Le dernier massacre de Palestiniens à Gaza s’inscrit dans un long passif de crimes de guerre israéliens
Le récent carnage israélien à Gaza (où ont péri 49 Palestiniens dont au moins 17 enfants) et le meurtre subséquent de Palestiniens en Cisjordanie (dont deux mineurs) se sont déroulés au lendemain de révélations sur le massacre commis par des membres de la police des frontières israélienne contre leurs concitoyens palestiniens dans le village de Kafr Qasim en 1956.
Le massacre de ce mois-ci s’inscrit dans une campagne visant les Palestiniens de Gaza qui a commencé peu après la création de la colonie sioniste en 1948.
Pour énumérer les massacres documentés de civils palestiniens par Israël, y compris ceux de Gaza, il faudrait plusieurs volumes
Les raids frontaliers israéliens sur ce qui était alors la Cisjordanie annexée par la Jordanie et ensuite Gaza contrôlée par l’Égypte étaient fréquents entre 1950 et 1955.
Ces raids s’accompagnèrent d’assassinats de civils par l’armée israélienne. Ce fut notamment le cas dans la ville cisjordanienne de Qibya en 1953 : les Israéliens tuèrent 69 civils palestiniens dont les deux tiers étaient des femmes et des enfants, et la même année, 43 réfugiés palestiniens furent assassinés à Gaza. Ces deux tueries furent commises par l’Unité 101 de l’armée israélienne dirigée par Ariel Sharon.
Impunité totale
C’est dans ce contexte d’impunité pour l’assassinat de Palestiniens en dehors des frontières d’Israël que, au jour de l’invasion israélienne de Gaza et de l’Égypte le 29 octobre 1956, les Israéliens massacrèrent des civils palestiniens à Kafr Qasim, village au sein des frontières israéliennes et bordant la Cisjordanie.
En fin de matinée, les Israéliens imposèrent un couvre-feu aux citoyens palestiniens de Kafr Qasim alors que nombre étaient partis travailler dans les champs. La police des frontières israéliennes attendit au village que les agriculteurs reviennent dans l’après-midi, les abattant un par un alors qu’ils rentraient chez eux, tuant 50 personnes dont la moitié d’enfants.
Les archives révélées récemment montrent que ce massacre s’inscrivait dans un projet visant à semer la panique générale parmi ce qui restait de la population palestinienne en Israël après le nettoyage ethnique des Palestiniens par les milices sionistes et l’armée israélienne entre 1947 et 1949. Selon ces documents, il faisait partie du projet israélien visant à inciter les Palestiniens restants à quitter purement et simplement le pays.
Bien que le gouvernement eût tenté de dissimuler l’affaire au départ, un procès eut lieu et des peines de prison allant de 8 à 17 ans furent prononcées en octobre 1958 à l’encontre de huit officiers. Des appels furent interjetés et toutes les condamnations furent allégées. En 1960, tous les tueurs condamnés avaient été relâchés, après avoir purgé leur peine non pas dans une cellule de prison mais dans un sanatorium de Jérusalem. À leur libération, ils reçurent une augmentation de 50 % de leur solde et un chèque leur fut remis à temps pour Pessah.
L’officier Gabriel Dahan, condamné pour avoir tué 43 des 50 victimes palestiniennes en l’espace d’une heure (48 périrent sur place tandis que 2 autres succombèrent plus tard à leurs blessures), fut désigné officier responsable des affaires arabes pour la ville de Ramleh en septembre 1960.
Le brigadier responsable d’avoir ordonné la tuerie, Yshishkar Shadmi, eut droit à un procès distinct et fut reconnu coupable d’« erreur technique » et condamné à une amende d’un centime. Alors que la plupart des journaux israéliens de l’époque minimisaient ce massacre, le célèbre chroniqueur ashkénaze israélien Yehoshua Radler-Feldman, connu sous le pseudo Rabbi Benyamin, écrivait : « Nous devons demander à l’ensemble de la nation de ressentir la honte et l’humiliation… bientôt nous serons comme les nazis et les auteurs de pogroms. »
Un crime prémédité
La déclassification il y a peu de centaines de documents utilisés dans le procès des officiers israéliens accusés de ce bain de sang, qui étaient restés scellés jusqu’alors, fait suite à une décision de la cour d’appel militaire prise en réaction à une requête déposée par le chercheur Adam Raz de l’institut israélien Akevot il y a près de cinq ans.
Si on connaît les détails du massacre depuis des décennies, ce que révèlent ces nouveaux documents, c’est qu’il faisait partie d’un projet israélien baptisé Opération Hafarperet (taupe) visant à chasser les Palestiniens de la région appelée « Triangle », cédée à Israël avec sa population palestinienne en avril 1949 après la fin de la guerre par le roi Abdallah de Jordanie au prétexte que l’armée jordanienne ne pouvait la défendre.
Ce projet de déportation aurait grandement contribué à achever l’expulsion par les Israéliens de 85 % des Palestiniens du territoire devenu Israël lors de la conquête sioniste de la Palestine entre 1947 et 1949.
Ce nouveau projet d’expulsion impliquait d’« emprisonner des Palestiniens puis [de] les contraindre à fuir en Jordanie dans le chaos d’une guerre » et devait coïncider avec l’invasion israélienne de l’Égypte qu’Israël avait complotée avec la France et la Grande-Bretagne. Chaim Levy, qui menait la compagnie de la frontière Sud supervisant Kafr Qasim, a affirmé que le commandant leur avait dit qu’il était « souhaitable qu’il y ait un certain nombre de victimes ».
Il a ajouté qu’il existait deux volets de plus à ce plan : « créer des enclos » et « transporter des gens ». Selon Haaretz, cela signifie l’internement des citoyens palestiniens d’Israël dans des camps de détention et leur « expulsion de chez eux ». Le couvre-feu et l’ouverture du feu contre tout contrevenant visaient à effrayer les Palestiniens et les encourager à fuir.
Shadmi l’a confirmé en expliquant : « Tuer quelques personnes comme mesure d’intimidation peut encourager un mouvement vers l’est, tant que nous laissons entendre [aux Palestiniens] qu’il est possible d’aller vers l’est. »
Une tradition israélienne
Ce qu’on oublie souvent en racontant le meurtre de Palestiniens par Israël, c’est qu’après le massacre de Kafr Qasim, les Israéliens en commirent encore deux autres alors que l’invasion israélienne de Gaza et de l’Égypte progressait rapidement.
Lors de la conquête de Gaza, les Israéliens bombardèrent la ville de Khan Younès le 2 novembre 1956, depuis les airs, tuant des dizaines de civils avant que les chars israéliens n’entrent dans la ville le 3 novembre. Les Israéliens poursuivirent les combattants de la résistance et les exécutèrent sur place ou chez eux.
Dans le camp de réfugiés adjacent, à Rafah, les Israéliens rassemblèrent tous les hommes et tous les garçons de plus de 15 ans sur la place de la ville. Ils les mitraillèrent, tuant entre 300 et 500 personnes
Pendant ce temps, dans le camp de réfugiés adjacent, à Rafah, les Israéliens rassemblèrent tous les hommes et tous les garçons de plus de 15 ans sur la place de la ville. Ils les mitraillèrent, tuant entre 300 et 500 personnes, surtout des civils ; la moitié étaient des réfugiés de 1948.
Pour énumérer les massacres documentés de civils palestiniens par Israël, y compris ceux de Gaza, il faudrait plusieurs volumes. Contentons-nous de dire que le dernier s’inscrit dans une tradition israélienne qui recueille un grand soutien et peu de condamnations de la part de l’Occident.
En effet, les États-Unis et l’Europe ont réagi à la dernière hécatombe en déclarant et répétant avec force leur soutien au « droit d’Israël à se défendre » et regrettant à ton feutré la mort de civils palestiniens.
Le tristement célèbre ministre de la Défense d’Israël Moshé Dayan avait, dès avril 1956, compris la souffrance des Palestiniens de Gaza alors qu’il justifiait l’addiction d’Israël à leur meurtre : « Pourquoi devrions-nous nous plaindre de leur haine envers nous ? Depuis huit ans, ils vivent dans les camps de réfugiés de Gaza, alors que, sous leurs yeux, nous faisons de la terre et des villages où eux et leurs aïeux demeuraient autrefois notre patrie.
« Nous sommes une génération de colons, et sans le casque d’acier et le ventre du canon, nous ne pourrions planter un arbre, ni construire une maison. Nous ne devrions pas flancher devant la haine qui accompagne et remplit les vies de milliers d’Arabes, qui vivent autour de nous. Nous ne devons pas détourner le regard pour ne pas affaiblir notre main. C’est le sort de notre génération. C’est le choix de notre vie : être prêts et armés, forts et inébranlables, de peur que l’épée nous échappe et que nos vies ne s’arrêtent. »
Il semblerait que les mots de Dayan continuent de trouver un écho chez les meurtriers israéliens – mais aussi et spécialement chez ceux qui les laissent faire et les financent aux États-Unis et en Europe.
- Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Parmi ses ouvrages figurent Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan ; Desiring Arabs ; et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Son travail a été traduit dans une douzaine de langues.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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