocain dont le grand prêtre était Hassan II. Et ce dernier était un inconditionnel des différents gouvernements israéliens.

Des journalistes venant du Maroc pour s’entretenir avec le raïs ne pouvaient être que des espions, des rapporteurs d’information, en somme des suppôts du régime marocain.

Je le ressentis personnellement l’année d’après quand je me rendis directement cette fois-ci à Gaza pour recueillir, en août 1999, une interview de Yasser Arafat après la mort de Hassan II.

Pour avoir trop insisté à obtenir cet entretien, j’eus droit à une volée de bois vert de la part d’un sous-responsable de la communication de l’Autorité palestinienne. Un moment désagréable. Pendant trois minutes, celui-ci déversa sur moi un ressentiment et une agressivité contenus pendant des années.

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Non, Yasser Arafat n’allait pas me donner une interview. Oui, les responsables et les journalistes marocains étaient pareils à ces dizaines de milliers de prostituées originaires du royaume qui déambulaient dans les taïfas arabes du Golfe persique.

Non, nous n’étions certes pas des sionistes (« sahhayina »), mais comme nous étions forcément de mèche avec le Palais royal, nous travaillions pour l’idéal sioniste.

Après s’être défoulé, ce fonctionnaire reprit son ton calme et une attitude conforme à son étiquette de haut fonctionnaire. Il donna pour conclue la conversation. J’aurais peut-être été d’accord avec lui sur bien des points de son ardent monologue s’il avait été moins véhément.

Cet épisode m’obligea, pour ne pas retourner au Maroc sans rien dans mes bagages, à m’intéresser aux droits de l’homme, malmenés dans la bande de Gaza par l’Autorité palestinienne, et à me tourner vers d’autres interlocuteurs. Des opposants à l’OLP, et les islamistes.

Je rencontrai ainsi un chef du Jihad islamique, puis le cheikh Ahmed Yassine du Hamas. Pour ce dernier contact, il me fallut tout de même passer sous les fourches caudines d’un certain Ismaël Haniyeh, qui ne portait pas non plus en haute estime les dirigeants marocains.

Campagnes haineuses

De retour au Maroc, pour avoir commis l’impardonnable, interviewer le « premier des sionistes », je me souviens avoir essuyé non pas une mais plusieurs campagnes haineuses. Il faut reconnaître qu’aucune n’émanait du pouvoir et de sa presse, trop contents que nous ayons brisé une vieille loi non écrite : on n’interviewe pas les sionistes.

Les salves assassines provenaient des journalistes, spécialement les partisans des islamistes, des groupes panarabistes naturellement, et de la population en général – sauf quelques groupes réduits d’activistes berbères qui non seulement soutenaient la normalisation avec Israël, mais plaidaient aussi pour l’abandon de la religion musulmane.

Communiqués, injures, menaces de mort, dégradation des affiches publicitaires du Journal dans les gares, etc. furent notre lot quotidien pendant une vingtaine de jours. La porte de mon appartement fut souillée par un liquide, probablement de l’urine, et pendant plusieurs semaines, le gardien de mon immeuble évita de me saluer.

Les plus offensifs, les plus méchants, furent les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD). Leur organe de presse arriva à écrire que Netanyahou m’avait offert une voiture qui se trouvait, jurait ce journal, au port de Casablanca. Comme je n’en avais aucune à l’époque, j’écris à cette feuille de chou pour connaître son emplacement exact… ce qui redoubla la fureur des « barbus ».

Un bureau de liaison est une manière hypocrite et honteuse pour un État de cacher une ambassade

Quelqu’un affirma, en rappelant ma condition d’ancien élève de l’Alliance israélite universelle de Tétouan, que j’avais été recruté par le Mossad… dès l’école primaire. Et un autre mit sérieusement en doute mon credo musulman.

Les cris de mon épicier soussi de la rue Tayeb Lebsir, dans le quartier de l’Agdal, à Rabat – « La Palestine est une cause sacrée et personne ne nous l’enlèvera » – résonnent encore dans mon oreille.

Je me souviens aussi de la fois où le contrôleur de l’Office national des chemins de fer (ONCF) de la navette Casa-Rabat, que je connaissais depuis plusieurs années, refusa de poinçonner mon ticket.

Avec ceux avec lesquels je pouvais parler, discuter, échanger des commentaires, rien ne servait de leur expliquer que la seule « cause sacrée » au Maroc était celle qu’édictait le roi. Elle pouvait changer du jour au lendemain, selon son bon plaisir et ses propres intérêts.

Et si le roi décidait un jour d’abandonner l’autre « cause sacrée », celle du Sahara occidental, pour sauver son trône, il n’hésiterait pas une seconde. Et tous ceux qui s’y opposeraient seraient éliminés par son puissant appareil sécuritaire. Mais c’était inutile.

Tout comme ma tentative d’indiquer à mes détracteurs qu’il existait à Rabat, sur l’avenue Mehdi Ben Barka, du nom de l’homme que le Mossad avait contribué à faire assassiner en 1965, un bureau de liaison israélien que personne n’osait attaquer, ni même gêner par un simple sit-in devant ses portes.

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Et que des personnalités marocaines de tous bords, des hauts fonctionnaires, des journalistes, des politiciens, des cadres supérieurs, des hommes d’affaires se bousculaient au portillon de la résidence du chef du bureau de liaison pour assister à ses réceptions.

« Un bureau de liaison n’est pas une ambassade », se justifiaient mollement quelques-uns pour cacher leur gêne. Mais si. Puisqu’il jouit des mêmes privilèges. Un bureau de liaison est une manière hypocrite et honteuse pour un État de cacher une ambassade.

Après la mort de Hassan II, le nouveau roi Mohammed VI décida de fermer ce bureau à cause de « l’attitude intransigeante d’Israël ». Comme si cela n’avait jamais été le cas auparavant.

Son pays, un miracle

Son chef organisa une fête d’adieu. Lors de cette discrète réception, Gadi Golan, que l’humoriste marocain Ahmed Snoussi, « Bziz », surnomma pour l’occasion et pour la joie de tous « Ghadi Golan » (il s’en va au Golan), m’avoua, très peiné, que j’étais le seul Marocain musulman à venir le saluer.

À l’exception des personnalités juives, le conseiller royal André Azoulay, le président de la communauté israélite Serge Berdugo et d’autres, tout le monde s’était désisté. Aucun représentant de cette faune si avide de réceptions et de contacts quand le bureau de liaison était en odeur de sainteté au Palais royal n’avait estimé bon de se déplacer.

Le pauvre homme ne savait pas pourquoi on fermait ce bureau ni pourquoi ses nombreux « amis » marocains l’avaient abandonné. Je lui répondis que c’était la réalité du Maroc : quand le roi, pour une raison ou une autre, dit « oui », les Marocains doivent dire « oui », et quand il dit non, ils doivent dire également « non ». Et s’il ne dit rien, les sujets de Sa Majesté chérifienne sont sommés d’attendre qu’on les siffle.

J’ajoutai que même les islamistes du PJD seraient capables un jour, s’ils accédaient aux miettes de pouvoir que leur concéderait le roi, d’accepter que la Qibla se trouve à Washington et non pas à La Mecque si ainsi l’ordonnait le souverain. Le pouvoir est une religion, aussi.

En guise de preuves, il me confia que des avions de chasse marocains étaient retapés et réarmés dans un aéroport militaire israélien et qu’il était confiant : un jour, le Maroc régulariserait cette situation en « échangeant cette fois-ci de vrais ambassadeurs » avec Israël

Mon interlocuteur sourit et, dans un accès de sincérité, affirma que la fermeture des bureaux de liaison ne changerait rien à la nature « profonde » des relations israélo-marocaines, qui étaient excellentes, s’exclama-t-il.

En guise de preuves, il me confia que des avions de chasse marocains étaient retapés et réarmés dans un aéroport militaire israélien et qu’il était confiant : un jour, le Maroc régulariserait cette situation en « échangeant cette fois-ci de vrais ambassadeurs » avec Israël

Avant de nous quitter définitivement, il me demanda mon ultime avis sur mon périple israélien.

Je lui expliquai qu’en dépit de quelques nuisances passagères, je n’avais jamais regretté d’y être allé, que je trouvais que son pays était un miracle, que ses fondateurs avaient bâti un État-refuge pour la diaspora juive, que les Israéliens avaient dompté la nature et réussi à brasser plusieurs communautés venues des quatre coins de la planète pour en faire les citoyens d’une nation.

Pour sa plus grande joie, je lui avouai qu’Israël était une démocratie, mais, ajoutai-je, seulement pour les juifs, pas pour les Arabes, qu’ils fussent musulmans ou chrétiens, et pas non plus pour les druzes qui avaient fait le choix d’Israël.

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Pourquoi un juif d’Argentine ou d’Inde avait plus de droits sur cette terre que n’en avait son légitime propriétaire, l’indigène arabe ? Pourquoi un juif marocain d’origine berbère, qui possède les mêmes gènes que moi, et dont les ancêtres n’ont aucune relation avec le mont du Temple parce que c’étaient des Amazighs convertis au judaïsme, irait-il occuper la terre de quelqu’un d’autre en Palestine ?

J’évoquai le racisme, dont m’avaient abondamment parlé des Palestiniens et quelques juifs marocains, et fis part de ma crainte qu’Israël ne terminât, si ce n’était pas déjà le cas, par être contaminé par son entourage immédiat.

Quand on veut vivre parmi les Arabes, et au milieu de solides dictatures, on finit toujours par adopter certaines coutumes, qui ne sont pas toujours les meilleures. À mon grand étonnement, M. Golan sembla non pas approuver mes dires mais les comprendre, et nous nous séparèrent sur ce constat.

Abandonner un ghetto pour en adopter un autre

De ce voyage, j’ai gardé pour moi quelques impressions intimes que j’ai retrouvées dans mes calepins et que je n’ai jamais publiées.

Je trouvais qu’en dépit du fait qu’ils vivaient dorénavant dans un État moderne tourné résolument vers l’Occident, la plupart des juifs marocains que j’avais rencontrés en Israël étaient restés primitifs, avec leurs manières et leurs manies à continuer à vénérer des marabouts, comme certains musulmans au pays. Contrairement à nous autres Marocains du sérail, ils n’avaient aucune excuse : depuis 1948, ils avaient eu largement le temps de s’adapter.

C’est comme s’ils n’avaient jamais quitté le Maroc, ai-je expliqué plus tard à un confrère allemand. Ils avaient abandonné un ghetto pour en adopter un autre, notamment à cause de la discrimation ashkénaze à leur encontre.

Je trouvais aussi ridicule et folklorique, à moins qu’elle ne fût feinte, cette adoration pour les rois Mohammed V et Hassan II. Le premier, malgré une légende soigneusement scénarisée, signa bel et bien des dahirs (décrets sultaniens) antijuifs du temps du régime de Vichy, et le second vendit tout bonnement ses sujets israélites à l’Agence juive contre des pièces sonnantes et trébuchantes, un magot versé dans des comptes bancaires suisses. Ce ne sont pas des élucubrations journalistiques, ce sont des faits historiques rapportés par des journalistes et des historiens israéliens.

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Aujourd’hui, 22 ans plus tard, je remarque que la prédiction de Gadi Golan s’est réalisée. Non seulement le Maroc a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël mais il a ouvert une ligne aérienne directe entre Casablanca et Tel Aviv. L’échange d’ambassadeurs avec Israël va suivre tôt ou tard. Suivant ainsi les pas des Émirats arabes unis, dont la télévision de Dubaï m’avait diffamé en 1998 pour avoir osé l’inqualifiable : interviewer Netanyahou. Le même Netanyahou qui va bientôt entreprendre une visite « historique » aux Émirats arabes unis.

Quant aux islamistes du PJD, ceux qui m’avaient voué aux gémonies en 1998, et qui sont aujourd’hui à la tête du gouvernement marocain, je constate que leur chef de parti, qui est aussi le théorique chef de l’exécutif, le psychiatre Saâdeddine el-Othmani, est en état catatonique depuis l’annonce par Donald Trump de la normalisation des relations diplomatiques maroco-israéliennes.

Le pauvre vient d’être obligé par le roi de signer lui-même, devant les caméras de la télévision marocaine, un accord tripartite avec un représentant des États-Unis (Jared Kushner) et un conseiller de Netanyahou.

Au mois d’août, il avait pourtant annoncé, en élevant le ton devant une rencontre avec la jeunesse de son parti, que le Maroc, « roi, gouvernement et peuple », refusait à l’unisson la normalisation avec « l’entité sioniste ».

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Ali Lmrabet is a Moroccan journalist and the Maghreb correspondent for the Spanish daily El Mundo.
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