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Mahsa Amini : un an après, les manifestants blessés envisagent l’avenir avec espoir et crainte

Interrogés par MEE, des vétérans blessés des manifestations de 2022 confient avoir été démoralisés par la répression
Une Iranienne marche dans une avenue du centre de Téhéran, le 12 septembre 2023 (Reuters)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran et Alex MacDonald

Révolté par la mort de Mahsa Amini en garde à vue, Behzad* est descendu dans la rue à Téhéran l’an dernier, persuadé de pouvoir contribuer à un réel changement. 

Il s’est joint à des milliers de personnes lors de manifestations qui ont secoué le pays pendant des mois et formé l’un des mouvements d’opposition les plus redoutables pour le gouvernement iranien depuis la révolution islamique de 1979

Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une répression implacable sévisse. Agressions, arrestations massives, violences policières, menaces, exécutions : le gouvernement a tout mis en œuvre pour étouffer les manifestations.  

Plus de 500 personnes ont été tuées au cours des manifestations et des dizaines de milliers ont été arrêtées. Beaucoup vivent encore avec les séquelles physiques et mentales infligées par les services de sécurité.

Behzad n’y a pas échappé. Au cours de l’une des manifestations, cet homme de 24 ans a reçu un tir de fusil de chasse dans l’œil, une blessure qui le hante depuis. 

« Après cela, j’ai rencontré de nombreux problèmes liés au traitement. Les organes de sécurité m’ont constamment menacé pour m’empêcher de raconter ma situation et de parler aux médias étrangers », affirme-t-il à Middle East Eye.

« Ils m’ont dit que si je parlais, ils me feraient perdre l’œil droit comme ils l’ont fait au gauche. »

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Son expérience avec la police a refroidi l’enthousiasme qu’il avait initialement ressenti pour le mouvement. La répression opérée par les services de sécurité a été si brutale que le jeune homme n’entrevoit guère d’espoir de changement.

« Je ne pense pas que des manifestations comme celles de l’an dernier se reproduiront en Iran. D’autres jeunes Iraniens comme moi sont descendus dans la rue l’an dernier pour faire évoluer cette terrible situation et dire aux responsables du régime que nous ne voulons pas d’eux », soutient-il.

« Mais nous avons perdu et ils ont gagné. »

Peur et pessimisme

Mahsa Amini est décédée en garde à vue à l’âge de 22 ans le 16 septembre 2022 après avoir été arrêtée par la « police des mœurs » pour avoir prétendument porté son foulard de manière « inappropriée ». Si la force de police controversée a été accusée d’avoir causé sa mort, les autorités affirment qu’elle est décédée de problèmes de santé préexistants, ce que sa famille conteste.

La semaine dernière, en amont de l’anniversaire de la mort de la jeune femme, le président Ebrahim Raïssi a formulé une mise en garde : « Ceux qui ont l’intention d’abuser du nom de Mahsa Amini sous ce prétexte, d’être des agents des étrangers, de créer cette instabilité dans le pays, nous savons ce qu’il leur arrivera. »

Des individus à l’origine d’au moins cinq comptes sur les réseaux sociaux ont été arrêtés plusieurs jours avant l’anniversaire pour « organisation d’émeutes ». Les pages ont également été fermées. 

Hors des frontières de l’Iran, des groupes de défense des droits de l’homme et des gouvernements étrangers ont pointé du doigt la répression continue des manifestants et des femmes tout en condamnant la République islamique.

« Ceux qui sont en sécurité hors d’Iran n’arrivent même pas à s’unir, comment veulent-ils nous sauver des démons de la République islamique ? »

– Mina

Mais les souffrances endurées par de nombreux manifestants en Iran les ont rendus méfiants à l’idée de descendre à nouveau dans la rue.

Mina a été arrêtée lors de manifestations à Machhad et emprisonnée pendant trois mois, au cours desquels elle a subi des abus sexuels et des menaces répétées de viol.

« Ces trois mois resteront un cauchemar pour le reste de ma vie », confie à MEE la jeune femme de 21 ans.

Elle n’a que faire des platitudes et du « soutien » de la communauté internationale et de l’opposition étrangère, qu’elle juge « égoïstes et inefficaces ».

« Ceux qui sont en sécurité hors d’Iran n’arrivent même pas à s’unir, comment veulent-ils nous sauver des démons de la République islamique ? Nous avons été naïfs de leur faire confiance », affirme-t-elle.

Kaveh a lui aussi été malmené par les autorités.

Ce Téhéranais de 26 ans a été passé à tabac par la police au cours des manifestations. Après avoir entendu des rumeurs selon lesquelles de nombreux manifestants blessés qui s’étaient rendus à l’hôpital ont ensuite été arrêtés, il a renoncé à se faire soigner. 

Bien qu’un ami ait pu faire venir un médecin et une infirmière à son domicile, il n’est pas complètement rétabli et souffre toujours de troubles de l’équilibre. Ce calvaire ne l’a pas rendu optimiste.

« Il n’y a pas de volonté nationale ni de détermination à changer le gouvernement. Ces manifestations sporadiques ne serviront à rien tant que tout le monde ne voudra pas un changement », estime-t-il.

Le « dernier souffle » du régime

Les annonces publiques de manifestations en Iran ont été rares.

Néanmoins, la plupart des observateurs s’attendaient à une certaine activité dans la province du Kurdistan, à tout le moins.

Selon IranWire, la ville natale de Mahsa Amini, Saghez, a été envahie de véhicules et de personnel des forces de sécurité en amont de l’anniversaire de sa mort. La maison de ses parents a été soumise à une surveillance étroite, tandis que des habitants ont affirmé que des forces de sécurité étaient stationnées dans leur rue.

Plusieurs membres de la famille de Mahsa Amini ont en outre été arrêtés ces dernières semaines.

Une image publiée sur Twitter le 26 octobre 2022 montre une femme non voilée sur le toit d’un véhicule alors que des milliers de personnes se dirigent vers le cimetière Aichi de Saghez, ville natale de Mahsa Amini (Reuters)
Une image publiée sur Twitter le 26 octobre 2022 montre une femme non voilée sur le toit d’un véhicule alors que des milliers de personnes se dirigent vers le cimetière Aichi de Saghez, ville natale de Mahsa Amini (Reuters)

Contrairement aux autres manifestants interrogés par MEE, Sanaz, une étudiante de 17 ans originaire du Kurdistan, reste optimiste quant au mouvement antigouvernemental en Iran.

À l’origine peu intéressée par la politique, Sanaz marchait sur la place principale de sa ville – qu’elle n’a pas identifiée pour des raisons de sécurité – l’an dernier pendant des manifestations antigouvernementales lorsqu’elle a reçu plusieurs balles perdues sur le côté droit du visage.

Elle a passé plusieurs jours à l’hôpital et a fini par perdre l’audition de son oreille droite.

Elle confie que cet événement l’a affectée, en tant que « l’une de ces personnes qui ont payé le prix de la liberté ».

« Pour avoir participé à certaines réunions et activités virtuelles, j’ai été interrogée à plusieurs reprises, mais je ne cesserai pas de me battre », affirme-t-elle.

« Les manifestations de l’an dernier ont montré que ce régime est en train de rendre son dernier souffle. »

« Nous n’avons personne »

Après la mort de manifestants, plusieurs gouvernements étrangers, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, ont imposé de nouvelles sanctions à l’Iran. Dans le même temps, les forces d’opposition ont tenté d’organiser un front uni contre la République islamique.

L’un de ces groupes très médiatisés, l’Alliance pour la démocratie et la liberté, a été formé par plusieurs personnalités de l’opposition en février, mais s’est rapidement disloqué deux mois plus tard, en raison d’un prétendu manque de démocratie au sein de l’organisation.

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La question des sanctions fait l’objet d’un débat animé au sein de la diaspora iranienne et parmi les analystes en politique étrangère. Certains affirment qu’elles sont un moyen efficace de faire pression sur le gouvernement iranien et de cibler des responsables spécifiques, tandis que d’autres suggèrent qu’elles équivalent à une punition collective et qu’elles servent à compromettre les capacités du mouvement antigouvernemental.

« Les sanctions ne sont pas efficaces, qu’il s’agisse de sanctions contre des individus ou des institutions venant d’autres pays ou de sanctions internationales qui affectent la vie des gens », estime Kaveh.

« La dictature au pouvoir en Iran est trop puissante pour décider de céder aux exigences d’une partie de son peuple face à des mesures telles que les menaces et les sanctions de l’Occident. »

Mina ne sait pas qui croire en ce qui concerne les sanctions ; elle se sent simplement abandonnée, comme les autres membres du mouvement antigouvernemental.

« L’opposition affirme que s’il n’y avait pas de sanctions, la République islamique aurait donné de l’argent au Hezbollah [au Liban] et aux Houthis [au Yémen]. Mais ils ont tellement menti, tout comme la République islamique, que je ne sais pas si je dois croire leurs paroles ou non », déplore-t-elle. « Je sais seulement que les sanctions ont détruit nos vies, tout comme l’inefficacité de la République islamique. Nous sommes malheureux et nous n’avons personne. »

* Prénoms modifiés afin de protéger l’anonymat des interlocuteurs.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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